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Le prince héritier saoudien révèle que le wahhabisme a été exporté à la demande des Occidentaux

Dans une interview au Washington Post, le prince héritier Mohamed ben Salmane a déclaré que l'Arabie saoudite avait commencé à propager l'idéologie wahhabite à la demande de ses alliés occidentaux, pendant la guerre froide, pour contrer l'URSS.

Une déclaration du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane (surnommé «MBS») publiée par le Washington Post le 22 mars et passée, semble-t-il, inaperçue dans les médias francophones, fait office d’aveu. En effet, le prince héritier saoudien a assuré que l’idéologie wahhabite avait été propagée au cours de la seconde moitié du XXe siècle par Riyad à la demande des alliés occidentaux du royaume, dans le but de contrer l’influence de l’Union soviétique dans les pays musulmans. 

En visite diplomatique aux Etats-Unis, «MBS» s’est exprimé lors d'une rencontre avec des membres de la rédaction du Washington Post. Bien que cette réunion ait été tenue secrète dans un premier temps, l'ambassade saoudienne a par la suite autorisé le célèbre journal américain à publier des extraits spécifiques des propos tenus par le prince héritier. Ainsi, le journal relate des déclarations de Mohamed ben Salmane sur différents dossiers, dont sa relation avec Jared Kushner, le gendre de Donald Trump et conseiller de la Maison Blanche, ses réformes internes au royaume, la guerre au Yémen ou encore le conflit israélo-palestinien.

Interrogé sur la propagation du wahhabisme, idéologie islamiste rigoriste née en Arabie saoudite et parfois accusée par la presse et des responsables politiques en Occident d'être une source du terrorisme islamiste, le prince héritier a déclaré que les investissements saoudiens dans les mosquées et écoles islamiques à l'étranger trouvaient leur origine dans le contexte de la guerre froide. Le prince héritier a expliqué que, à cette époque, les alliés occidentaux de Riyad avaient demandé à l'Arabie saoudite d'utiliser ses ressources afin d'empêcher l’Union soviétique de «conquérir le monde musulman ou d’y acquérir de l’influence».

Une révélation tardive du rôle de l'Occident dans la propagation du wahhabisme

Interrogé par RT France, Pierre Conesa, historien français, auteur du livre Dr. Saoud et Mr. Djihad, qualifie cette révélation de «tardive». Pour ce spécialiste en stratégies politiques internationales, cette révélation permet au prince héritier de «se décharger d’une partie de sa responsabilité sur le financement du terrorisme». 

Dans un article publié dans le Monde Diplomatique de juin-juillet 2016, intitulé «Un demi-siècle de diplomatie wahhabite», Pierre Conesa expliquait déjà que la politique étrangère du royaume saoudien avait été anticommuniste durant la guerre froide et opposait le panislamisme au panarabisme socialisant de Gamal Abdel Nasser, dirigeant égyptien de 1954 à 1970. Cette politique était largement soutenue par les Occidentaux et notamment les Américains. «L’adage très répandu pendant la guerre froide selon lequel "l’ennemi de notre ennemi est notre ami" empêche alors [les Occidentaux] de voir que le royaume wahhabite a son propre programme », ajoute l’historien. Une véritable industrie «théo-idéologique» qui «emprunte au soft power américain et à la propagande soviétique» se met alors au service du wahhabisme.

Un système de promotion mondiale de l'islam rigoriste

Plus de deux décennies après la fin de la Guerre Froide, WikiLeaks publie plus de 60 000 documents diplomatiques saoudiens. Ces «câbles» mettent en lumière le système de prosélytisme et de promotion d’une lecture rigoriste de l'islam appliqué par le royaume wahhabite au niveau international. «Depuis des dizaines d’années, l’Arabie Saoudite injecte des milliards de pétrodollars dans des organisations islamiques à travers le monde, pratiquant une diplomatie du chéquier», révèle le journal américain New York Times, en juillet 2015, après avoir épluché tous les documents diplomatiques mis à jour par WikiLeaks.

«Quand après les attentats du 11 septembre 2001, alors que 15 des terroristes étaient saoudiens, George W.Bush désigne l’Afghanistan et l’Irak comme les ennemis des Etats-Unis, on comprend que l’Arabie est un bon client qu’il ne faut pas contrarier », analyse encore Pierre Conesa. Pour l’historien, la situation est similaire aujourd’hui, quand «Donald Trump annonce depuis Riyad que c’est l’Iran qui est la cause du terrorisme».

Riyad ne semble toutefois plus assumer son rôle d'exportateur global du wahabisme. Aux journalistes du Washington Post, Mohammed ben Salmane a en effet confié que les gouvernements saoudiens successifs «s[’étaient] fourvoyés sur de fausses pistes» et qu’il était temps désormais que «les choses reviennent à la normale», en ce qui concerne notamment le financement du wahhabisme. Il a assuré que ce «financement prov[enait] aujourd’hui en grande partie de fondations saoudiennes, et non du gouvernement». De manière on ne peut plus claire, le prince héritier Mohammed ben Salmane entend donc séduire ses partenaires occidentaux. L’accueil que lui a réservé Donald Trump au premier jour de son voyage à Washington semble démontrer que cette offensive de charme fonctionne à merveille.

Meriem Laribi