Ces événements ont bouleversé le cours de l’histoire ukrainienne. Des milliers de personnes manifestaient quotidiennement sur la place de Maïdan, à Kiev, depuis fin 2013, après que le président Viktor Ianoukovitch avait renoncé à l’accord d’association avec l’UE. Mais ce sont les journées du 18 au 20 février qui sont restées dans la mémoire des Ukrainiens comme les plus sanglantes – des journées durant lesquelles environ 80 opposants (et plusieurs agents de sécurité), que l'on appelle désormais «les cent célestes», ont péri. C’est le 20 février 2014 que le bilan a été le plus lourd, lorsque des snipers dont l’identité reste toujours inconnue ont tiré sur la foule et sur les forces de l’ordre.
Après cette effusion de sang, le président alors en poste Viktor Ianoukovitch est accusé par l’opposition – et aujourd'hui par le pouvoir en place – d’avoir orchestré la fusillade et tué des membres de son propre peuple. Deux jours plus tard, le chef d’Etat est destitué par la Rada (Parlement monocaméral d'Ukraine), une décision qu’il estime illégitime. Accusé officiellement de «haute trahison», Viktor Ianoukovitch réfute toujours toutes les accusations concernant la fusillade du 20 février. Mais qui aurait alors organisé cette tuerie ?
Si les autorités ukrainiennes continuent de mener leur enquête (qui n'a toujours accouché d'aucun résultat), un documentaire produit par un journaliste italien, Gian Micalessin (célèbre journaliste de guerre, auteur de reportages sur l’Afghanistan, la Yougoslavie et la Tchétchénie), jette une nouvelle lumière sur cette affaire. Diffusé sur la chaîne privée italienne Canale 5, le documentaire présente une autre version des événements et fait parler trois membres des forces de sécurité géorgiennes – Koba Nergadze, Kvaratskhelia Zalogui et Aleksandre Revazichvili. Ces trois hommes affirment avoir eux-mêmes tiré sur le Maïdan depuis l'hôtel «Ukraine», après être venus à Kiev sur ordre de leurs supérieurs pour, comme ils le croyaient, «aider l’opposition».
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Selon ces hommes, leurs ordres sur place provenaient de Mamouka Mamoulachvili, un conseiller militaire de l’ancien président géorgien Mikhaïl Saakachvili – qui serait devenu par la suite commandant d’un bataillon de volontaires géorgiens luttant aux côtés des autorités ukrainiennes contre les rebelles du Donbass. Les snipers interrogés par Canale 5 identifient une autre personne impliquée dans la tuerie : un ancien sniper de l’armée américaine du nom de Brian Boyenger.
Une troisième personne citée par les snipers est Sergueï Pachinski, actuellement député du Parlement ukrainien. Ce sont ces trois individus qui auraient livré des fusils aux Géorgiens et leur auraient donné l’ordre de mettre de l'huile sur le feu durant les manifestations de Maïdan.
On nous a ordonné de tirer et sur les Berkout et sur les manifestants, sans faire de différence. Ca m'a choqué
«Nous étions censés créer des provocations, pousser les Berkout [unité spéciale de la police ukrainienne] à charger contre la foule», se rappelle Koba Nergadze, au sujet des 18 et 19 février. Mais après avoir «créé le chaos», une mission encore plus dramatique leur aurait été confiée, le 20 février. «On nous a ordonné de tirer et sur les Berkout et sur les manifestants, sans faire de différence. Ca m'a choqué», raconte Aleksandre Revazichvili, un autre des snipers géorgiens.
Les agents géorgiens interrogés par le journaliste Gian Micalessin ont gardé le silence durant presque quatre ans après la tragédie, mais se seraient sentis libres de parler après la tombée en disgrâce et l’expulsion d’Ukraine de Mikhaïl Saakachvili, conseiller du président ukrainien Petro Porochenko puis gouverneur de la région d’Odessa jusqu’à 2016.