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«Je suis votre humble ami» : changement de ton signicatif de Duterte face aux Etats-Unis ?

Après des mois d'hostilité ayant conduit le président philippin à se tourner vers la Chine et la Russie, Rodrigo Duterte semble faire amende honorable et renouer avec les Etats-Unis. En pleine crise nord-coréenne, le moment ne pouvait mieux tomber.

«Je suis votre humble ami.» C'est par ces mots que Rodrigo Duterte, le président des Philippines, s'est adressé au secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson venu en visite à Manille le 7 août dernier. Le ton adopté par le président philippin, qui s'est dit «heureux» de s'entretenir avec le haut responsable américain, avait de quoi contraster avec l'acrimonie qu'il affichait il y a quelques mois encore à l'égard des Etats-Unis.

S'exprimant lors d'une conférence de presse aux Philippines en septembre 2016, le bouillonnant président philippin s'était en effet emporté à propos de Barack Obama qu'il avait qualifié de «fils de pute». Au-delà de la personne de l'ex-président, c'est bel et bien contre les Etats-Unis que Rodrigo Duterte dirige ses attaques depuis son élection en juin 2016. «A aucun moment au cours de mon mandat, ou même après, je ne me rendrai en Amérique», a par exemple déclaré le chef de l'Etat philippin le 21 juillet dernier à des journalistes qui l'interrogeaient au sujet de l'invitation à venir à la Maison Blanche, formulée par Donald Trump en avril dernier.

Loin de s'en tenir aux mots, Rodrigo Duterte, qui accorde une place de choix à l'antiaméricanisme dans sa communication en multipliant les provocations et les références au passé conflictuel entre son pays et les Etats-Unis, semblait récemment encore disposé à traduire cette hostilité en actes. Ainsi, le 5 février dernier, Rodrigo Duterte avait fait savoir qu'il ne voyait pas d'intérêt à ce que les Philippines aient un ambassadeur à Washington, annonçant ainsi que la représentation philippine à Washington, vacante depuis plusieurs mois, était appelée à le rester. En janvier 2017, il avait affirmé que le stockage d'armes américaines aux Philippines compromettait «la sécurité du pays», assurant qu'il s'opposerait à l'édification d'entrepôts d'armements, l'accord en vigueur entre Manille et Washington n'autorisant que des structures provisoires. 

La «menace nord-coréenne», une opportunité de réconciliation ?

Si elle est éminemment sensible, c'est pourtant autour de la question militaire que semble avoir eu lieu le subtil raccommodage entre Rodrigo Duterte et les Etats-Unis. Engagé dans une lutte contre des djihadistes liés à l'Etat islamique dans la partie méridionale de l'archipel, le président philippin déclarait encore le 11 juin dernier qu'il n'avait «jamais demandé» l'aide militaire des Etats-Unis face à cette menace, alors que ses propres généraux reconnaissaient avoir reçu une assistance technique de la part de l'armée américaine. Lors de l'entretien entre Rex Tillerson et Rodrigo Duterte du 7 août, le ton était sensiblement différent. Ainsi, le premier se félicitait devant le second que l'armée américaine «entraîne et forme» les militaires philippins pour combattre les djihadistes. NBC News cite même des responsables de la Défense américaine évoquant de possibles frappes aériennes américaines sur les zones du territoire philippin contrôlées par les rebelles islamistes. 

La coopération militaire entre les Etats-Unis et les Philippines n'est ni nouvelle ni surprenante. En revanche, l'insistance de Washington à assurer Manille de sa sympathie ainsi que la réceptivité toute récente dont semble faire preuve Rodrigo Duterte envers celle-ci est plus surprenante. Du côté américain, cette cordialité s'explique en partie par la crainte, face à la multiplication des signaux envoyés par Rodrigo Duterte en ce sens, de voir les Philippines se trouver un nouvel allié. En effet, le président philippin Rodrigo Duterte s'était rendu le 22 mai dernier à Moscou pour une visite de cinq jours, après avoir annoncé son intention d'acquérir des armes auprès de Vladimir Poutine. Plus récemment, à la mi-juillet, le chef d'Etat philippin avait été jusqu'à évoquer «une coopération» avec la Chine, justifiant que soient mises de côté les tensions concernant la question hautement conflictuelle des frontières maritimes en mer de Chine méridionale.

Du côté de Manille, le changement de ton est forcément plus sensible, après plus d'un an d'invectives de la part de Rodrigo Duterte contre le premier allié militaire de son pays. Fort commodément pour le président philippin, le principal point de convergence entre les deux pays est précisément un sujet hautement sensible et dont la gravité semble avantageusement reléguer au second plan les tonitruantes vitupérations de ces derniers mois, il s'agit du dossier nord-coréen. Le 2 août dernier, c'est cette fois à Kim Jong-un que Rodrigo réservait son fiel et sa verve, qualifiant le dirigeant nord-coréen de «fou furieux de fils de pute» et assurant qu'il risquait de déclencher une guerre. Ces termes rappelaient d'ailleurs ceux employés par Donald Trump, qui avait qualifié son homologue nord-coréen de «fou avec des armes» en mai.

A mesure que la crise nord-coréenne s'accentue, Manille confirme son soutien aux sanctions contre Pyongyang, se félicitant même du récent durcissement de celles-ci voté par le conseil de sécurité de l'ONU le 6 août. La proximité de vues avec Manille sur ce dossier s'annonce d'autant plus féconde pour Washington que Pékin reste le principal soutien de Pyongyang, faisant donc s'éloigner l'ombre menaçante d'une alliance entre les Philippines et la Chine, au grand détriment des Etats-Unis. A en croire les signes récents, la Maison Blanche a d'ailleurs de quoi se rassurer. Lors de sa conférence de presse commune avec Rex Tillerson le 7 août, Rodrigo Duterte a accueilli le secrétaire d'Etat américain par ces mots : «Votre visite a lieu dans un moment où, je le crains, le monde ne va pas si bien, particulièrement dans la péninsule nord-coréenne». Ce revirement annonce-t-il la fin d'une brouille passagère dans une longue amitié ? Le contraste avec ses anciennes provocations explique en tous cas que Rodrigo Duterte se soit senti subitement très «humble».

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