La chaîne américaine NBC a diffusé le 4 juin un entretien entre sa nouvelle journaliste politique Megyn Kelly et le président russe Vladimir Poutine. Décrite comme «un dialogue passionnant» avec le chef de l'Etat russe, l'interview, réalisée en marge du Forum économique de Saint-Pétersbourg, a notamment porté sur les liens qui existeraient entre l'administration Trump et le gouvernement russe, ou encore sur la soi-disant ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine de 2016.
Megyn Kelly a évoqué une photographie, largement diffusée dans la presse internationale, prise à l'occasion d'une soirée organisée à Moscou pour les 10 ans de la chaîne RT. On peut y voir Vladimir Poutine aux côtés de plusieurs invités, dont l'un n'est autre que Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, limogé en raison des soupçons planant sur sa proximité présumée avec le Kremlin. «Elle rend assez bien compte de l'étendue de mes relations avec Michael Flynn», a commenté Vladimir Poutine avec ironie. Sur l'image, les deux hommes sont assis à côté, mais ne se regardent pas.
«Nous avons, vous et moi, une relation bien plus intime que celle que j'entretiens avec monsieur Flynn», a confié Vladimir Poutine à son intervieweuse. «En effet, nous avons travaillé tous les deux toute la journée et nous nous rencontrons une seconde fois», a-t-il expliqué. «Si Monsieur Flynn a été renvoyé pour avoir eu avec moi l'interaction que nous avons eue, alors vous, avec qui j'ai passé la journée entière, devriez être arrêtée et mise en prison», a-t-il ironisé, insistant sur le fait que sa rencontre avec Michael Flynn avait été fortuite et brève.
Vladimir Poutine reconnaît ensuite s'être rendu à la soirée anniversaire de RT, s'être assis à une table à laquelle était également présent Michael Flynn, sans même avoir eu connaissance de son identité. «J'ai fait un discours, j'ai discuté de choses et d'autres, puis je me suis levé et je suis parti», a ajouté le président russe avant de préciser : «Ce n'est qu'un peu plus tard que l'on m'a dit : "Savez-vous qu'il y avait un Américain à côté de vous ? Il s'occupe de certaines affaires, c'est un ancien des services de sécurité." C'est tout : je ne lui ai même pas vraiment parlé.»
Liens présumés entre Trump et la Russie : «une stratégie» dictée par ses adversaires
Interrogé de manière plus générale sur les liens qu'entretiendrait Moscou avec l'équipe de Donald Trump, Vladimir Poutine a estimé qu'il s'agissait de «querelles internes» propres aux Etats-Unis. «C'est votre problème, je n'ai rien à en dire», a-t-il estimé. Il a néanmoins ajouté qu'il trouvait «étonnante» la manière dont les médias avaient, selon lui, «créé une polémique à partir de rien».
Selon Vladimir Poutine, les accusations formulées à l'encontre de Donald Trump témoigneraient d'une «stratégie offensive» dictée par ses adversaires aux Etats-Unis et destinée à servir d'«instrument politique pour [le] combattre». «Vous ne manquez pas d'idées... ou peut-être avez-vous une vie ennuyeuse ?», a-t-il plaisanté.
Megyn Kelly a également interrogé Vladimir Poutine sur les différentes allégations prêtant à l'ambassadeur de Russie aux Etats-Unis, Sergueï Kisliak, des liens étroits avec des membres de l'équipe de campagne de Donald Trump. Ce dernier les aurait même rencontrés à plusieurs reprises. «Honnêtement, je n'en ai pas la moindre idée», a répondu le président russe, précisant qu'il n'était pas de son ressort de se tenir informé du «travail quotidien» des ambassadeurs russes à travers le monde. «Ce serait parfaitement absurde», a-t-il estimé.
«Le chef de la diplomatie n'est autre que le ministre des Affaires étrangères», Sergueï Lavrov en l'occurrence, a souligné le président russe. Il a ainsi expliqué que, si «quelque chose sortant de l'ordinaire» s'était produit, il en aurait été informé par Sergueï Lavrov, qui aurait lui-même été mis au courant immédiatement. «Or, rien de tel ne s'est produit», a-t-il conclu.
«Les Etats-Unis s’immiscent activement dans les campagnes électorales d’autres pays partout dans le monde»
Concernant l'ingérence directe de Moscou dans la campagne présidentielle américaine, dont le camp démocrate et de nombreux médias américains et internationaux prétendent qu'elle serait avérée, Vladimir Poutine a tenu à rappeler qu'il n'y avait toujours «aucune preuve» permettant d'étayer ces accusation. «Certains responsables américains ont été induits en erreur», a-t-il déploré, regrettant que ceux-ci n'analysent pas la globalité des informations auxquelles ils ont accès.
«C'est un sujet que j'ai déjà abordé avec l'ancien président Obama, ainsi qu'avec plusieurs responsables américains», a fait savoir Vladimir Poutine, ajoutant que «jamais personne ne [lui avait] fourni d'éléments concrets» permettant d'établir une éventuelle immixtion de Moscou dans la campagne présidentielle américaine. Sur la question précise d'éventuels piratages, le président russe a rappelé que la technologie actuelle permettait aisément de «dissimuler ou camoufler» l'identité de toute personne se livrant à une cyberattaque, rendant ainsi la véritable origine de celle-ci quasi indétectable.
D'une manière générale, Vladimir Poutine s'est montré extrêmement dubitatif quant à l'existence d'ingérences politiques directes en contexte électoral, où que ce soit. «Je suis profondément convaincu qu'aucune interférence étrangère, dans quelque pays que ce soit, même dans un petit Etat, et a fortiori dans une aussi grande puissance que les Etats-Unis, n'est capable d'influencer le résultat final d'une élection», a-t-il déclaré. «C'est proprement impossible», a-t-il martelé.
Vladimir Poutine a revanche souligné que les Etats-Unis avaient à de nombreuses reprises tenté d'interférer dans les affaires d'autres pays. «Je ne veux offenser personne, mais les Etats-Unis s’immiscent activement dans les campagnes électorales d’autres pays partout dans le monde», a-t-il déclaré. Rappelant «les plaintes selon lesquelles les responsables américains s'immiscent dans des processus politiques» de très nombreux pays, le président russe a estimé que les Etats-Unis n'avaient «aucune raison de s'offusquer» si une éventuelle ingérence avait lieu dans leur propre système politique. Il a également expliqué que la Russie accordait peu d'importance aux personnalités dirigeant les Etats du monde, préférant s'intéresser à la ligne diplomatique suivie par ces pays, déplorant que celle-ci reste la plupart du temps la même. Il a illustré ce constat en prenant l'exemple de la France : «J'étais récemment en France, et j'y ai dit la même chose : les présidents vont et viennent, même les partis au pouvoir changent, mais la ligne politique reste en place.»
Megyn Kelly avait passé plus d'une heure avec Vladimir Poutine la veille de cet entretien. Hors caméra, elle a décrit le président russe comme une personne «bienveillante». «Nous avons échangé sur de nombreux sujets, et notamment sur nous-mêmes, ainsi que sur nos familles respectives», a-t-elle confié. La journaliste de NBC a raconté que Vladimir Poutine, en privé, parlait «très ouvertement et de manière très aimante» de sa famille. «Tout ça s'est déroulé en off, je n'en dirai donc pas davantage», a-t-elle néanmoins précisé.