Quelque 70 000 personnes ont défilé dans les rues de Budapest le 9 avril afin de protester contre un projet de loi ayant notamment pour conséquence de contraindre la Central European University (CEU), fondée par le milliardaire américano-hongrois George Soros en 1991, à quitter le pays.
Les manifestants, parmi lesquels de nombreux étudiants, mais aussi des membres du personnel de l'université, étaient tous vêtus de bleu, la couleur de la CEU. Ils se sont retrouvés sur la place du Parlement, placée pour l'occasion sous très haute protection policière. Selon l'agence de presse MTI, des échauffourées auraient éclaté avec les forces de l'ordre et certains journalistes de la chaîne M1 auraient été agressés.
Le cortège a ensuite traversé le pont des chaînes Széchenyi, tout en scandant des slogans appelant le président hongrois, Janos Ader, à s'opposer au texte voté le 4 avril par le Parlement avant qu'il n'entre officiellement en vigueur. «Stoppons Viktor Orban !», était l'un des slogans que l'on a pu entendre. Le premier ministre hongrois est en effet l'instigateur de cette loi.
Une manifestation «instrumentalisée» pour le gouvernement hongrois
Les manifestants ont pu recevoir des soutiens de l'étranger, notamment celui de Guy Verhofstadt, chef de file des libéraux au Parlement européen. «Nous sommes unis dans la défense de la liberté d'expression et d'une société libre», a-t-il écrit aux étudiants, accompagnant son message d'une photo d'une pancarte appelant l'Union européenne «à l'aide».
Du côté du gouvernement hongrois, ces mouvements sont perçus comme des actions instrumentalisées par George Soros, régulièrement accusé de fomenter des mouvements insurrectionnels contre certains gouvernements dans le monde, notamment en rémunérant des manifestants. Szilard Németh, député du Fidesz, le parti de Viktor Orban et de Janos Ader, a déclaré à l'agence MTI que la manifestation du 9 avril était en partie «l'œuvre d'agences financées par Soros».
Université d'élite n'enseignant qu'en anglais, principalement fréquentée par des étudiants étrangers, la CEU a formé quelque 14 000 étudiants en 25 ans, tous triés sur le volet, pour étudier dans des conditions particulièrement avantageuses.
Entrave à la liberté d'expression ou lutte contre la propagande idéologique ?
Les opposants à la fermeture de la CEU estiment que cette dernière s'inscrit dans le cadre d'une politique «autoritaire» ayant pour objectif de limiter la liberté d'expression et les valeurs démocratiques. «Le gouvernement veut réduire au silence presque tous ceux qui ne pensent pas comme lui, qui pensent librement, qui peuvent être libéraux, de gauche», a déclaré l'un des organisateurs de la marche, Kornel Klopfstein, doctorant venu de l'université allemande de Bielefeld, cité par l'agence Reuters.
A l'inverse, les membres du Fidesz considèrent que la CEU est moins une université qu'un instrument idéologique aux mains de George Soros, bête noire de la droite hongroise. Lui sont notamment reprochées ses positions pro-immigration, contraires à la ligne défendue par les autorités hongroises. «Ce sont des prédateurs en eau trouble, qui œuvrent au service de l'empire transnational de George Soros», avait déjà déclaré Viktor Orban dans une allocution au mois de février, au sujet de la CEU.
La loi récemment votée crée un cadre légal contraignant pour les établissements d'enseignement supérieurs désirant exercer leur activité sur le sol hongrois. Elle interdit notamment aux université ne disposant pas d'un campus dans leur propre pays de s'établir en Hongrie : tel est le cas de la CEU, domiciliée aux Etats-Unis, où elle ne dispense pourtant aucun enseignement.
Soros et Orban : la Hongrie libérale contre la Hongrie conservatrice
A la fin des années 1980, le milliardaire hongrois George Soros finançait généreusement tous les opposants, scientifiques, étudiants ou artistes dissidents, afin de «provoquer de petites fractures dans le communisme» et de préparer l’avènement d’une «société ouverte». Or, Viktor Orban a lui-même directement bénéficié de cette politique en tant que boursier de la fondation Soros. Le futur chef de l'exécutif était alors l'un des hérauts de la contestation estudiantine contre le pouvoir communiste de Janos Kadar.
Depuis, le bloc soviétique s'est effondré et le magnat est devenu le principal ennemi des conservateurs hongrois, qui voient dans son combat politique pour une «société ouverte» une tentative de déstabilisation politique. «Il soutient tout ce qui affaiblit la nation, tout ce qui modifie le mode de vie traditionnel européen», avait déclaré Viktor Orban dans une interview radiophonique accordée à la radio Kossuth en 2016. Depuis la crise des migrants et les plaidoyers de George Soros en faveur d'une ouverture des frontières, les tensions entre les deux hommes se sont exacerbées et sont devenues emblématiques d'une opposition idéologique entre un camp libéral, favorable à l'immigration et pro-Union européenne et un camp conservateur, attaché aux traditions et souverainiste.
Pour George Soros, Viktor Orban «prend en otage les valeurs européennes». Réagissant au vote de la loi sur les universités, le milliardaire a dénoncé la «politique autoritaire» du premier ministre. Pour Viktor Orban, George Soros incarne «le trafic mondial d'êtres humains» que constituerait l'immigration de masse. Quant aux étudiants de la CEU, ils ont d'ores et déjà annoncé de nouvelles actions. En attendant l'entrée en vigueur de la loi, les cours continuent normalement.
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