Les députés néerlandais ont tenu un débat parlementaire sur l’investigation de la chute de l’avion de la Malaysia Airlines au-dessus de l'est de l'Ukraine le 17 juillet 2014, qui a coûté la vie à 298 personnes à bord, des Néerlandais pour la plupart.
La discussion de mardi s’est en particulier concentrée sur le rapport final des causes de l’incident publié par le Bureau pour la sécurité néerlandais en octobre dernier et sur la récente lettre du procureur général révélant l’absence de données radar brutes dans l’investigation, ainsi que d’images satellites ou de capture vidéo du lancement de missile.
Lors du débat, le Premier ministre du gouvernement Mark Rutte a insisté sur le fait qu’il y avait suffisamment d’informations pour qu’une investigation criminelle sur le crash ait lieu alors que les députés de l’opposition néerlandaise se sont interrogés sur les insinuations du rapport et le manque de preuves.
Les députés néerlandais incrédules
Une des questions posées par les députés concernait les données radars brutes et l’imagerie satellite que Washington avait prétendu détenir, en les qualifiant de preuves solides.
«Nous avons recueilli les images de ce lancement. Nous connaissons sa trajectoire. Nous savons d’où il est venu. Nous en connaissons la chronologie. Et c’est exactement à ce moment que cet avion a disparu des écrans radars», avait déclaré en juillet 2014 le secrétaire d’Etat américain John Kerry, dans son interview à David Gregory de la NBC.
La raison pour laquelle les enquêteurs néerlandais n’ont apparemment pas vu les données a été mise en cause lors du débat. «La question qui se pose c’est de savoir pourquoi il n’a pas été demandé quelle information ils avaient en leur possession, puisque Kerry dit littéralement : «nous l’avons vu disparaître des écrans radars»», s’est exclamé Pieter Omtzigt du parti l’Appel démocrate-chrétien.
Le ministre de la Sécurité et de la Justice Ard van der Steur a en réponse argué que le Bureau néerlandais pour la sécurité avait d’un côté indiqué dans son rapport qu’eux-mêmes n’avaient pas demandé les données» alors que les enquêteurs avaient par contre «reçu un aperçu de l’information distribuée par les Américains via les services militaires de renseignement».
Entretemps, les responsables de Washington ont échoué à clarifier dans quelle mesure de soi-disant renseignements américains ont été partagés avec les Pays-Bas.
«Je crois que nous avons collaboré avec les Néerlandais dans leur investigation», a indiqué le porte-parole du département américain Mark Toner répondant à la question de la correspondante de RT Gayané Tchitchikian : «Je ne sais pas à quel niveau nous avons partagé de l’information avec eux, je devrais vérifier.»
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La faiblesse des preuves de Kiev
Les preuves fournies par l’Ukraine ont également soulevé des questions au cours de cette discussion, notamment à cause de l’absence des données radars brutes, non disponibles parce que le radar militaire était prétendument éteint tandis que le radar civil était en entretien, selon les dires de Kiev.
«Nous savons qu’une partie de l’information reçue de la part de l’Ukraine n’est pas correcte», a estimé Pieter Omtzigt en faisant référence aux déclarations contradictoires de Kiev et ajoutant que la confidentialité des preuves utilisées lors de l’enquête complique encore plus le problème.
Pour sa part, Henricus van Bommel du Parti socialiste s’est demandé comment il était possible que l’Ukraine n’ait pas notifié à l’organisme européen du trafic aérien que ses radars étaient éteints alors que c’est une mesure obligatoire. «Comment réagir face à cela ?» a-t-il demandé.
Van Bommel a aussi qualifié de «bizarre», qu’en contradiction avec les premières déclarations de Washington sur l’existence d’images du lancement du missile, le service du Procureur public admette aujourd’hui qu’aucune donnée «exploitable» n’existe puisque le temps était «nuageux» le jour du crash du MH 17.
La partie russe a de son côté fourni au Bureau néerlandais pour la sécurité toutes les données de radar disponibles sur le trajet du vol MH17, et ce juste après la tragédie, dès le début d'août 2014, selon le chef adjoint de l'agence fédérale russe de l'aviation Oleg Stortchevoï. De plus, les données ont été conservées et peuvent encore aujourd’hui être livrées aux autorités compétentes, si nécessaire.
Il n’est cependant pas clair si l’investigation a reçu «une pleine coopération et les documents nécessaires» pour émettre une conclusion définitive, a ajouté Pieter Omtzigt. «D’après des données de radar préliminaires, [le lancement d’un] missile semble être détecté», a-t-il poursuivi avant d'ajouter : «Et dans ce cas-là ? C’est la seule catastrophe en Europe de ces dix dernières années où ces données ne sont pas disponibles pour les chercheurs.»
«Est-ce que ces événements singuliers mènent à se demander si au ministère toutes les parties impliquées ne coopéraient pas ?», s’est aussi demandé Omtzigt, tout en s’interrogeant sur le fait de savoir si ces pays (les Etats-Unis, l’Ukraine et la Russie) avaient respecté la résolution 2166 concernant la livraison de données.
Il fallait interdire le survol de l’Est de l’Ukraine
Parmi les points sujets à débat figure le manquement de Kiev à fermer son espace aérien aux vols commerciaux et le fait que le gouvernement néerlandais ait caché, six mois avant le crash du MH17, qu’il avait été informé par Kiev de l’insécurité de son espace aérien situé au-dessus de l’est du territoire ukrainiens, prétendent les députés néerlandais.
Après avoir noté que le gouvernement, ainsi que les agences gouvernementales, les ministère des Affaires étrangères et de la Défense étaient au courant que les avions étaient pris pour cibles au-dessus de l’Ukraine, le représentant du Parti pour la Liberté, Raymond de Roon a indiqué que l’information n’avait toutefois pas été partagée avec les compagnies aériennes.
Les parlementaires pensent aussi que l’enquête sur la catastrophe dure depuis bien trop longtemps, 19 mois après les faits.
Les familles des victimes accusent Kiev
Certaines familles de victimes ont essayé d’entreprendre des actions légales contre l’Ukraine en entamant des poursuites contre le pays et son président pour «homicide provoqué par négligence», vu que Kiev était à l’époque dans l’obligation de fermer son espace aérien.
Elmar Giemulla, professeur de droit aérien qui représente certaines familles, a indiqué à RT qu’ils avaient déposé plainte, mais prétend ne pas avoir reçu de réponse claire de la part des autorités ukrainiennes.
Pour l’avocat international Thomas Sima, qui a réaffirmé une des conclusions du Bureau pour la sécurité néerlandais, toute investigation criminelle «s’organise autour de preuves», mais en fin de compte, c’est l’Ukraine qui est responsable de la sécurité de son espace aérien.
«A tous les niveaux, il semble que des preuves ont été bloquées», a confié l'avocat à RT. «Comme je le comprends, l’Ukraine n’a pas diffusé les cruciales données radars… Ainsi, si des preuves sont scellées et non accessibles et si d’autres preuves sont dissimulées, il sera difficile de parvenir à une conclusion et de la prouver.»