Une délégation comprenant Brett McGurk, l'envoyé spécial du président américain pour la coalition internationale anti-djihadiste, a rencontré des représentants de l’YPG lors d’un week-end à la fin du mois de janvier. Le parti kurde a pris le contrôle absolu de la ville de Kobané en juin dernier, envoyant un symbole fort de la résistance kurde.
«Il a visité Kobané en pleine conférence de Genève sur la Syrie et s'est fait offrir une plaque par un soi-disant général de l’YPG ?», a remarqué le président Erdogan aux journalistes dans l’avion qui le ramenait de son déplacement en Amérique latine et au Sénégal, comme l’a rapporté le journal Beser Haber.
«Comment peut-on [leur] faire confiance ?», s’est-il demandé.
«Est-ce que je suis votre partenaire ? Ou bien ce sont les terroristes de Kobané ?», a déclaré le président, ajoutant que le PYD (Parti de l'union démocratique en Syrie) et l’YPG sont des «organisations terroristes». Ankara les considère comme la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), groupe terroriste interdit en Turquie.
Selon les responsables américains, ce voyage était le premier de ce type depuis 2013 dans la partie nord de la Syrie. Il a eu lieu après l’exclusion de l’aile politique du parti syrien kurde PYD des négociations de Genève suite à la menace d’Ankara de boycotter les pourparlers si le parti était invité.
Crise entre le gouvernement turc et les insurgés kurdes
Le conflit entre les autorités turques et les mouvements d’insurgés kurdes, qui revendiquent une plus large autonomie pour les zones où vit leur peuple, se poursuit depuis des décennies, entre périodes de conflit ouvert et autres de cessez-le-feu. Ankara a été accusé par un nombre d’organisations de défense des droits de l’Homme pour avoir mis la vie de civils en danger, majoritairement dans le sud-est de la Turquie, à majorité kurde.
En août, Ankara a lancé une opération militaire afin de réprimer les combattants kurdes liés au PKK. Les violences ont mis la fin à une trêve de deux ans conclue avec les miliciens kurdes luttant pour l’indépendance par la guérilla.
«Les Turcs ont une phobie des Kurdes parce qu’ils ont peur des Turcs kurdes, dont 20 millions d’entre eux habitent en Turquie», a expliqué à RIA Novosti Abd Salam Ali, représentant du Parti de l'Union démocratique kurde en Russie, ajoutant que le «groupe ethnique a contrarié les plans d’Erdogan en Turquie».
«Daesh possède des bases militaires en Turquie et il les utilise comme un corridor. La Turquie joue un rôle similaire à celui joué par le Pakistan en 1980. Quand les forces soviétiques stationnaient en Afghanistan, les djihadistes arrivaient depuis le Pakistan, apportant avec eux argent et armes», a-t-il poursuivi.
Pour lui, la Turquie représente aujourd’hui le même corridor [pour les militants en Syrie], et joue selon ses propres règles du jeu. Cependant, les Kurdes sont apparus sur le chemin [d’Ankara]. «Ils ont forcé Daesh à quitter Rojava [connu aussi comme le Kurdistan syrien]. Il reste juste un morceau, un territoire de 90 kilomètres de long entre des villes kurdes. Si nous y chassons Daesh et relions ces cantons kurdes, la Turquie ne sera alors plus capable d’influencer [la situation en Syrie].»
Dénonciation des opérations turques contre les Kurdes
Le mois dernier, le président Erdogan a une nouvelle fois refusé de chercher une solution pacifique au conflit, qui a débuté en 1984 et qui a coûté la vie à 40 000 personnes, principalement des Kurdes. Il a promis que «ceux portant les armes à la main et ceux qui les soutiennent paieront le prix de la trahison», faisant référence aux combattants kurdes, qualifiés de terroristes par le gouvernement.
D’après l’état-major général turc, le nombre de membres du PKK abattus lors des opérations militaires dans les districts de Cizre et de Sur a atteint dimanche 733 personnes. Entretemps, Amnesty International indique qu’au moins 150 civils, y compris des enfants, ont été tués dans ces opérations, alors que plus de 200 000 personnes vivant dans ces régions affectées par la déstabilisation sont en danger.
Les opérations de sécurité turques dans la région, principalement dans le sud-est du pays, ressemblent à une «punition collective», ont fait savoir des organisations internationales des droits de l’Homme le mois dernier. Amnesty a condamné la communauté internationale à avoir choisi de fermer les yeux sur ce qu’Ankara fait endurer aux Kurdes.
«Pendant que les autorités turques semblent déterminées à faire taire toute critique interne, ils n’ont reçu que très peu de support de la communauté internationale. Les considérations stratégiques liées au conflit en Syrie et les efforts promis par les Turcs dans l’endiguement de l’afflux de réfugiés en Europe ne doivent pas éclipser les accusations de grossières violations des droits de l’Homme. La communauté internationale ne doit pas détourner le regard», a signalé John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale chez Amnesty International.