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L'UE, un «jardin» menacé par la «jungle» ? La curieuse métaphore de Josep Borrell

Lors d'une allocution devant de futurs diplomates, Josep Borell a employé une métaphore controversée, voyant dans l'UE un jardin où règneraient la liberté et la prospérité, menacé «d'invasion» par une jungle extérieure.

Associer botanique et géopolitique ne semble pas évident de prime abord, mais le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a retenu cet angle lors d'un discours tenu le 13 octobre devant la première promotion de l’Académie diplomatique européenne, installée à Bruges (Belgique), durant lequel il a brossé un tableau des transformations du métier de diplomate sur fond de conflit ukrainien. 

«Bruges est un bon exemple du jardin européen», a introduit le patron de la diplomatie de l'UE, avant de filer une métaphore assez surprenante. «Oui, l’Europe est un jardin», a-t-il poursuivi, estimant que «tout fonctionne» sur le Vieux Continent. Véritable îlot, ce dernier ne représenterait pas moins que «la meilleure combinaison de liberté politique, de prospérité économique et de cohésion sociale que l’humanité ait pu construire».

Mais, d'après le diplomate pour qui le conflit ukrainien représente un important moment de bascule dans les relations internationales, «la plus grande partie du reste du monde est une jungle, et la jungle pourrait envahir le jardin». Pour protéger ce paradis végétal, des «murs» pourraient certes être érigés, même si Josep Borrell a précisé ne pas croire en cette solution. «Un joli petit jardin entouré de hauts murs pour empêcher la jungle d’entrer n’est pas une solution, car la jungle a une forte capacité de croissance, et le mur ne sera jamais assez haut pour protéger le jardin», a-t-il complété.

Selon lui, les diplomates-jardiniers «doivent aller dans la jungle» et les Européens «être beaucoup plus engagés avec le reste du monde», sans quoi «le reste du monde nous envahira, de différentes manières et par différents moyens». Il a ensuite évoqué «la participation de personnes venant d’Ukraine et d’autres pays candidats», une bonne idée selon lui «pour voir plus large, pour faire venir des personnes qui ne sont pas encore dans l’Union, mais qui seront un jour dans l’Union», ne fermant donc pas la porte à l'extension du «jardin».

Plusieurs commentateurs ont critiqué la métaphore employée par Josep Borell, dont le professeur de sciences politiques Philippe Marlière. «Cette analogie est terriblement offensante», a-t-il jugé, y voyant de «fortes connotations colonialistes et racistes». 

De la même manière, le chercheur en relations internationales Mohamad Forough a estimé que les termes de «jardin» et de «jungle» ressemblaient fort à des euphémismes pour «civilisé» et «barbare», renvoyant à un discours colonial justifiant l'invasion de certains pays par les pays européens au nom d'une «mission civilisatrice». «De tels commentaires expliquent en partie pourquoi de nombreux pays en développement ne se rangent pas du côté des condamnations de l'UE et des Etats-Unis de l'agression russe contre l'Europe», a-t-il fustigé, en référence à la neutralité observée par une série de pays à propos du conflit ukrainien, qui s'est traduite par des absentions lors de votes à l'ONU sur des textes condamnant l'intervention de Moscou. «Comment le plus haut diplomate de l'UE peut-il employer une telle analogie colonialiste ?», s'est également émue l'eurodéputée écologiste Anna Cavazzini.

Il ne s'agit pas de la première déclaration décriée de Josep Borrell, récemment à l'origine d'une controverse avec la diplomatie russe au sujet de propos qu'il aurait tenus au cours d'un sommet européen à Prague le 5 septembre. Le Kremlin lui avait alors reproché d'avoir caractérisé la Russie comme étant un «Etat fasciste», le «disqualifiant» ainsi complètement en tant que diplomate. Le porte-parole de Josep Borrell avait quant à lui affirmé qu'il s'agissait d'une erreur de traduction et de retranscription et que ces propos avaient été faussement attribués au diplomate.

Lorsqu'il occupait la fonction de ministre espagnol des Affaires étrangères, le même Josep Borrell s'était aussi fait remarquer fin 2018 en tenant devant des étudiants des propos polémiques sur l'histoire des Etats-Unis. Comme l'avait rapporté Euronews, le diplomate avait lors estimé que l'unité américaine était plus forte qu'en Europe pour une série de raisons, dont le fait de ne parler qu'une seule langue. «Ils ont accédé à l'indépendance quasiment sans histoires. Tout ce qu'ils ont fait, c'est tuer quatre Indiens, mais à part ça c'était très facile», avait-il ajouté. Cette relativisation de l'ampleur des massacres d'Indiens aux Etats-Unis lors de la conquête de l'Ouest avait suscité un torrent de protestations et l'avait conduit à s'excuser.