L'Assemblée nationale a voté le 4 février, tard dans la soirée et avec seulement 48 députés participants, contre une résolution transpartisane pour que la France accorde l'asile politique au journaliste Julian Assange, détenu au Royaume-Uni dans l'attente d'une possible extradition vers les Etats-Unis. Par 31 voix contre 17, la majorité présidentielle a rejeté le texte présenté par la députée Libertés et territoire du Nord Jennifer de Temmerman, anciennement membre de La République en marche (LREM) et porté par une soixantaine d'autres députés de tous partis.
La majorité a justifié ce refus par des «points litigieux» de la résolution concernant, selon elle, les aspects juridico-pratiques d'un tel asile. Ainsi, ce serait, selon elle exclusivement à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de traiter ce genre de demande et pour ce faire, le demandeur doit se trouver sur le sol français. Difficile pour Assange, détenu dans une prison de haute sécurité à Londres...
Soutenir Assange comme la corde soutient le pendu
Ils étaient ainsi une trentaine de députés de la majorité à avoir veillé jusqu'à 23h30 pour voter contre l'octroi de l'asile au journaliste tout en déclamant tout le bien qu'ils pensent de lui et à quel point il convenait de le soutenir, dans la plus parfaite tartufferie. La gêne était d'ailleurs palpable dans leurs déclarations contradictoires.
«Aucun défenseur des droits de l'homme ne saurait supporter une situation aussi disproportionnée» que celle d'Assange, a par exemple lancé le député LREM du Val-de-Marne Jean François Mbaye. Avant de préciser immédiatement : «Si notre Assemblée ne saurait rester indifférente, il convient néanmoins qu'elle s'exprime afin de faire évoluer la situation de Julian Assange et de tous les autres lanceurs d'alerte, or, la présente résolution comporte un certain nombre de points litigieux». Bref, «nous ne pourrons pas souscrire à cette résolution», a-t-il conclu.
Un argumentaire de forme repris par le ministre du Commerce extérieur Franck Riester, venu spécialement représenter l'exécutif. On peut d'ailleurs se demander en quoi le ministre du Commerce extérieur serait le mieux indiqué pour parler de l'affaire Assange.
«Le gouvernement a émis un avis défavorable sur la proposition de résolution. Mais comme vous aurez pu le constater, le gouvernement est pleinement conscient de l'importance du sujet de la protection des lanceurs d'alerte, au plan national et international», a assuré Franck Riester. Il faut dire en effet que cette résolution concernant Julian Assange était examinée à peine trois jours après l'accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat au sujet d'une proposition de loi émanant du député MoDem du Bas-Rhin Sylvain Waserman sur une meilleure protection des lanceurs d'alerte en France. Jennifer de Temermann avait d'ailleurs estimé le 1er février que «la majorité ne serait pas crédible si elle refusait» l'asile à Assange, qui pourrait constituer une première application concrète du texte sur les lanceurs d'alerte soutenu par le gouvernement.
Ne pas froisser la Grande-Bretagne, «notre allié»
Des tractations politiques auraient-elles eu lieu avant le vote à l’Assemblée nationale entre membres de la majorité qui se sont mobilisés, tard dans la soirée, pour étouffer dans l’œuf cette idée d’asile pour Assange ? C'est en tout cas ce que semble indiquer l’incohérence du discours du député MoDem Nicolas Turquois, qui est monté à la tribune pour rappeler avoir lui-même signé la proposition de résolution examinée, tout en annonçant que son groupe ne soutiendrait pas le texte «malgré l'idéal qu'il porte et le soutien indéfectible que nous devons à monsieur Assange et à son combat». Assange dont la situation constitue pourtant, selon le député, «une atteinte insupportable aux droits de l'homme».
«Julian Assange pose à nos démocraties un véritable défi. Je lui dis ici et nous devons lui dire ici notre total soutien», a insisté Nicolas Turquois avant d'exposer l'objet de ses réticences. Selon lui, soumis à la législation anglaise, «Assange se trouve ainsi dans un Etat qui garantit les libertés individuelles et où la justice est indépendante. La France n'a pas vocation à interférer dans les décisions juridiques souveraines de ses alliés». C'est donc au Royaume-Uni de décider du cas d'Assange, selon le député MoDem, pour qui voter cette résolution «rendrait l'ingérence française dans les affaires juridiques de ses voisins légitime et mettrait la France en porte-à-faux vis-à-vis du droit international».
Même son de cloche et même gêne pour le groupe Agir Ensemble, représenté à la tribune par Patricia Lemoine, qui a reconnu que le sujet était «sensible». «Personne ne peut rester insensible à la situation de Julian Assange, qui rappelons-le encourt une peine de prison de 175 ans de prison pour avoir commis le crime d'être lanceur d'alerte», a-t-elle déclaré, jugeant la situation du fondateur de Wikileaks «inacceptable sur le principe et contraire à nos valeurs humanistes et européennes». Toutefois, «donner le statut de réfugié politique à Julian Assange reviendrait à ne pas reconnaître l'impartialité des deux systèmes judiciaires» des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ce qui, du point de vue de son groupe, n'est pas possible. Agir Ensemble a donc voté contre la résolution.
En matière d'ingérence, la majorité présidentielle et le gouvernement se sont pourtant montrés bien plus véhéments lorsqu’il s’agissait de critiquer le Brexit, pourtant décision souveraine du peuple britannique, voire intrusifs en choisissant de soutenir l’opposant russe Alexeï Navalny ou encore de reconnaître l'opposant Juan Guaido comme président du Venezuela. Selon le pays concerné ou même le sujet traité, la non-ingérence du gouvernement français semble donc à géométrie variable. Pour le plus grand malheur de Julian Assange.
Meriem Laribi