Même si internet n'a pas de frontières, l'information peine à dépasser celles de la Suisse : le Grand Conseil du canton de Genève (le parlement cantonal), a adopté le 27 février à une large majorité une résolution invitant le gouvernement confédéral à délivrer de toute urgence un visa humanitaire à Julian Assange. Soutenu par six des sept partis représentés au Grand Conseil, le texte a été accepté par 57 oui, 16 non (du parti libéral-radical) et quatre abstentions.
Alors qu'une demande d'asile vient d'être faite à la Suisse par des ONG, le député écologiste genevois Jean Rossiaud à l'initiative de la démarche de visa humanitaire, contacté par RT France, explique la spécificité de sa demande : «C'est simplement une autorisation de séjour. Techniquement, c'est un canton qui doit le demander et c'est à la confédération que revient la décision.» Ce visa humanitaire accorde à son bénéficiaire un séjour court dont le durée établie est de trois mois renouvelables. «Cela permettra à Julian Assange de se soigner et de récupérer sa capacité à se projeter dans l'avenir», explique Jean Rossiaud. Le député dit suivre un dessein humanitaire s'appuyant sur les déclarations alarmantes de Nils Melzer, le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture qui a à maintes reprises alerté sur l'état physique et psychologique de Julian Assange.
Je pense que c'est le moment que la Suisse fasse preuve de courage
Pour que la demande de visa humanitaire devienne effective, Jean Rossiaud explique qu'il revient désormais à un représentant du lanceur d'alerte (un proche ou un avocat) d'aller dans l'ambassade suisse de Londres pour la formuler en bonne et due forme.
S'il ne sait pas précisément quand interviendra la réponse du gouvernement suisse, le député écologiste a bon espoir : «Je pense que c'est le moment que la Suisse fasse preuve de courage dans cette affaire et offre ses bons offices pour qu'une personne qui a été torturée puisse venir se faire soigner.» Interrogé par RT France sur le fait que la Suisse représente souvent les intérêts américains dans certains dossiers comme celui du Venezuela et de l'Iran et donc sur sa volonté de s'opposer frontalement à Washington sur un dossier aussi délicat que celui d'Assange, le député répond : «Cela permettra à la Suisse de montrer un peu d'indépendance. Représenter les intérêts des États-Unis sur certains dossiers ne devrait pas faire perdre de vue à la Suisse sa mission de bons offices». Pour Jean Rossiaud, la Suisse, capitale européenne de l'ONU, où siège le Conseil des droits de l'homme, le CICR, «ce qu'on appelle nous la "Genève internationale", ce serait incompréhensible que la confédération ne fasse pas ce geste humanitaire». Le 2 mars, devant la presse, le Zurichois Nils Melzer a estimé qu'un visa humanitaire suisse pour Julian Assange permettrait à toutes les parties «de ne pas perdre la face».
De la liberté conditionnelle
Si Julian Assange obtient ce visa, il n'y a cependant aucune garantie que le chemin de croix du lanceur d'alerte s'achève pour autant. En effet, la Grande-Bretagne peut s'opposer à sa sortie de prison.
Pour Jean Rossiaud, «il faudrait déjà que les avocats d'Assange demandent la liberté conditionnelle. D'ailleurs, on ne comprend pas pourquoi ils ne la demandent pas car il n'y a plus de charges contre lui». Condamné le 1er mai 2019 à 50 semaines de prison pour violation de ses conditions de liberté provisoire, le lanceur d'alerte a en effet purgé les trois quarts de cette peine et est potentiellement libérable dans le cadre de cette condamnation. Force est de constater que la stratégie de défense des avocats de Julian Assange les poussent, pour le moment à ne pas redemander cette libération conditionnelle, refusée en novembre 2019 selon le père de Julian Assange, interrogé par RT France. Par ailleurs, le volet américain de ses ennuis judiciaires et la demande d’extradition étasunienne pourraient potentiellement conduire la Grande-Bretagne à le maintenir en détention.
Le fondateur de Wikileaks, âgé de 48 ans, est détenu dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, près de Londres, depuis avril 2019, date à laquelle il avait été sorti de force de l'ambassade d'Equateur où il avait séjourné sept ans dans des locaux exigus. Julian Assange avait trouvé refuge dans cette représentation diplomatique après avoir obtenu l'asile accordé par le président Rafael Correa. Son successeur Lenin Moreno a mis fin à ce droit et a déchu le lanceur d'alerte de la citoyenneté équatorienne qui lui avait été accordée. Les Etats-Unis, qui ont dressé 17 chefs d'inculpation à son encontre, réclament son extradition. S'ils l'obtiennent, Julian Assange risque 175 ans de prison pour avoir diffusé à partir de 2010 plus de 700 000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques américaines, notamment en Irak et en Afghanistan qui ont maintes fois mis Washington dans l'embarras.
Meriem Laribi