France

Céline Pina : «La gauche s'est détournée de la dimension universaliste pour servir des clientèles»

L'ancienne élue socialiste Céline Pina analyse la faiblesse actuelle de la gauche dans le paysage politique. Wokisme, racialisme, «Primaire populaire», échec d'Arnaud Montebourg et du PS… Céline Pina est sans concession.

L'essayiste et ancienne conseillère régionale d'Ile-de-France du Parti socialiste [PS] Céline Pina dresse un portrait peu flatteur de la gauche, à moins de trois mois de la présidentielle. Eloignée depuis plusieurs années du PS, elle fait l'autopsie de l'effondrement de la gauche.

RT France : Le quinquennat d'Emmanuel Macron a été marqué par la réforme du Code du travail, le mouvement des Gilets jaunes et diverses contestations sociales – comme au sein de la fonction publique ou chez les cheminots – ou une crise du pouvoir d'achat. Or, si l'on s'en tient aux sondages, mais aussi aux élections intermédiaires (hormis les régionales et municipales avec un contexte particulier), la gauche semble aux abois. Comment l'expliquez-vous ?

Céline Pina (C. P.) : Quand vous tournez le dos à toute votre histoire et tous vos fondamentaux, il est normal que vous perdiez votre socle d'électeurs traditionnels. Choisir la guerre des races au détriment de la lutte des classes ne fonctionne absolument pas. La gauche ne défend plus la justice sociale, ni le monde du travail. Elle a abandonné la défense des petites gens. Elle s'est tournée vers une clientèle de minorités, qu'elle soit raciale ou sexuelle, érigeant les différences en identités agressives instruisant des procès en racisme à la société, traitant d’extrémiste de droite ou de fasciste ceux qui refusaient cette évolution. Ce faisant, elle a abandonné toute la dimension de luttes pour l'égalité.

La gauche a sombré dans le wokisme et le racialisme

Cette gauche qui voit tout sous le prisme de la domination a évacué l’idée de solidarité, cesse d’investir sur l’éducation et ne croit plus dans l’excellence, le mérite ni la mobilité sociale. Sur le sujet de l'ascension sociale, elle se retrouve de fait complètement désavouée par le monde du travail et par une partie des gens qui viennent de l'immigration. Ceux-ci sont venus en France parce qu'ils voulaient accéder à l'égalité, changer leur condition et non pour se retrouver parqués, enfermés dans une identité liée à leur couleur de peau ou à leur origine ethnique.

La gauche s'est détournée de la dimension universaliste pour servir des clientèles ultra-minoritaires et cela a donné, comme résultat, une gauche déconnectée du réel et du social. Elle a sombré dans le wokisme et le racialisme qui n'est jamais qu'une forme de racisme.

RT France : Durant cette campagne présidentielle, la candidature aujourd'hui abandonnée d'Arnaud Montebourg et celle du communiste Fabien Roussel ne sont pas dans la philosophie racialiste ou du wokisme. Ils ont davantage privilégié un programme basé sur la lutte des classes. Les deux n'ont pourtant pas créé de dynamique. Comment l'analysez-vous ?

C. P. : Ces deux candidatures ont eu peu d'écho dans les grands médias. Une bonne partie des gens n'étaient même pas au courant qu'Arnaud Montebourg a été candidat. Et ces candidatures ont des prédateurs naturels qui sont liés à leur appartenance.

Concernant Arnaud Montebourg, il est extrêmement associé au Parti socialiste. Quand il a parlé d'interdire les fonds [vers les pays non coopératifs qui refuseraient de récupérer leurs ressortissants interdits de territoire en France], ce qu'il a dit était très juste. Beaucoup de personnes envoient presque tout ce qu’ils gagnent au pays, créant des difficultés quotidiennes pour leurs enfants alors que ceux-ci sont destinés à rester et à faire leur vie en France. Cela participe aux difficultés d’intégration, à un refus de choisir et d’accepter ce que signifie la migration. Cela enferme les personnes dans des conflits de loyauté qui impactent leur avenir et celui de leurs enfants.

Arnaud Montebourg a été traité de quasi-fasciste par sa famille politique. Avoir une liberté de parole lui a été refusé. Dès qu'il n'a plus été dans les clous du PS, des gages lui ont été réclamés.

Il y a aussi la question de la crédibilité. Vous pouvez avoir un programme intéressant mais être vu comme étant quelqu'un d'un peu velléitaire, de trop original pour qu'on puisse investir sur vous. La notoriété n'est pas gage de crédibilité dans l'action politique.

RT France : Et qu'en est-il de Fabien Roussel, toujours en lice pour la présidentielle, mais ne souffrant d'aucune dynamique actuellement ? 

C. P. : Fabien Roussel appartient à une tradition politique très forte, qui est le Parti communiste. Même si des gens peuvent apprécier ce que dit Fabien Roussel, ceux-ci vont saluer son courage, mais n'iront pas forcément jusqu'à réorienter leur vote. Aussi, le PC est très divisé aujourd'hui. Si on peut faire confiance en l'esprit républicain de Fabien Roussel, il n'est pas certain que le parti soit dans la même logique. Je constate qu'il se fait attaquer par ses propres troupes de façon assez violente. Cela nuit à sa crédibilité. Au moment du vote, on peut se poser la question : «Vote-t-on pour Fabien Roussel ou pour le Parti communiste français, dont la dérive racialiste se voit dans le discours d'un certain nombre de ses militants et dans l'évolution du syndicalisme qui lui est lié ?»

RT France : Certainement un symptôme : la candidate du Parti socialiste, Anne Hidalgo, ne décolle pas non plus. N'est-ce pas aussi le fait que l'ancien parti ultradominant à gauche, le PS, n'a toujours pas fait le bilan du quinquennat Hollande ?

C. P. : Le parti d'Emmanuel Macron a aspiré nombre de personnes venues du PS. C'est le cas de l'entourage autour de Dominique Strauss-Kahn et d'une partie de l'entourage de Laurent Fabius, bref de la droite du PS, à l'instar du porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, de Stéphane Séjourné ou de Benjamin Griveaux. Une partie de ceux qu'on appelle les «Mormons». Ce sont des gens qui ont un très haut niveau de formation et qui ont plus d'ambitions que de convictions. La génération du renouvellement est partie chez Emmanuel Macron, là où elle pouvait trouver des postes rapidement.

Ne reste aujourd'hui au PS que le fond de cuve, des gens qui n'incarnent personne et n'entraînent personne avec eux ou des barons locaux qui n'ont besoin de personne et qui ne vont pas se battre pour un parti en perdition.

Ne reste aujourd'hui au PS que le fond de cuve

Vous avez encore des gens au PS qui finiront par rejoindre LREM ou le MoDem, tout simplement parce que ce sont des partis qui ne sont pas exigeants en termes de ligne politique. A LREM ou au MoDem, vous pouvez raconter ce que vous voulez pour vous faire élire. Ce sont des partis qui n'ont pas une identité forte, mais les anciens socialistes qui les rejoignent peuvent bénéficier de toute une infrastructure avec des militants, une capacité d’emprunt, une image collective.

RT France : Le PS serait-il donc voué à disparaître ?

C. P. : Il ne sera pas le premier, ni le dernier. En revanche, la tradition socialiste, sans doute pas. Mais aujourd'hui le Parti socialiste, tel qu'il est, est évidemment en train de mourir et ne laisse pas beaucoup de regrets derrière lui.

RT France : Pour l'instant à gauche, Jean-Luc Mélenchon reste le leader, si l'on en croit les intentions de vote. Pourtant, il apparaît que La France insoumise n'a pas réussi à confirmer son potentiel électoral de la dernière présidentielle, en témoignent notamment les élections intermédiaires. Est-ce simplement dû à un changement de ligne des Insoumis durant ces dernières années, passant grosso modo de la lutte sociale à la lutte raciale ?

C. P. : Très clairement oui. En fait, Jean-Luc Mélenchon était devenu la valeur refuge des gens de gauche qui voyaient leur parti abandonner tout ce qui était les fondamentaux d'une politique socialiste ou ancrée à gauche. Pour moi par exemple, voter Jean-Luc Mélenchon en 2017 pour la présidentielle, c'était tout à fait possible. Il avait une ligne républicaine. Il semblait tenir aux fondamentaux de la vieille maison. Il était crédité comme un homme de convictions. Or, quand on a vu qu'il était prêt à renier tout ce qu'il a été, simplement pour continuer à exister, sombrant dans un clientélisme éhonté, il a énormément perdu en crédibilité. Il a investi la clientèle racialiste et son talent lui permet d'en préempter la plus grande partie. Mais cela ne sera jamais une majorité vu que ce n'est pas l'identité de la France.

Sombrant dans un clientélisme éhonté, Jean-Luc Mélenchon a énormément perdu en crédibilité

Il a également révélé ses limites et son absence de contrôle lors des perquisitions ou lorsqu'il a insulté des journalistes. Il s'est ridiculisé et a dévoilé le revers noir de son talent oratoire. Je trouve également révélateurs ses échanges avec le monde du travail, notamment lors d'un échange avec un cheminot. Il s'est montré extrêmement méprisant et ramenant tout à lui, alors qu'il passait son temps à expliquer que le monde du travail était ce qu'il respectait le plus. Jean-Luc Mélenchon peut se montrer aussi méprisant qu'un homme comme Emmanuel Macron. Son parcours est celui d'un apparatchik, qui n'a jamais travaillé et qui a vécu toute sa vie de prébendes politiques, et on le voit donnant des leçons à des ouvriers. Cela a laissé des traces.

RT France : Que pensez-vous des tentatives d'union de la gauche, censées la renforcer ?

C. P. : Il y a quelques mois, une étude avait été faite en additionnant toutes les voix des candidats qui se présentaient à la présidentielle et en imaginant une candidature unique. Sauf que cette candidature unique faisait moins que l'addition des scores individuels. L'union de la gauche ne peut pas faire un effet levier. D'une part, les axes autour desquels la gauche pourrait construire cette candidature unique sont désavoués par les Français. On le voit dans la tentative de «Primaire populaire». Les personnes qui sont à la tête de cette initiative, comme Samuel Grzybowski ou Fatima Ouassak, sont des personnalités controversées. L’un est un allié objectif des Frères musulmans, l’autre une indigéniste qui accuse la France de racisme systémique. Refus du nucléaire, rejet de la police, écriture inclusive et, pour le reste, indigence des propositions. Rien qui ressemble à une vision pour l’avenir, rien qui puisse rassembler le peuple de gauche ou intéresser le peuple tout court.

L'union de la gauche ne peut pas faire un effet levier

Les promoteurs de l'union de la gauche sont en plus dans une dimension très incantatoire. Mais quand ils évoquent la justice sociale, on voit bien qu'ils n'ont aucune idée de ce dont ils parlent. Par exemple, alors que l'ascenseur social repose sur l'investissement dans l’éducation, ces gens soutiennent ce qu'il y a de pire dans le monde scolaire, comme Sud éducation ou le Front des mères. Des organisations qui ne sont que dans la victimisation, qui parlent de privilèges blancs… Ils ont oublié que c’était l’exigence, l’investissement dans le mérite qui permettait que les inégalités de naissance ne se traduisent pas en inégalités de destin.

L'union de la gauche, même si elle se produisait, ne suffira pas à faire que cette gauche pèse dans le paysage politique. Il y a enfin un problème d'incarnation : personne ne suscite un élan d'adhésion. Aucun d’eux n’est crédible quand il s’agit d’imaginer qu’ils puissent donner un avenir à notre pays.

RT France : Samuel Grzybowski s'est défendu d'être proche des Frères musulmans...

C. P. : C’est normal, ce n’est pas une proximité qui honore. Mais il est hypocrite. Il suffit de regarder à quel point il a pu soutenir le CCIF [Collectif contre l'islamophobie en France, organisation aujourd'hui dissoute par le ministère de l'Intérieur], Idriss Sihamedi qui était le président de Baraka City [association également dissoute pour sa proximité avec l'islam radical], Lallab [association de défense des femmes musulmanes]. Des organisations clairement proches des Frères musulmans. Evidemment que Samuel Grzybowski s'en défend, les Frères musulmans, ce n'est pas mieux que le nazisme.

Ils leur bourrent le crâne avec l'idée [...] que notre pays est colonialiste, que s’intégrer c’est trahir sa famille, ses origines, sa "race"

Enfin, un épisode marquant reste la réunion de centres sociaux le 22 octobre 2020 à laquelle participait la secrétaire d'Etat Sarah El Haïry. Elle s'est retrouvée attaquée par 
des jeunes mettant en cause la laïcité et les valeurs de la République. Elle a eu beaucoup de mal à se faire entendre. La réunion avait notamment été organisée par l'association Coexister de Samuel Grzybowski. Sarah El Haïry s'est retrouvée en face d'un travail idéologique qui a été mené sur nombre d'enfants fragiles. Vous avez des gens – on peut aussi citer Rokhaya Diallo ou des membres de La France insoumise – qui tirent tout leur pouvoir et leur légitimité en enfermant les gens dans une identité victimaire et en se faisant les représentants de 
leur race ou de leur religion. Mais cela envoie des masses de jeunes dans le mur parce qu'ils leur bourrent le crâne avec l'idée qu'ils n’ont pas leur place dans notre pays, que celui-ci est colonialiste, que s’intégrer c’est trahir sa famille, ses origines, sa «race». Or, cette façon de regarder la société et de la détester ne leur permet pas de se créer un avenir.

RT France : La gauche s'apprête-t-elle à votre avis à une longue traversée du désert ?

C. P. : Quand on regarde aujourd'hui l'état dans lequel elle est, une longue traversée du désert s'annonce pour la gauche. En tout cas, telle qu'elle est aujourd'hui. Il est probable qu'Emmanuel Macron sera réélu en 2022. Cette réélection se fera sur un champ de ruines politique avec une légitimité minimale. On voit les problèmes sociaux se dessiner : pouvoir d'achat en berne, inflation, précarité, recul des services publics… Or, quand on regarde le niveau de la dette, on comprend bien que ce qui s'annonce annonce plus l'austérité et les difficultés sociales que les lendemains qui chantent.

Peut-être qu'on aura une recomposition totale du paysage politique avec des gens qui reprendront les fondamentaux d'une gauche défendant le travail, la réindustrialisation, la sécurité sociale. Il faudra que ce soit aussi une gauche qui ne refuse pas d'assumer la dimension civilisationnelle

On se dirige vers une crise financière, une crise du pouvoir d'achat et donc vers une crise sociale énorme avec un pouvoir faible. On a déjà vécu les Gilets jaunes et, à mon avis, on peut très vite, après l'élection présidentielle, retrouver la même dynamique et à terme une explosion de violence. Au terme de cette crise-là, peut-être qu'on aura une recomposition totale du paysage politique avec des gens qui reprendront les fondamentaux d'une gauche défendant le travail, la réindustrialisation, la sécurité sociale. Il faudra que ce soit aussi une gauche qui ne refuse pas d'assumer la dimension civilisationnelle, qui porte les acquis de la culture et défend l'égalité, refusant d'être enfermée dans la race, l'ethnie et la religion. Les Français y sont encore très attachés.

RT France : En 2017, vous aviez brièvement soutenu le candidat chevènementiste Bastien Faudot (MRC) avant qu'il ne soutienne Benoît Hamon. Dernièrement, vous avez annoncé soutenir la démarche de Georges Kuzmanovic pour une candidature à la présidentielle, tenant d’une ligne dite «souverainiste» à gauche. Pour vous, c’est en quelque sorte le gaullisme de gauche qui pourrait permettre à celle-ci de retrouver l’électorat populaire et convaincre les abstentionnistes ?

C. P. : Je dirais le gaullisme, qu'il soit de gauche ou de droite, pourrait me convenir tout à fait. Je suis angoissée pour l'avenir de mon pays. Aujourd'hui, je suis éloignée de tout parti, je ne suis plus une militante et même si je soutiens Georges Kuzmanovic, je n'ai pas de rôle dans sa campagne, ni adhéré à son parti. En revanche, je me retrouve dans ce qu'il dit. Si aujourd'hui, je sens que quelqu'un a une vision civilisationnelle, de justice sociale et de respect du travail, je suis prête à le soutenir. Et pour moi, Emmanuel Macron n'incarne absolument pas ces valeurs-là.

J'en ai un peu assez de voter blanc ou de voter castor, notamment au second tour de la présidentielle. Mon vote n'a plus aucun sens. Quand vous avez un certain nombre de convictions, c'est insupportable.

RT France : Et quelle est votre position quant à la droite, qui se réfère régulièrement au général de Gaulle ?

C. P. : Je paye pour voir. Je suis attentive à ce qui va se passer dans la campagne de Valérie Pécresse. Il y a des gens autour d'elle que je trouve intéressants, comme Patrick Stefanini. Vu que la gauche ne comptera pas pour cette élection, et que je n'ai pas envie de voter aux extrêmes, je ne peux que regarder avec intérêt la candidature de Valérie Pécresse. Néanmoins, j'aimerais que la ligne républicaine apparaisse plus clairement, de manière plus courageuse.

J'attends de la droite un courage qui a déserté la gauche et qui n'a jamais existé à LREM.

D'ailleurs, quand on voit la polémique sur la phrase d'Eric Zemmour sur les personnes handicapées... Tout le monde lui est tombé dessus alors qu'il soulevait un problème de fond. J'aurais aimé un vrai courage sur la politique du handicap et ce discours d'inclusion qui est faux. Car pour avoir de l'inclusion, il faut des moyens. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. J'attends de la droite un courage qui a déserté la gauche et qui n'a jamais existé à LREM.

Propos recueillis par Bastien Gouly