France

Maintien de l'ordre : comment Beauvau adapte son matériel aux nouveaux besoins

Le gouvernement trahit-il une certaine inquiétude sécuritaire ? La création de nouvelles unités spécialisées, après un vent de panique qui a saisi l'Elysée lors des moments les plus tempétueux de la crise des Gilets jaunes, interroge.

Avec le lancement le 2 juillet de la fameuse «Super-CRS» ou force d'appui rapide (FAR)... ou plus sobrement «CRS 8», comme l'a souligné un délégué syndical au téléphone, qui est censée répondre à des besoins rapides de projection de policiers expérimentés pour rétablir l'ordre dans un environnement dégradé, le gouvernement envoyait un double signal.

D'une part, les violences urbaines comme celles qui se sont produites à Dijon en juin 2020 seraient dorénavant jugulées au plus vite. D'autre part, les opérations de maintien de l'ordre XXL comme celles qui ont été données à voir pendant la crise des Gilets jaunes auraient une réplique appropriée.

A cette fin, il fallait cependant une lucidité et une volonté politiques pour former de nouvelles unités et les doter de matériels adéquats.

Une source policière de terrain interrogée par RT France a notamment fait part son incrédulité : «La sécurité publique du quotidien est progressivement délaissée au profit des unités spécialisées dans le maintien de l'ordre», estimait ainsi ce fonctionnaire d'Ile-de-France dépité par le manque de moyens accordés à certains commissariats en regard de ceux dont bénéficient des équipes pilotes comme la CRS 8, par exemple.

Le policier interrogé par RT France s'est notamment interrogé au sujet de l'achat programmé de nombreux drones par Beauvau : depuis 2020, plus de 550 micro-drones du quotidien pour près de deux millions d'euros, 66 drones de capacité nationale pour plus de 1,5 millions d'euros et une vingtaine de nano-drones spécialisés pour 175 000 euros.

Par ailleurs, le fonctionnaire a évoqué, en cette semaine de salon de l'armement Milipol à Villepinte, l'acquisition prochaine de véhicules de franchissement de barricades par la CRS 8 de Bièvres, qui doivent venir équiper la CRS 8 quand elle sera totalement opérationnelle. Et de commenter : «Là, on sent vraiment que c'est pour aller sur des gros MO [maintiens de l'ordre], de type Gilets jaunes... Pas pour aller lutter contre la délinquance.»

«On s'adapte à tout et en permanence, en CRS, c'est notre grande force !»

Interrogé par RT France, David Savin, délégué Unsa-Police CRS pour la zone francilienne qui défend entre autres, les droits de ses collègues de la CRS 8, a précisé au téléphone : «La CRS 8 de Bièvres est prévue pour rétablir l'ordre dans un environnement dégradé à fort engagement, donc il y a logiquement des moyens qui sont alloués pour accomplir cette mission, notamment des nouveaux véhicules, parmi lesquels, de nouvelles tenues coupe-feu qui retardent les flammes [encore à l'étude, mais visibles à Milipol et présentées en couverture de cet article], de nouveaux camions avec des moteurs puissants pour projeter cette force rapidement [des camions Fiat Ducato gris qui étaient également visibles à Milipol] et deux 4x4 de franchissement qui ne sont pas encore dotés.»

Les fameux 4x4 ne devraient pas arriver avant 2022, les tenues et les véhicules seront disponibles un peu plus tôt pour cette nouvelle compagnie qui a été créée avec une certaine notion d'«urgence», selon le syndicaliste.

Et de justifier : «La CRS 8 était déjà une compagnie pilote, c'est pour cela qu'elle a été choisie pour implanter ce nouveau dispositif, mais elle essuie les plâtres avec très peu de recul. Pour le moment, les collègues utilisent du matériel lambda et essaie de nouveaux matériels ponctuellement pour amener plus d'efficacité sur le terrain. A terme, on parle même de projection aéroportée pour arriver plus vite sur zone.»

Le délégué syndical reconnaît volontiers que la «police évolue en fonction de l'actualité» sous l'impulsion du domaine politique notamment et que l'horizon flou d'une nouvelle version du schéma national du maintien de l'ordre potentiellement au mois de novembre (conformément aux annonces d'Emmanuel Macron en clôture du Beauvau de la Sécurité le 14 septembre après un camouflet du Conseil d'Etat sur la première version du texte) pourrait également faire évoluer la doctrine d'emploi des forces.

David Savin fait cependant front avec ses collègues CRS : «On s'adapte à tout et en permanence, en CRS, c'est notre grande force ! L'essentiel de la CRS 8, c'était d'avoir des professionnels déjà formés et pas des sorties d'école, les moyens viennent ensuite, crescendo

Et de conclure avec pondération : «Nous espérons seulement que les opérations de maintien de l'ordre futures seront plus calmes que lors des manifestations de Gilets jaunes. Nous sommes là pour assurer l'ordre et la CRS 8 est justement prévue pour permettre de faire désescalader une menace avant qu'elle ne monte en pression.»

Une source du renseignement à la préfecture de police de Paris affirmait récemment auprès de RT France : «L'Elysée a eu très peur en 2018, surtout pendant les quatre premières manifestations de Gilets jaunes, je peux vous le dire, j'ai eu récemment une confirmation en ce sens. Ils ne s'attendaient pas à un mouvement d'une telle ampleur et c'est pour cela qu'ils ont dû déployer divers services de police qui n'étaient pas du tout spécialisés en maintien de l'ordre. Mais à présent, on dirait que le président a repris du poil de la bête.»

Les fabricants de solutions de défense face au défi de l'évolution du maintien de l'ordre

Il suffit de déambuler dans les travées du salon d'armement Milipol à Villepinte du 19 au 22 octobre pour s'apercevoir que les fabricants de solutions de défense à destination des forces de sécurité intérieure françaises veulent saisir le changement et adapter leur offre de produits.

Concernant les fameux lanceurs de balle de défense, un distributeur français spécialisé dans l'import-export a estimé auprès de RT France que le fabricant suisse B&T qui fournissait le LBD40 allait probablement cesser de commercialiser cette arme pourtant vendue initialement comme lance-grenade après avoir perdu le dernier appel d'offres pour réassortir la dotation en police et en gendarmerie, au profit du mystérieux Alsetex, qui interdisait toute interview ou photographie pendant le salon, comme à son habitude.

La source interrogée a notamment évoqué les polémiques liées à cette arme au cours des manifestations de Gilets jaunes, avec les très graves blessures constatées à la tête de plusieurs manifestants.

Quelques encablures plus loin dans ce même salon, on pouvait également rencontrer les commerciaux du groupe belge FN Herstal, d'ordinaire plutôt spécialisé dans la fabrication de fusils d'assaut et de mitrailleuses, mais qui veut dorénavant enrichir son catalogue de solutions à létalité réduite.

Sur les salons, l'armurier liégeois propose aux policiers du monde entier de prendre en main son prototype Smart Protector : un pistolet qui envoie des projectiles à létalité réduite mais qui peut indiquer à l'opérateur (jusqu'à lui interdire d'effectuer le tir, mais le modèle est toujours à l'étude) qu'il vise une tête, grâce à une caméra qui reconnaît la forme d'un visage.

Le prospectus vantant le produit explique : «A la différence de certains moyens de force intermédiaire aujourd'hui disponibles sur le marché, aucune distance de sécurité n'est requise. [...] Associé au FN306 [lanceur] le FN Victor-SP [caméra] est un système innovant d'aide à la sécurité qui capte et analyse en temps réel les images du corps (zone autorisée, zone interdite). En cas de reconnaissance d'une zone d'exclusion de tir comme la tête, le système en informe le tireur ou rend le tir inopérant.»

Un agent présent sur le stand faisait cependant valoir que les opérateurs interrogés au gré des salons étaient majoritairement opposés à l'idée de manipuler une arme leur interdisant d'effectuer un tir. Par ailleurs, la phase de test de ce prototype n'est pas terminée et il est vraisemblablement loin d'arriver sur étagère.

A la manière des nouvelles unités pourvues de véhicules rapides ou de franchissement, on peut toutefois constater avec ce genre de tentatives à l'étude que le maintien de l'ordre change de morphologie et que les polémiques, même lorsqu'elles ne sont pas pleinement assumées publiquement par le gouvernement, sont bien intégrées, notamment par les fabricants.

Antoine Boitel