Comme annoncé depuis plusieurs mois, Anne Hidalgo, 62 ans, s'est officiellement portée candidate à la présidentielle. Cette déclaration a été faite le 12 septembre à Rouen, dans le fief de l'un de ses soutiens, Nicolas Mayer-Rossignol. Tenir un premier discours en dehors de la capitale était aussi un symbole pour la maire de Paris. Car, nul doute, elle aura un premier défi à relever dans cette campagne : casser l'image de la candidate des urbains des métropoles. Une première tentative de communication a esquissé ce tournant lorsqu'elle a posé pour Paris Match le 8 juillet, avec un cliché dans un pré au milieu des vaches, toute souriante.
Elle risque néanmoins d'être rapidement confrontée à quelques écueils, comme celui de ne pas lâcher la fonction d'édile alors même qu'une campagne présidentielle demande du temps et des déplacements réguliers hors de la capitale. Elle assume cette double casquette. «Elle va exercer ses compétences de maire de Paris de manière complète et entière [tout en étant] en campagne quelques jours par semaine», explique son cabinet auprès de l'AFP.
Elle va de surcroît être régulièrement rattrapée par l'une de ses anciennes déclarations, véritable épine dans le pied. En pleine campagne pour sa réélection à l'hôtel de ville de Paris, elle soutenait alors avec fermeté que, «surtout pas», elle ne serait candidate en 2022. «Je considère qu'il y a un endroit où on peut agir aujourd'hui – qui est un endroit très stratégique – c'est celui des villes [...] Vous pouvez archiver», ajoutait-elle. L'archive est désormais relayée en boucle sur les réseaux sociaux.
Cette candidature, Anne Hidalgo l'a pourtant préparée depuis des mois. Elle a débuté un tour de France en février, avec une première visite à Nancy. En mars 2021, elle a même créé son mouvement, Idées en commun, reprenant ainsi les éléments de langage de son slogan des municipales, Paris en commun. A sa tête, Anne Hidalgo a placé la présidente de la région Occitanie, Carole Delga. Et c'est là, indéniablement, l'une de ses forces : pouvoir compter parmi ses soutiens un réseau d'élus qu'on appelle dans les coulisses «les quadras» (même si désormais la plupart sont plutôt quinquas), des socialistes majoritairement réélus et bien implantés depuis des années au sein de leur territoire.
A gauche, l'exaltation n'est pas là
Soutenue par les principaux cadres du PS, et en premier lieu par son premier secrétaire Olivier Faure, Anne Hidalgo ne fait toutefois pas l'unanimité chez les sympathisants socialistes, comme l'illustre sa venue à Montpellier pour les Journées parlementaires des socialistes et apparentés début septembre. Certes, elle avait reçu des applaudissements courtois. Mais l'ambiance générale était globalement tiède à son égard, loin de l'euphorie et de toute ferveur, comme nous le confirme un assistant parlementaire, un peu circonspect d'ailleurs sur son discours général. Celui-ci vantait particulièrement la social-démocratie ou l'Union européenne avec le mantra très hollandien d'une Europe plus «sociale» et évidemment – pour coller à l'actualité – plus «écologique». Une Europe qu'elle voit du reste plus intégrée, soutenant par exemple l'Europe de la défense.
Nul doute, Anne Hidalgo aura à faire face à des socialistes, anciens-PS, favorables à une candidature plus à gauche ou en tout cas, plus tranchante sur le social-libéralisme. L'ancienne ministre et sénatrice, Laurence Rossignol, a par exemple fait le choix Arnaud Montebourg. D'anciens frondeurs, membres de la Gauche républicaine et socialiste, se tâtent pour leur part entre soutenir le promoteur du Made in France ou maintenir leur confiance à Jean-Luc Mélenchon. Nombre d'élus PS semblent davantage être dans l'attentisme, emballés par aucune des candidatures, préférant un retrait d'Anne Hidalgo ou d'Arnaud Montebourg pour, de fait, faciliter leur adhésion.
Alors que celui-ci a d'ores et déjà esquissé un programme politique liant protectionnisme et relance économique, Anne Hidalgo tente peu à peu de rivaliser. Elle aussi veut jouer sur le terrain de la bataille contre l'austérité. A Rouen, elle a insisté sur la hausse nécessaire des salaires pour «valoriser le travail» et sur le renforcement des services publics, comme la santé, en «mettant fin» aux déserts médicaux. On pourrait presque y voir du François Hollande qui, en 2012, quelques mois avant son élection, dénonçait au Bourget le milieu de la finance et la règle d'or budgétaire. A la fin, on connaît l'histoire de cette fable.
Le 10 septembre, Anne Hidalgo avait laissé fuiter quelques pages de son prochain livre à paraître le 15 septembre, avec une mesure-phare et quelque peu surprenante : multiplier par deux le salaire des enseignants sur l'ensemble du quinquennat. Elle n'est pas revenue sur cette idée à Rouen, même si elle a tenu à faire une ode à l'école et aux professeurs à qui elle «doit sa liberté». D'aucuns jugent la proposition un peu fantaisiste. Dubitatif, Jean-Luc Mélenchon a calculé que cela coûterait près de 60 milliards d'euros par an à l'Etat. Le leader de La France insoumise préfère pour sa part s'en tenir aux revendications des syndicats : créer des postes et rattraper les gels du point d'indice avec une revalorisation, pour une estimation totale de 3,1 milliards d'euros. Une jardinière de Paris, membre de la CGT, voit tout autant de l'hypocrisie dans la promesse : «A la Ville de Paris, vous avez la possibilité de faire évoluer nos grilles indiciaires. D'augmenter nos salaires tout simplement. En particulier ceux des catégories C et des professions féminisées qui sont encore moins payées. Vous ne le faites pas. Je gagne 1430 [euros].»
Sans aucun doute, Anne Hidalgo sera sans cesse renvoyée à sa gestion de Paris. Les réseaux sociaux ne l'aideront pas. Les internautes, toute tendance politique voire sans appartenance, se relaient sans cesse pour alerter du «saccage». Avec le hashtag «SaccageParis», des photos sont régulièrement publiées pour démontrer le manque cruel d'entretien de la ville. Des centaines de Parisiens ont en outre manifesté le 6 juillet devant l'hôtel de ville pour dénoncer la politique d'aménagement. Ils se sont même rendus à Rouen pour perturber l'acte de candidature.
Confessant à Rouen qu'en étant maire de Paris, elle a appris «qu'exercer le pouvoir était difficile [et] qu'on ne réussissait pas tout, [notamment] changer nos habitudes», Anne Hidalgo aura certainement une communication à travailler pour infirmer la contestation parisienne. Toutefois, première adjointe de 2001 à 2014, puis maire depuis cette date, n'a-t-elle pas remporté plusieurs fois les suffrages des Parisiens ? Elle peut se reposer sur cette assise électorale pour contrer ces critiques-là. D'autant plus qu'administrer la première ville de France peut être un bon tremplin pour l'Elysée. Avant d'être chef de l'Etat, Jacques Chirac fut bien maire entre 1977 et 1995. Il avait du reste promis qu'avant la fin de son dernier mandat, la Seine serait rendue propre à la baignade et que lui-même y piquerait une tête. Cette promesse n'a jamais été tenue et le maire devint président. Mais à la différence du Corrézien Jacques Chirac – qui a été président du Conseil régional et député en parallèle de la mairie – Anne Hidalgo se cherche un ancrage moins francilien. Lors de ses dernières sorties, elle n'hésitait pas à rappeler ses origines espagnoles. A Rouen, elle a d'ailleurs vanté son ascension sociale, le fait d'avoir été élevée à Lyon par des parents à la situation modeste et que rien «ne la prédestinait» à un tel destin. Anne Hidalgo sait qu'elle a l'obligation d'incarner l'image d'une candidate pouvant s'adresser au-delà du périphérique parisien et des gagnants de la mondialisation.
La social-écologie : écologie bobo ou écologie pour tous ?
Sans réelle surprise en 2021, Anne Hidalgo place en outre l'écologie au centre de son programme et de son projet de réindustrialisation. L'un de ses premiers soutiens, le maire de Bourg-en-Bresse Jean-François Debat, nomme cela la social-écologie.
Mais là encore, comment va-t-elle se détacher des mesures qu'elle a prises en tant que maire de Paris ? Si dans la capitale, la guerre contre l'automobile est l'un de ses chevaux de bataille, est-ce un modèle à copier pour le reste de la France ? A Rouen, elle a invité les Français à prendre conscience de la «nécessité» du changement, proposant un plan sur cinq ans pour «décarboner massivement notre économie».
Pas certain que cela la rapproche de la France dite «périphérique», où la voiture reste essentielle pour la plupart des déplacements (travail, supermarché, loisirs, etc.). Malgré certaines aides, nombre de Français ne peuvent encore se doter d'une voiture électrique, encore trop chère pour leur porte-monnaie. Dans le même esprit, elle a déjà affiché sa volonté d'en finir avec l'industrie nucléaire – qui fait pourtant vivre des bassins d'emplois en province – et d'augmenter les installations d'éoliennes et panneaux photovoltaïques. Là encore, la France hors des métropoles risque de peu apprécier. Elle veut malgré tout rassurer le peuple. Cette transition écologique ne doit pas se faire «au détriment des classes moyennes et des catégories populaires», explique-t-elle.
Le 12 juillet à Villeurbanne, devant des maires et élus PS, elle a au demeurant précisé que ladite transition devait être «le moteur de notre projet, le moteur d’une nouvelle politique industrielle déployée dans toutes les régions», et s'appuyant sur les élus locaux, selon le récit fait par l'AFP. A Rouen, elle a confirmé cette volonté, soutenant que son quinquennat sera celui d'une «décentralisation aboutie».
Entre Europe Ecologie Les Verts et Emmanuel Macron, tout en étant en concurrence à gauche avec les candidatures de l'ancien socialiste Arnaud Montebourg, du communiste Fabien Roussel et de l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo a-t-elle toutefois un espace politique pour s'imposer au-delà des urbains des métropoles ? Il faudra probablement plus qu'un discours du Bourget pour convaincre, et possiblement rallier les autres candidats sous sa bannière.
Bastien Gouly