A un peu moins d'un an de la prochaine élection présidentielle, les deux scrutins locaux - régionales et départementales - qui vont se dérouler les 20 et 27 juin auront des allures d'échauffement pour les différentes forces de l'échiquier politique, qui en sauront un peu plus au soir des seconds tours sur l'évolution du paysage idéologique en France. Le concept de «front républicain» a-t-il toujours un sens face à la percée du RN ? La gauche est-elle encore capable de s'imposer ? Les Républicains disposent-ils d'un espace entre LREM et la droite radicale ?
A première vue, présidentielle d'un côté et régionales et départementales de l'autre n'offrent pas tellement de points communs électoraux. Dans le premier cas, l'électeur choisit une seule figure au niveau national, dans les seconds, il s’agit de désigner à travers des listes 1 758 conseillers régionaux et 4 056 conseillers départementaux qui éliront ensuite leur président.
Mais la proximité de la présidentielle, la participation de ministres, de candidats éventuels (Valérie Pécresse) ou déjà déclarés (Xavier Bertrand, Marine Le Pen) à l'élection de 2022, et le caractère particulier de la campagne - meetings en petits comités et porte-à-porte limité par un protocole sanitaire, Covid oblige - ont donné une allure nationale à ces scrutins. Preuve en est, c'est la sécurité qui s'est imposée comme le thème principal des débats en amont des élections. Alors même que la compétence relève essentiellement de l'Etat, les élus locaux n'ayant qu'une marge de manœuvre limitée dans le domaine.
La droite éparpillée façon puzzle
Répétition générale de 2022 donc, pour Emmanuel Macron d'abord. Le président de la République espère voir son parti La République en marche limiter la casse, alors que le mouvement peine depuis sa création à s'installer à l'échelon local. Aux régionales, une seule liste LREM semble pour l'instant en position de l'emporter, celle de Thierry Burlot en Bretagne, alliée avec l'UDI et le MoDem. Pour l’exécutif et la majorité, la présence de 15 ministres engagés dans les deux scrutins s'explique surtout par une volonté de gêner les partis ancrés localement, et de roder la stratégie de LREM malgré les multiples défaites à prévoir.
À l'image du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, représentant LREM dans le Pas-de-Calais sur la liste régionale de Laurent Pietraszewski. Le ministre de la Justice a mis en scène sa candidature comme un barrage au Rassemblement national, représenté dans la région par Sébastien Chenu et dans le Pas-de-Calais par Marine Le Pen. Comme un avant-goût de 2022, Emmanuel Macron comptant sur le «barrage républicain» face à la présidente du RN, sa principale opposante.
Pour le parti de la droite radicale, ces élections constituent un marchepied censé assoir sa crédibilité en vue de la présidentielle. En ce sens, le sondeur Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d’Harris Interactive, a évoqué auprès de l'AFP «une croissance de l’appétence à voir le RN exercer des responsabilités», pointant au passage le fait que lors des municipales 2020, des villes comme Perpignan ont vu la victoire du RN sans que cela suscite l'émoi.
Un exemple de recomposition politique
Le Rassemblement national est ainsi en position favorable, selon les sondages, en Bourgogne-Franche-Comté et en Centre-Val de Loire, et la question du «barrage républicain» décidera de l'issue dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d'Azur, où le parti de Marine Le Pen peut créer la surprise. Pour rappel, le RN n'a jamais administré de région ; il a donc tout à gagner et peu à perdre, si ce n'est un léger contretemps en vue de 2022 : «Ce serait un très bon signal pour le parti qui verrait sa stratégie de normalisation» confortée dans l'optique de gouverner, a expliqué sur LCI Jérôme Fourquet, le directeur du département opinion de l'Ifop.
La droite Les Républicains est en revanche dans une situation plus ambiguë. LR est la cible de l'autre front ouvert par la majorité LREM, qui cherche à l'éparpiller d'ici la présidentielle pour attirer son électorat vers la candidature d'Emmanuel Macron. L'opération la plus spectaculaire et commentée s'est déroulée en PACA, où le président LR sortant Renaud Muselier a choisi d'intégrer des personnalités LREM sur sa liste, au mépris des consignes de son propre parti, face à la menace du RN (et ex-LR) Thierry Mariani.
Cette union, façonnée en coulisses par l'ex-LR Thierry Solère, devenu conseiller de Macron, va «bien au-delà d’accords d’appareils», a assuré le Premier ministre Jean Castex, pour qui il s'agit d'un «exemple de recomposition politique». Cette logique d'alliances, ou de divisions pour assoir un règne, est un test de la part de la majorité présidentielle : comme l'écrit Ouest France, si la stratégie permet au parti de s'en sortir sans trop de dégâts lors de ces scrutins régionaux, «l’étiquette LREM disparaîtra au profit d’une appellation évoquant la formation d’une coalition élargie autour» d'Emmanuel Macron, dont la figure centrale est le principal carburant du vote LREM, d'où les limites du parti au niveau local.
Trois présidents de région sortants pensent à l'Elysée
Indépendamment de l'alliance en PACA, LREM va tenter de mettre des bâtons dans les roues d'une droite dont elle convoite les électeurs, dans les trois régions où celle-ci présente des candidats «présidentiables». Car Les Républicains vont devoir gérer les velléités de ces deux anciennes figures, Valérie Pécresse, en passe d'être réélue en Île-de-France, et Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France où il est favori, et de Laurent Wauquiez, toujours membre du parti, à la tête de l'Auvergne-Rhône-Alpes où son mandat devrait être renouvelé. Les trois pensent à l'Elysée l'an prochain et comptent s'appuyer sur leur score aux régionales comme décanteur de leur ambition présidentielle.
Enfin, il reste la gauche et sa constellation de partis (PS, EELV, LFI, PCF) où chacun espère prendre le leadership à l'issue des régionales, en vue de 2022. Les écologistes notamment veulent surfer sur leurs bons résultats aux européennes 2019 et aux municipales 2020 pour s'affirmer comme la première force à gauche, devant la France insoumise. Des alliances ont été mises en place entre les différents partis, très variables en fonction des régions, mais seules deux d'entre elles sont en position de l'emporter, à chaque fois au profit de présidents sortants : Carole Delga en Occitanie et Alain Rousset en Nouvelle-Aquitaine, deux socialistes soutenus par le Parti communiste et le Parti radical de gauche.
Une expérimentation va être scrutée en prévision de l'élection présidentielle : l'attelage qui réunit EELV, LFI, PCF et PS dans une liste commune menée par l'écologiste Karima Delli dans les Hauts-de-France. Placée en troisième position avec environ 22% dans les sondages, derrière Xavier Bertrand et Sébastien Chenu, cette liste peut constituer un laboratoire pour une éventuelle union de la gauche en 2022, aussi utopiste que cela puisse paraître compte tenu de divisions toujours saillantes. «PCF, PS, EELV : vous avez bien réfléchi ? Il y a encore des responsables chez vous capables au moins de répondre au téléphone ? Votre attitude irresponsable est suspecte», écrivait ainsi le 14 mai le leader des Insoumis Jean-Luc Mélenchon, à propos de la stratégie de la gauche en PACA. Comme une synthèse de l'ambiance au niveau national.