Un tweet pro-nucléaire d'Arnaud Montebourg a mis le feu aux poudres le 16 mars et provoqué des assauts de tweets de députés, élus et militants de La France insoumise (LFI). Rappel des faits : le leader LFI Jean-Luc Mélenchon a renouvelé son souhait, le 15 mars sur France inter, d'arrêter l'industrie nucléaire au «plus vite» estimant que «nous allons à l'accident». Il s'est projeté sur du 100% renouvelable (hydraulique, éolien, photovoltaïque) et propose, entre-temps, une transition avec des sources de production thermique (c'est-à-dire gaz ou charbon, fortement émetteurs de CO2) pour pallier les fermetures de réacteurs nucléaires. A la suite de cette interview, la section CGT de l'ancienne centrale de Fessenheim (totalement arrêtée depuis juin 2020) s'est moquée de la proposition de Jean-Luc Mélenchon : «Remplacer le nucléaire par le thermique [...] Vous êtes une catastrophe naturelle... Jean-Luc Mélenchon, si on a le temps on passera couper votre compteur... apparemment vous êtes équipé en énergies renouvelables.»
Un commentaire appuyé par Arnaud Montebourg qui n'a jamais caché son intérêt pour le moyen de production bas carbone que représente le nucléaire : «Merci à la CGT ! Nous avons fermé la centrale nucléaire de Fessenheim pour acheter de l’électricité aux centrales à charbon allemandes. L’urgence c’est l’extinction du charbon et pétrole pour diminuer les émissions européennes de CO2. Et nous avons besoin du nucléaire pour cela.»
Un tweet qui n'a guère plu aux principaux cadres LFI. Ceux-ci ont multiplié les critiques sur les réseaux sociaux à l'encontre d'Arnaud Montebourg. Le coordinateur de LFI et député du Nord Adrien Quatennens a par exemple dénoncé, dans un premier temps, le fait que l'ancien député PS de Saône-et-Loire «remerciait un syndicat de menacer de couper Jean-Luc Mélenchon parce qu’il défendait la sortie planifiée du nucléaire». Dans un deuxième temps, il a déploré que «le chantre du Made in France ne s'intéressait pas [...] à la planification écologique». Le député s'est aussi demandé si Arnaud Montebourg ferait «bientôt alliance avec Xavier Bertrand». Cette dernière pique fait référence à une information sortie dans plusieurs médias en janvier 2021, dévoilant qu'Arnaud Montebourg et l'actuel président de droite de la Région des Hauts-de-France s'entretenaient régulièrement.
Les reproches cinglants des Insoumis sont nombreux : le député Michel Lariveestime qu'Arnaud Montebourg «a un comportement irresponsable» ; pour le parlementaire Bastien Lachaud, Arnaud Montebourg «veut juste faire le buzz [et est] pathétique», notant que «la France mérite mieux que ça» ; l'eurodéputé Manuel Bompard dit qu'«il est aujourd'hui avéré que l'énergie nucléaire entrave le développement des énergies bas-carbone» ; le responsable communication LFI au parlement européen, Bastien Parisot, considère qu'Arnaud Montebourg «relaie les fake news des lobbys du nucléaire, méprise la planification écologique et applaudit des menaces contre Jean-Luc Mélenchon»... Les députés Ugo Bernalicis ou Mathilde Panot ont également participé à l'attaque groupée. Celle-ci ayant même décrit Arnaud Montebourg comme «un idiot utile de la Macronie».
D'aucuns pourraient voir dans cette opération insoumise un signe de fragilité de LFI, en manque de dynamique face à un probable outsider à l'élection présidentielle (et donc potentielle menace).
Dans tous les cas, cela montre que l'écologie, particulièrement le positionnement sur le nucléaire, est devenue un élément central au sein de la gauche. Les tenants du 100% renouvelable – misant sur le développement des énergies intermittentes éoliennes et photovoltaïques pour compenser la fin du nucléaire – sont dans des postures qui peuvent aujourd'hui difficilement s'associer avec ceux qui croient encore au potentiel de l'industrie de l'atome. Celle-ci est pourtant actuellement avec l'hydraulique le principal moyen de production électrique bas carbone et pilotable (une énergie qui peut être produite de manière régulière quelles que soient les conditions météorologiques). Néanmoins, depuis l'accident de Fukushima de 2011 et jusqu'en 2020, le nucléaire n'avait plus le vent en poupe dans l'opinion publique. S'adaptant, les partis semblent de fait vouloir manger sur les plates-bandes d'Europe Ecologie Les Verts (EELV), un parti de tradition antinucléaire, en garantissant une écologie se passant de l'atome. Reste à savoir si cette écologie est réaliste et pragmatique, ce qui est un élément de rupture entre les anti et pro-nucléaire.
La France insoumise a donc pris cette orientation «anti» et se positionne quasiment à l'identique du programme d'EELV sur le sujet. Génération.s, fondé par Benoît Hamon, est aussi sur cette ligne. Il n'est ainsi pas étonnant de voir l'ancien candidat du Parti socialiste (PS) rejoindre la liste EELV pour les élections régionales de 2021.
Et puis, il y a ces partis qui basculent ou ne tranchent pas, comme le Parti communiste ou le Parti socialiste. Celui-ci semble s'adapter au fil des alliances politiques : le gouvernement Jospin ferme le prototype de réacteur nouvelle génération Superphénix en 1998 sur la base d'un accord avec Les Verts, le quinquennat Hollande lance la fermeture de la centrale de Fessenheim... Si les socialistes au pouvoir étaient dans une ambition de réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique, il n'a pas mis fin à cette industrie, peut-être aussi pour les centaines de milliers d'emplois qui en dépendent (près de 220 000) et pour maintenir une électricité parmi les moins chères du monde, grâce à des réacteurs amortis sur le temps.
Historiquement pro-industrie et pro-nucléaire, le Parti communiste est aussi en plein débat interne. La tendance, comme au PS, semble aller vers un progressif basculement antinucléaire, avec une fronde menée, entre autres, par la députée Elsa Faucillon. Au milieu, cherchant le consensus, se trouvent l'adjoint à la mairie de Paris Ian Brossat ou le secrétaire national du parti Fabien Roussel. Celui-ci joue sur les ambiguïtés pour maintenir les troupes : il se scandalise de l'arrêt de Fessenheim mais confesse que la France doit réduire la part de nucléaire en France au profit des énergies intermittentes.
Les luttes écologiques médiatisées et la prétendue vague verte lors des municipales et européennes inspirent probablement les partis. Un cadre communiste regrettait ainsi en 2018, en amont du congrès, que ses «camarades n’invoquaient aucune raison particulière pour sortir du nucléaire sauf celle d’être à la traîne d’une opinion majoritaire» expliquant que, «parmi les pays industrialisés, ce sont ceux qui utilisent l’électricité nucléaire qui ont, de loin, les meilleurs résultats dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre».
Les pro-nucléaires tentent de réagir face à l'influence antinucléaire
La percée contre le nucléaire au sein des partis de gauche a entraîné une réaction. Au PCF, les tenants de la ligne historique comme les députés André Chassaigne, Sébastien Jumel, la sénatrice Céline Brulin ont même rejoint une association transpartisane de défense du patrimoine français (PNC France), présidée par l'ancien président de droite de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer. Ces défenseurs du nucléaire s'inquiètent de «puissants lobbies» antinucléaires, des orientations prises depuis plusieurs années et les annonces gouvernementales sur le sujet.
Dans cette association se retrouvent d'ailleurs le député PS Michel Habib, les anciens parlementaires socialistes Christian Bataille et Michel Destot, l'ex-élue Mouvement républicain et citoyen (parti chevènementiste) de l'Aisne Marie-Françoise Bechtel, les anciens ministres de gauche Jean-Pierre Chevènement et Hubert Védrine ou encore... Arnaud Montebourg. Chacun à leur manière, veulent peser intellectuellement sur la gauche pour qu'elle stoppe la course idéologique de désindustrialisation nucléaire.
Une gauche qui va irrémédiablement se brouiller à cause de l'écologie ?
Localement, des unions de la gauche se réalisent encore entre des partisans de différentes lignes écologiques. Les études montrent toutefois que l'écologie est une des principales préoccupations des Français. Or, nul doute que les divisions sur le sujet seront des pierres d'achoppement puisque l'écologie, basée sur la question de la fermeture des réacteurs nucléaires, pose des questionnements programmatiques sur le long terme :
- La question de l'emploi. Les antinucléaires assurent pour leur part que le développement de l'éolien et du solaire photovoltaïque (des énergies dites intermittentes).
- La question économique. Une centrale fait fonctionner une économie locale, le bassin autour de Fessenheim pâtit par exemple déjà de sa fermeture.
- La question du pouvoir d'achat. La France a une électricité peu chère par rapport à ses voisins grâce à la rentabilité nucléaire.
- La question de la souveraineté énergétique. Les pro-nucléaire évoquent une industrie avec un savoir-faire national, une électricité pouvant être produite en quantité avec une matière première encore abondante et peu chère, à l'inverse des énergies intermittentes.
Pour 2022, l'orientation pro-nucléaire d'Arnaud Montebourg semble l'éloigner d'une éventuelle alliance avec les antinucléaires insoumis, Génération.s et EELV. Mais la gauche dite «écologiste» ne décolle pas dans les intentions de vote pour la future présidentielle. Est-ce à cause de la faiblesse des incarnations, de leur programme, des deux ? Un dernier sondage mené par EDF et publié en mars 2021 montre que les Français se remettaient majoritairement à soutenir le nucléaire. Les citoyens vont-ils ainsi voir les tenants de l'atome comme les défenseurs d'une nouvelle écologie ? Dans tous les cas, elle est un thème central qui sera sans doute l'un des repères cardinaux pour le choix des électeurs.
Bastien Gouly