Lundi 5 octobre, l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry a inauguré le système expérimental Mona. Une nouvelle technologie qui a pour ambition de réduire les files d'attente, par la reconnaissance faciale, sur l'ensemble du parcours des voyageurs.
Un première en France que défend ainsi Nicolas Notebaert, président de VINCI Airports : «L'un des éléments qui fait qu'on peut ne pas être très satisfait de son passage dans l'aéroport, ce sont les files d'attente, c'est la contrainte et la complexité de reconnaissance des documents [papiers d'identité, billet…]»
Pour pouvoir profiter de ce nouvel outil «depuis chez soi jusqu'à l'embarquement dans l’avion», les voyageurs doivent − gratuitement − ouvrir un compte client via une application mobile ou une borne à l'aéroport en y ajoutant une photo d'identité. Ils pourront ensuite emprunter un parcours dédié sur lequel les portiques des différents points de passage aéroportuaires s'ouvrent automatiquement sur «simple présentation du visage» à un capteur biométrique. Le gain de temps est estimé à une demi-heure.
D'un coût de «plusieurs centaines de milliers d'euros», le service Mona est d'abord testé pour les passagers des compagnies Transavia et TAP sur les vols à destination de Porto et de Lisbonne. Il devrait ensuite être progressivement étendu aux autres aéroports partenaires ou gérés par VINCI.
Une technologie qui soulève des inquiétudes
Lors de la présentation de Mona, Nicolas Notebaert a également assuré que les données des passagers n'étaient pas stockées car «leur protection est évidemment quelque chose de très important», tout en affirmant que le développement de cette technologie avait été accompagné par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Des précisions nécessaires alors que le développement de la reconnaissance faciale dans de nombreux domaines n’est pas sans poser de sérieuses questions quant à la protection des données privées des citoyens.
En effet, cette technologie développée il y a une dizaine d’années permet en théorie d’identifier un individu dans les lieux équipés de caméras de surveillance et de logiciels adaptés. Un système pouvant se déployer dans de nombreux domaines du quotidien, comme en témoigne l'exemple chinois décrit par Le Progrès : dans le pays le plus peuplé du monde où sont installées plus de 176 millions de caméras de surveillance, la reconnaissance faciale fait partie du du quotidien depuis de nombreuses années et sert à payer ses courses, réserver un hôtel, accéder à certains sites touristiques ou encore à ouvrir une ligne téléphonique mobile… mais aussi à traquer les citoyens qui ne respectent pas les règles de la circulation par exemple. Ceux qui traversent en dehors des passages réservés sont systématiquement photographiés et doivent payer une amende de 20 yuans (3 euros) pour que leur visage disparaisse d’un grand «écran de la honte» situé au carrefour le plus proche. Il ne s’agit que d’un exemple du vaste système de «crédit social» que permet la reconnaissance faciale.
D'indispensables garde-fous
Pour lutter contre les potentielles dérives de la reconnaissance faciale, la France dispose d'un arsenal administratif et législatif conséquent.
Au niveau européen tout d'abord, la loi Informatique et liberté de 1978 et le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de 2018 interdisent le traitement des données biométriques, sauf pour une liste de cas préétablis et supposent en règle générale l'accord de la personne. Contrairement à au moins 75 autres pays (selon la liste établie par la fondation Carnegie), la France n'a pas pas encore autorisé l'extension de la reconnaissance faciale aux méthodes d'identification policière. Celle-ci ne peut se faire qu’a posteriori, via notamment le fichier TAJ − acronyme de «traitement des antécédents judiciaires» − qui recense près de 19 millions de fiches de personnes mises en cause, selon la CNIL. En novembre 2019, le tribunal correctionnel de Lyon a ainsi condamné un prévenu identifié par un logiciel de reconnaissance faciale.
Par ailleurs, une application mobile d'identité numérique reliée à FranceConnect permettant aux utilisateurs d'accéder à plus de 500 services administratifs en ligne (impôts, Sécurité sociale, Assurance retraite…) devait être lancée par l’Etat français en novembre 2019. Mais ce projet, nommé ALICEM − acronyme d'«Authentification en ligne certifiée sur mobile» − a inquiété les associations spécialisées dans la protection de la vie privée. L'association de défense des libertés La Quadrature du Net a déposé en juillet 2019 un recours devant le Conseil d’Etat pour demander l’annulation du décret autorisant la création de l'application. Il est reproché à cette dernière l'obligation de recourir au dispositif de reconnaissance faciale pour valider son identité numérique, sans alternatives disponibles. Le déploiement d'ALICEM a donc été reporté à une date indéfinie, après l'organisation d'un «débat citoyen».
Beaucoup des critiques faites à la reconnaissance faciale sont formulées par la CNIL. Cette autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect de la vie privée des citoyens dans l’univers numérique a, par exemple, dans le cas d’ALICEM, recommandé au gouvernement de subordonner au développement de l'application des «solutions alternatives au recours à la biométrie», afin de «s’assurer de la liberté effective du consentement des personnes concernées au traitement de leurs données biométriques au moment de l’activation de leur compte ALICEM». C’est également la CNIL qui a demandé des explications complémentaires à la ville de Nice à la suite de l’expérimentation de la reconnaissance faciale lors du carnaval que la municipalité avait jugée concluante. L’autorité administrative s’était alors inquiétée d’un cadre législatif insuffisant concernant l’emploi de cette technologie dans l’espace public. La CNIL agit donc comme un garde-fou à l’encontre d’une technologie qui devrait prendre une place croissante dans la vie des Français à court terme.
La reconnaissance faciale s'implante doucement mais sûrement
Si l’utilisation de la reconnaissance faciale, telle qu’elle est mise en œuvre à l’aéroport Saint-Exupéry est une expérience inédite en France pour l'ensemble du parcours des voyageurs, la technologie est déjà employée pour les passages aux frontières à Saint-Exupéry, mais aussi à Orly, Roissy, Marseille-Provence et Nice Côte d'Azur, ainsi qu'à la gare du Nord de Paris (pour l'Eurostar) et au départ d'Eurotunnel pour les autocars, à travers des sas dits «Parafe», comme le rappel Le Progrès.
Le nouveau marché de la reconnaissance faciale et ses multiples applications est évalué à sept milliards d’euros dans l’Hexagone. Outre le test réalisé à Nice, d'autres expérimentations ont déjà eu lieu dans l'espace public comme à Cannes lors du confinement : les caméras de surveillance réparties dans la ville permettaient de compter les passants munis d’un masque. A Marseille, une système de vidéo-surveillance «intelligent» capable d'analyser des flots de données pour détecter des mouvements de foule, des comportements jugés anormaux ou de retrouver automatiquement une personne signalée a été déployé. Peu à peu, le matériel nécessaire à la généralisation de la reconnaissance faciale s’installe donc dans de nombreuses villes avec l’aide des entreprises qui proposent leurs produits gratuitement aux communes, tel Huawei qui a offert des caméras de vidéosurveillance à Valenciennes.
Le sport, avec ses importants regroupements de populations et ses enjeux sécuritaires, est un terrain très propice à l’utilisation de la reconnaissance faciale. Ainsi, le club de football de Metz prévoit la mise en place d’un logiciel de reconnaissance faciale pour identifier les supporters interdits de stade. La Coupe du monde de Rugby de 2023 et les Jeux olympiques de 2024 à Paris devraient faire la part belle à la reconnaissance faciale : des entreprises comme Atos, Dassault Systèmes ou Capgemini sont déjà en lien avec le ministère de l’Intérieur pour remporter les marchés publics concernant la sécurité des JO.
Certains responsables politiques poussent également au développement de la reconnaissance faciale à l'échelle nationale : dans une interview donnée au Parisien le 27 décembre 2019, l'actuel secrétaire d'Etat en charge de la Transition numérique, Cédric 0, n'avait pas fermé la porte à une utilisation de la reconnaissance faciale dans les lieux publics, en plaidant pour une «phase d'expérimentation, de six mois à un an, sous la supervision de la société civile et des chercheurs». En janvier 2019, lors du débat sur la «loi anticasseurs» dans le sillon du mouvement des Gilets jaunes, le député LR Eric Ciotti avait quant à lui proposé un amendement visant à «autoriser le recours à la technologie de la reconnaissance faciale» en France.
A l'échelle européenne enfin, le magazine The Intercept a publié une enquête le 21 février 2020 révélant qu'un groupe de dix polices nationales de l'Union européenne, dirigé par l'Autriche, militait pour la mise en place d'une base de données commune en la matière. Une initiative qui pourrait, à terme, englober les 27 membres de l'UE.