France

Ségolène Royal, Najat Vallaud-Belkacem, Manuel Valls… Le coronavirus booste l'ancienne gauche PS

Ecartés par les électeurs ou en quête de notoriété, des socialistes, actuels et anciens, refont surface en tirant parti de la crise sanitaire et économique. Certains ont 2022 pour objectif, d'autres cherchent une place aux côtés d'Emmanuel Macron.

Le coronavirus a fait apparaître tout un tas de failles au sein des sociétés et la France n'a pas fait exception : crise patente au sein de l'hôpital, crise économique, crise financière, crise sociale… Du grain à moudre pour tous ceux qui souhaitent remettre en cause les dogmes et les orientations prises par l'Etat depuis des dizaines d'années.

A première vue, les socialistes, mais aussi les anciens du Parti socialiste (PS) ne peuvent pas fanfaronner, ayant participé au quinquennat précédent, voire validé pour certains les grandes orientations de la politique macronienne. Quoi qu'il en soit, le Covid-19 leur permet de retrouver des couleurs, certaines têtes d'affiche se sentant précisément investies d'une nouvelle mission. C'est le cas notamment de ces 17 parlementaires, dans l'ensemble marcheurs, pour la plupart ex-socialistes, qui ont décidé le 19 mai de faire bande à part à l'Assemblée nationale en créant un neuvième groupe parlementaire baptisé Ecologie Démocratie Solidarité (EDS).

En pleine crise, la jambe gauche de LREM «se casse-t-elle» pour mettre sous pression le président ?

Cette rupture avec La République en marche (LREM) intervient alors même que le gouvernement parle d'union nationale depuis plusieurs semaines. Elle fait logiquement grincer des dents à l'Elysée. Cette cassure au sein de LREM fait perdre la majorité absolue au Palais Bourbon pour le seul groupe macroniste. Cela relève certes du symbole, puisque LREM peut toujours compter sur son allié Modem pour acquérir les votes nécessaires à l'Assemblée. Néanmoins, cette mini-fronde lancée par l'un des premiers fidèles à Emmanuel Macron, Aurélien Taché, annonce une difficulté supplémentaire pour la majorité.

Tout porte à croire que ce groupe a pour vocation d'être dans une démarche de lobbying. Si son but est de donner une impulsion sociale à la politique actuelle, la plupart des membres d'Ecologie Démocratie Solidarité – que ce soit Cédric Villani, Aurélien Taché, Guillaume Chiche ou Matthieu Orphelin – ont tous voté les grands projets du gouvernement, dont on cherche encore la fibre sociale : ordonnances Pénicaud réformant le Code du travail, privatisation de la SNCF, suppression de l'ISF ou encore mise en place d'une flat tax sur les revenus du capital. Se qualifiant «ni dans la majorité, ni dans l'opposition», ces membres dévoilent à peine leur intention : intégrer les futurs ministères. N'est-ce pas Matthieu Orphelin qui appelait le 10 mai, soit quelques jours avant l'officialisation d'EDS, à la création d'un «gouvernement de coalition» avec «une architecture gouvernementale innovante et resserrée» ? Il affirme au demeurant qu'«un remaniement symbolique de façade ne suffira pas». Ce coup de force est un pari. Emmanuel Macron n'occupe effectivement plus une position jupitérienne sur sa majorité, devant se résoudre à les choyer en vue de la présidentielle de 2022 et s'assurer de leur soutien.

Delphine Batho fait-elle une Olivier Dussopt ?

Dans ce groupe, la présence de l'ancienne PS et présidente de Génération écologie, Delphine Batho, peut toutefois interroger. Farouche opposante jusque-là à la politique macronienne, elle se retrouve désormais aux côtés des ex-marcheurs. Suit-elle la même stratégie qu'Olivier Dussopt, cet ex-socialiste d'abord opposant à Emmanuel Macron avant d'intégrer le gouvernement ?

L'ambition de Delphine Batho est claire sur le papier : rassembler les écologistes sous une bannière commune. Or, LREM et EELV partagent une frange importante de l'électorat : les urbains cadres supérieurs. En opportuniste, Delphine Batho peut jouer cette carte pour favoriser une ambition ministérielle, et Emmanuel Macron de rassurer ainsi le pan écologiste.

Car il ne faut pas se leurrer, la création du groupe parlementaire Ecologie Démocratie Solidarité intervient à un moment où les bruits de couloir évoquent avec insistance un remaniement ministériel. La candidature du Premier ministre Edouard Philippe à la mairie du Havre apporte du crédit à cette hypothèse.  

Ce remaniement est encore plus vraisemblable lorsque le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, refuse sur LCI, le 19 mai 2020, de répondre clairement à la question de son éventuelle accession à la direction du gouvernement. Répondant d'abord que l'«heure [n'est] pas aux supputations», l'ancien ministre de la Défense sous François Hollande a ensuite laissé place à un silence, pouvant laisser présager une ambition à Matignon.

Après l'échec catalan, Manuel Valls nourrit de nouvelles ambitions en France

Plus démonstratif, Manuel Valls a enchaîné les interventions médiatiques durant la période de confinement. «Ses appels du pied et ses compliments énamourés à l'égard d'Emmanuel Macron n'ont trompé personne», écrit même le 24 avril le magazine plutôt «macronphile» Challenges.

Subissant une claque électorale lors des municipales à Barcelone, le conseiller municipal catalan Manuel Valls ne serait pas contre un retour en France. S'il a été un éphémère député apparenté LREM à l'Assemblée, le chemin est malgré tout encore long pour lui afin de retrouver un portefeuille ministériel. Dans plusieurs déclarations, il a réitéré son soutien à la politique macronienne, relayant les prises de position du président. Le 16 mars, il écrit ainsi : «En écoutant Emmanuel Macron, j’ai eu le sentiment d’un basculement, que nous rentrions avec lui dans l’Histoire, dans une guerre que nous devons gagner, tous, individuellement et collectivement, contre ce virus, et dans chaque pays. Chacun est plus que jamais responsable.»

L'ancien maire d'Evry est-il prêt pour un retour gouvernemental ? Sur RMC, le 16 avril, Manuel Valls a annoncé explicitement cette intention : «J’ai toujours dit qu’évidemment, si je pouvais aider mon pays, je le ferais, et je pourrais le faire de mille manières, mais le moment n’est pas venu». Il confirme une envie déjà dévoilée quelques semaines auparavant, au début de l'épidémie, lors d'un entretien au Monde (6 mars) : «C’est un choix qui n’appartient qu’au président de la République et au Premier ministre.» Le 22 mai sur RTL, il persévère, encourageant la nécessité d'un remaniement, saluant le Premier ministre qui, selon lui, «fait bien son job», et critiquant la petite cassure de marcheurs autour d'Aurélien Taché et Cédric Villani, considérés comme des «enfants gâtés».

Selon le politologue Guillaume Bigot dans une tribune pour Valeurs Actuelles, l'éventuelle présence dans un gouvernement de l'ex-Premier ministre socialiste Manuel Valls, comme de l'ancien député PS Jérôme Guedj, serait inspirée par l'une des oreilles d'Emmanuel Macron, Jean-Pierre Chevènement. Il s'agirait de donner un vernis souverainiste au chef de l'Etat à une période où le souverainisme fait recette – dû, entre autres, à la pénurie de masques, médicaments et matériels médicaux, la France dépendant des pays asiatiques.

Reste que le titre Valls a sans aucun doute perdu de sa valeur après le quinquennat Hollande. Une source au sein de l'Elysée, dans une confidence pour l'émission Quotidien (TMC) du 29 avril, réfute catégoriquement un «recasage» : «Valls ? Absolument hors de question. On ne construit pas la France de 2021 avec les recalés de 2017.»

Une indication qui n'empêche pas d'autres mammouths socialistes de croire encore en leurs chances sous l'ère Emmanuel Macron.

Ségolène Royal tergiverse entre volonté présidentielle et poste ministériel

La crise sanitaire a effectivement montré la faiblesse de certains gouvernants et dévoilé au grand jour des différences d'appréciation entre eux et la présidence, à l'instar de la bataille des points de vue au sein du couple exécutif quant à la crise économique à venir, les bourdes de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, ou encore les contradictions entre le ministre de l'Education nationale et l'Elysée. Des points faibles que veulent exploiter des opportunistes. La candidate PS à la présidentielle de 2007, Ségolène Royal, semble faire partie de ceux-ci. Un temps macroniste, mais placée sur la touche, elle se préparait publiquement pour une nouvelle ambition élyséenne. La dynamique ne prenant pas, Ségolène Royal revient à une position bien plus macron-compatible avec la montée en puissance de la rumeur du remaniement. Le 17 mai, elle se dit par exemple «soulagée» que le dialogue entre le chef de l'Etat et les soignants soit apparemment «renoué». 

Le même jour, elle invite par ailleurs tous les acteurs politiques à stopper leurs critiques sur l'action menée par l'exécutif durant l'épidémie et le confinement : «Une nouvelle phase s’ouvre, ce n’est plus le temps de critiquer les mois passés. Le bilan en sera fait par ailleurs. La crise économique s’annonce grave et on ne connaît pas encore l’ampleur des souffrances vécues. Le temps est aux propositions. Je propose cinq chantiers nationaux.»

Ségolène Royal aura mis quatre jours pour se dédire. Le 21 mai, elle rabroue le gouvernement sur la question des masques… tout en épargnant Emmanuel Macron : «Voilà un gouvernement qui est incapable de protéger les Français avec des masques en nombre suffisant, mais qui détruit les engagements citoyens en Deux-Sèvres alors qu’il devrait s’en réjouir et les encourager. Lamentable.»

Quoi qu'il en soit, si Ségolène Royal peut compter sur quelques fidèles au PS – comme le député du Val-de-Marne, Luc Carvounas –, d'autres semblent souhaiter tracer une autre route, moins «Royal». Pour ceux-là, la crise apparaît comme le moment opportun pour procéder à une réapparition et tenter un coup de poker : prôner une nouvelle union des gauches tout en excluant, pour le moment, La France insoumise.

Le PS reprend les recettes du hollandisme… sans François Hollande

Dans une tribune intitulée «Au cœur de la crise, construisons l’avenir», plus de 150 cadres d'Europe Ecologie Les Verts (Yannick Jadot, Esther Benbassa…), de Génération.s (Guillaume Balas, Claire Monod...), du PS (Olivier Faure, Najat Vallaud-Belkacem...), de Place publique (Raphaël Glucksmann, Aurore Lalucq...) et du Parti communiste (Ian Brossat, Pierre Laurent…) ont remis au goût du jour le hollandisme sans François Hollande. Sous une autre forme, on retrouve toutes les grandes lignes du discours du Bourget de 2012 du candidat François Hollande, alors en pleine campagne présidentielle. Dans le texte version 2020, sont ainsi reprises la lutte contre «le capitalisme financier» (on entend de nouveau le slogan «notre adversaire, c'est la finance») ou la taxation des plus riches, le tout mâtiné d'écologie. 

Quid de la remise en cause de la loi travail El-Khomri ? Leur volonté de «soutenir l’électrification des motorisations» peut-elle se concevoir avec la baisse progressive de la production nucléaire ? Comment concilier leur dénonciation «de l'austérité budgétaire» et le pacte budgétaire européen fixant la règle d'or – dénoncé, mais adopté par la majorité socialiste le 29 juin 2012 ? Concernant des idées concrètes remettant éventuellement en cause les orientations prises sous François Hollande, la tribune n'apporte aucune réponse.

Peu importe, la crise a réveillé les chapelles de la gauche dite «gouvernementale». L'une des signataires, Najat Vallaud-Belkacem, rêve pour sa part de prendre sa revanche après sa déroute aux élections législatives de 2017.

2022 : Najat Vallaud-Belkacem et Bernard Cazeneuve s'y voient-ils déjà ?

Dans une interview accordée au quotidien Le Monde le 18 mai, l'ex-ministre manie le style «en même temps», tentant de récupérer la mode du souverainisme… tout en le rejetant. Un numéro d'équilibriste où elle déclare de fait vouloir «un patriotisme économique [et] retrouver de la souveraineté […] sans le souverainisme». Loin de critiquer le quinquennat Hollande, elle préfère tempérer les erreurs par ce qu'elle considère «les avancées» : «Quant au quinquennat passé, si on doit instruire son procès, il faut le faire à charge et à décharge, voir ses insuffisances et ses réussites.»

Si les classes populaires se sont détournées du vote PS en 2017 en choisissant majoritairement l'abstention ou le vote pour La France insoumise ou le Rassemblement national, Najat Vallaud-Belkacem estime qu'elle a peut-être une chance d'incarner les «laissés pour compte [de la crise]». Cette incarnation peut-elle être crédible lorsque l'ancienne porte-parole du gouvernement évite toute critique cinglante du quinquennat précédent ? Cette période avait pourtant sanctifié la politique de l'offre et le libéralisme économique, à l'image de la loi Macron de 2015. Cela n'empêche pas Najat Vallaud-Belkacem de saupoudrer son discours d'une terminologie marxiste, admettant que se joue actuellement «une forme de nouvelle lutte des classes». Plutôt ironique quand on sait que la logique Terra Nova (nom du think tank ayant influencé la stratégie du Parti socialiste en 2012) a conduit le PS à lâcher le vote des ouvriers et des populations les plus fragiles en se concentrant sur le vote des minorités. 

Comme Najat Vallaud-Belkacem, l'ancien ministre de l'Intérieur et Premier ministre de François Hollande, Bernard Cazeneuve, compte bien tenir un rôle de premier plan pour 2022. Dans une interview le 21 mai pour le magazine Crédit social, lui aussi se met à proclamer qu'il «est urgent de remettre en cause les dogmes du marché». A croire que les sociaux-libéraux d'hier deviennent des antilibéraux en puissance. 

Bernard Cazeneuve dénonce en outre le fait que «la crise sanitaire […] conduit à porter un regard sévère sur les facilités politiques, pour ne pas dire l'aveuglement ou la paresse intellectuelle de ceux pour lesquels les services publics ne sont appréhendés qu'au travers de leurs coûts, toujours considérés comme trop élevés». Il rappelle également «le rôle essentiel des services publics, en particulier dans le secteur hospitalier et de l'éducation». Des déclarations pas piquées des vers pour un ministre qui avait accepté le gel du point d'indice salarial des fonctionnaires entre 2012 à 2016, ou vu grandir les nombreuses colères du personnel soignant durant le quinquennat Hollande. Ceux-ci dénonçaient déjà à l'époque leurs conditions de travail et les réformes menant à la rigueur budgétaire et affectant le secteur de la santé. Dans ce long entretien de Bernard Cazeneuve, le «modèle capitaliste, avec sa croissance infinie», en prend pourtant pour son grade. 

La crise sanitaire a donné des ailes aux vieux briscards de la gauche dite «gouvernementale». Comme en 2012, les socialistes visent-ils le discours sans les actes ? Dans leur critique sur la mondialisation, ces pontes ou ex-cadres socialistes, qui envisagent 2022 en retour fracassant, risquent bel et bien de se faire devancer par l'un des penseurs de la «démondialisation» et du made in France, Arnaud Montebourg.

Arnaud Montebourg, le mieux placé au sein de la gauche pour 2022 ?

De plus en plus présent médiatiquement, Arnaud Montebourg incarne «un souverainisme de gauche», dont la crise a conforté le logiciel selon toute apparence. Loin d'en démordre, l'ancien ministre du Redressement productif en profite donc pour frapper de plus en plus fort, en témoigne l'une de ses déclarations dans Le Figaro (30 mars) : «Et voici que les événements épidémiologiques et sanitaires du Covid-19 montrent à leur tour l'excessive et dangereuse intrication des chaînes mondialisées de production industrielles et humaines. La France, grande puissance industrielle des Trente Glorieuses, ne sait plus produire les tests biologiques, les masques et les combinaisons de protection, le gel hydroalcoolique et les respirateurs pour ses propres besoins de sécurité sanitaire.»

Redevenu proactif sur les réseaux sociaux, il republie le 29 avril un texte daté de 2011, mis à disposition gratuitement et titré «Votez pour la démondialisation». Neuf ans après, son propos liminaire reste efficace : «Pour vous, le quotidien de la mondialisation, c'est la désindustrialisation, la précarité, l'appauvrissement et le déclassement, l'explosion des inégalités, la destruction des services publics, la montée de la dette, les délocalisations… Pour lutter contre ces fléaux, une seule solution : la démondialisation.» 

Interrogé par Le Monde le 19 mai sur la gestion de la crise sanitaire par Emmanuel Macron et Edouard Philippe, le Bourguignon ne les épargne pas, les qualifiant de «nuls». Alors qu'une nouvelle vague de désindustrialisation se profile, Arnaud Montebourg se moque dans Libération (7 avril) de la capacité d'Emmanuel Macron à répondre à cette crise : «A Bercy – où il m'a succédé –, il a malheureusement abandonné les 34 plans de reconquête de notre souveraineté technologique […] Est-il le mieux placé aujourd'hui pour mener une politique de patriotisme économique après avoir laissé filer Alstom, Technip, Alcatel et combien d'autres ?»

En multipliant les interventions médiatiques, il profite également d'un avantage sur ses camarades ou ex-compagnons de route. Il peut utiliser sa carrière d'entrepreneur (promoteur du miel français et de la survie des abeilles) pour mêler réalité du terrain et discours politique. «Hier Ouest France, et aujourd'hui Libération. Il semblerait que parler démondialisation, indépendance et made in France soit désormais de bon ton», se satisfait-il le 8 avril sur Facebook.

De plus en plus identifié comme un présidentiable sérieux, Arnaud Montebourg ne dispose pas d'une structure partisane, telle que le PS, qui serait acquise à sa cause – probablement un avantage pour lui, d'autant plus pour conquérir un électorat plus large, possiblement des patriotes de l'autre rive. Comme avec Emmanuel Macron en 2017, le PS peut-il se faire une nouvelle fois devancer par une bombe politique venue de l’intérieur et transpartisane ?

Bastien Gouly