Après avoir rejeté le plan gouvernemental de déconfinement, le Sénat a approuvé en première lecture, dans la nuit du 5 au 6 mai, le projet de loi visant à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire en raison de la pandémie de coronavirus. La chambre haute a adopté le texte par 240 voix pour, 25 contre et 80 absentions. Les Républicains, le parti présidentiel ainsi que les Indépendants et la majorité des groupes Union centriste et RDSE ont donné leur assentiment au projet de loi alors que les communistes ont voté contre et que les socialistes se sont abstenus.
Toutefois, le palais du Luxembourg a largement retoqué le premier jet gouvernemental. «Le Sénat approuve sur mon rapport le projet de loi de prorogation de l’urgence sanitaire pour le déconfinement, en l’amendant en profondeur : clarification des responsabilité pénales [ainsi que] six garanties imposées pour que le traçage des contaminations respecte les droits individuels», s’est réjoui sur Twitter Philippe Bas (LR), rapporteur du texte et président de la Commission des lois au Sénat, qui a réclamé des «garanties» auprès de l’exécutif afin de «réussir le déconfinement».
Un renforcement des mesures de contrôle
Le Sénat a voté pour une prorogation de l’état d’urgence sanitaire «jusqu’au 10 juillet inclus», alors que le gouvernement avait lui proposé la date du 23 juillet. Par ailleurs, l’article 1er stipule désormais que «nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir […] soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination, à moins que les faits n’aient été commis : intentionnellement […], par impudence ou négligence dans l’exercice des pouvoirs de police administrative […], ou en violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative». Réclamée il y a quelques jours par la députée LREM Aurore Bergé, la mesure avait fait jaser certains, comme Marine Le Pen, y voyant un «projet de loi d’auto amnistie préventive» venu de «la macronie». Les sénateurs ont visiblement décidé de devancer l’ancienne membre de l'équipe de campagne d’Alain Juppé.
Sont exclus de ces finalités le développement ou le déploiement d’une application informatique à destination du public.
L’article 6 instaure de son côté un «comité de contrôle et de liaison covid-19 chargé d’associer la société civile et le Parlement aux opérations de lutte contre l’épidémie par suivi des contacts ainsi qu’au déploiement des systèmes d’information prévus à cet effet». Il fonctionnera «à titre gratuit» et sera par exemple chargé «de vérifier tout au long de ces opérations le respect des garanties entourant le secret médical et la protection des données personnelles».
Les sénateurs ont écarté la possibilité que le texte mette en place le déploiement de l’application mobile gouvernementale StopCovid, annoncée pour le 2 juin, et qui fait elle aussi couler beaucoup d’encre. «Sont exclus de ces finalités le développement ou le déploiement d’une application informatique à destination du public et disponible sur équipement mobile permettant d’informer les personnes du fait qu’elles ont été à proximité de personnes diagnostiquées positives au covid-19», est-il souligné.
Un projet de loi mis à mal
Les élus ont également tenu à apporter des précisions sur les critères retenus afin d’établir la carte quotidienne du déconfinement. Ces données comprennent «le taux de circulation du virus, les capacités hospitalières en réanimation, la capacité locale de tests de détection des porteurs du virus», le tout «sur la base d’un dialogue à l’échelon départemental entre l’État, ses services sur le terrain, les professionnels et les élus locaux».
Par ailleurs, le texte, qui sera examiné à partir de ce 6 mai en commission à l’Assemblée nationale, précise que «les personnes en situation de fragilité financière […] sont exonérées des commissions perçues par un établissement de crédit à raison du traitement des irrégularités de fonctionnement d’un compte bancaire et des facturations de frais et de services bancaires durant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire».
Les locataires du palais du Luxembourg ont en outre défini un «ordre des priorités» dans «les examens de biologie médicale de dépistage du Covid-19». Seront dépistés en premier lieu les «personnes présentant des symptômes d’infection», puis les «personnels soignants ayant été en contact avec des personnes infectées» et pour finir les «personnes ayant, au cours des dix jours précédents, assisté des personnes infectées au domicile de ces dernières».
Enfin, un amendement PS voté au projet de loi prévoit que «les victimes de violences [conjugales] ne peuvent être mises en quarantaine, placées et maintenues en isolement dans le même domicile que l’auteur des violences, y compris si les violences sont présumées».
Le texte va maintenant prendre la direction du palais Bourbon où il sera soumis aux débats dans hémicycle à partir du 7 mai pour une adoption prévue avant la fin de la semaine alors que le déconfinement doit débuter le 11 mai. Une course contre la montre qui pourrait bien être mise à mal. Selon l’AFP, le président du groupe LR à l’Assemblée, Damien Abad, par ailleurs député de l’Ain, a fait savoir que si les amendements votés sur le fichier de traçage n’étaient pas retenus dans la version finale, ses troupes voteraient contre le projet de loi.
Inquiets pour les libertés publiques, des sénateurs socialistes ont annoncé une saisine du Conseil constitutionnel. Gérard Larcher (LR), président du Sénat, a également annoncé vouloir consulter les «Sages» sur le projet de loi.
Alexis Le Meur