Les personnes âgées résidant dans les Ehpad, établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, décédées ces derniers jours et suspectées d'avoir été atteintes par le coronavirus sont-elles comptabilisées dans le décompte officiel du gouvernement des victimes de l'épidémie ? Rien n'est moins sûr selon Checknews.
Le site de vérification des faits de Libération a remarqué un changement de présentation du bilan quotidien de Jérôme Salomon depuis le 20 mars. Depuis cette date, le directeur général de la Santé prend en effet soin de préciser que le nombre de décès dus au Covid-19 rapportés dans les chiffres officiels, ne concerne que les personnes décédées dans les hôpitaux. Ainsi, le 22 mars par exemple, Jérôme Salomon déclarait lors de son point presse : «On déplore 674 décès en milieu hospitalier.» Dans son point presse sur l'épidémie, le ministre de la Santé Olivier Véran faisait état le 23 mars de «860 personnes décédées». Un chiffre corroboré sur le site de Santé publique France qui précise que ce nombre est obtenu «à partir des données remontées quotidiennement des hôpitaux SI-VIC [système d'information pour le suivi des victimes]». Cette mention «ne figure que depuis quelques jours sur le site de cette agence nationale dépendant du ministre de la Santé», assure Checknews.
De fait, le décompte gouvernemental ne peut être considéré comme exhaustif conclut le site de fact checking vu que les décès survenus à domicile ou dans les Ehpad ne sont pas comptabilisés.
66 décès en Ehpad
Alors que les alertes concernant le sort de Ehpad se multiplient, la non-inclusion des morts dans ces établissements sensibles dans les chiffres officiels participe-t-elle à minimiser le bilan réel des victimes de l'épidémie en France ?
En tout état de cause, le nombre de décès suspects dans ces établissements ne cesse de gonfler. Ce 24 mars, à Sillingy (Haute-Savoie), l'épidémie a fait sept morts sur les 84 résidents de l'Ehpad. La veille, l’Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est et la préfecture des Vosges ont annoncé la mort de 20 résidents d’un Ehpad de Cornimont (Vosges) «en lien possible avec le Covid-19», depuis le début de l'épidémie. A Thise (Doubs), 15 résidents d’un Ehpad sont décédés depuis le dépistage des premiers cas le 5 mars. A Saint-Dizier (Haute-Marne), 13 personnes seraient mortes, selon le média local PTV. Dans Le XIIe arrondissement de Paris, l’Ehpad Rothschild compterait une cinquantaine de cas confirmés et aurait déploré cinq décès. A Mauguio (Hérault), près de Montpellier, la presse locale faisait également état de cinq décès depuis le 10 mars, et d'une cinquantaine de cas suspects parmi les résidents. Dans l’Aisne, la presse faisait part le 22 mars d’un décès à l’Ehpad de la Mèche d’argent, à Coucy-le-château.
C’est difficile de savoir si ces décès sont liés [à l’épidémie] car, comme partout en France, on ne dépiste plus systématiquement les nouveaux cas
Si ces 66 décès étaient attribués officiellement au coronavirus, cela porterait le nombre de victimes de l'épidémie en France à 926 et non 860, comme le rapporte le décompte officiel. Mais comment le confirmer en l'absence de tests de dépistage ?
Pas de test, pas de certitude
A Thise, un responsable de l’établissement qui compte 15 décès a ainsi déclaré à l’AFP : «C’est difficile de savoir si ces décès sont liés [à l’épidémie] car, comme partout en France, on ne dépiste plus systématiquement les nouveaux cas.» Une situation confirmée à l’AFP par Olivier Obrecht, directeur général adjoint de l’agence régionale de santé Bourgogne Franche-Comté : «Les deux premiers cas sont testés, et à partir du moment où la présence du Covid-19 est confirmée, on ne fait plus de tests».
L’ARS d’Ile-de-France, contactée par CheckNews, explique que cette limitation des tests aux deux premiers cas correspond à une «doctrine nationale». Le Guide méthodologique de préparation à la Phase épidémique Covid-19, publié sur le site du ministère de la Santé, précise en effet : «concernant les prélèvements biologiques, seuls les premiers patients résidant dans une structure d’hébergement collectif (Ephad, structures de regroupement de personnes fragiles en situation de handicap, structures accueillant des personnes sans domicile, etc.) avec un tableau clinique évocateur de Covid-19 font l’objet d’un prélèvement. A partir du second cas confirmé, toute personne présentant un état symptomatique identique ou proche (état grippal, rhinopharyngite) est alors présumé infectée par le virus.»
Dès lors, ne faudrait-il pas inclure ces décès dans le bilan de l'épidémie ? Difficile à trancher étant donné la vulnérabilité – maladie, vieillesse – des résidents d'Ehpad. Il n'en demeure pas moins que le bilan officiel est de fait tronqué. «L’indicateur des seuls décès en milieu hospitalier a du sens, parce qu’il permet de saisir l’évolution de l’épidémie, d’un jour à l’autre, même si en valeur absolue, il est de fait incomplet», explique un responsable d’une ARS, dont les propos sont rapportés par Checknews.
«La vérité dans quelques mois, une fois l’épidémie terminée»
Tout porte à croire que les chiffres réels de l'épidémie seront disponibles seulement dans les mois à venir. Le 20 mars, Jérôme Salomon a expliqué que le dispositif de surveillance via les médecins de ville, pourrait permettre d’avoir des éléments statistiques sur cette mortalité hors milieu hospitalier. «Nous aurons aussi des données de surveillance de la mortalité en ville, parce qu’il peut y avoir des décès à domicile ou dans des établissements, et pas dans le milieu hospitalier», a admis le directeur général de la Santé.
Interrogé à propos des morts de l’Ephad de Thise (Doubs) non comptabilisés parmi les victimes du Covid-19, Olivier Obrecht, directeur général adjoint de l’ARS Bourgogne Franche-Comté, répondait : «Santé Publique France a commencé une surveillance syndromique, comme on le fait pour la grippe, à partir d’un nombre de décès attendus dans une population donnée, sur un temps donné. C’est le surplus par rapport à ces estimations qui donnera la vérité sur le nombre de décès pendant la période d’épidémie Covid-19, dans quelques mois, une fois l’épidémie terminée.»
J'engage le gouvernement à faire tout pour donner ces traitements [à la chloroquine] dans les Ehpad et aux personnes âgées
En attendant, les signaux d'alerte à propos d'une hécatombe dans les Ehpad se font de plus en plus pressants. Sur RTL le 23 mars, Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins-urgentistes de France à déclaré : «On va vers une hécatombe dans les Ehpad. Je pèse mes mots.» «J'ai eu des conversations avec des directrices et des directeurs d'établissements. Avec des gériatres. C'est bien beau d'avoir dit : "On évite que les personnes viennent aux urgences", d'avoir dit : "Les personnes âgées on va les confiner". Je comprends la logique médicale… mais confiner ne veut pas dire abandonner», implore-t-il.
Patrick Pelloux demande notamment au gouvernement d'agir en donnant le traitement la chloroquine aux résidents des Ehpads malades. «Sanofi a dit qu'ils en avaient 300 000. Qu'on aille les chercher ! […] J'engage le gouvernement à faire tout pour donner ces traitements dans les Ehpad et aux personnes âgées», a-t-il déclaré. Une demande qui intervenait au moment où le gouvernement annonçait par la voix du ministre de la Santé Olivier Véran les décisions du Haut conseil de santé publique concernant l'utilisation de l'hydroxychloroquine pour le traitement du Covid-19. S'il a entrouvert la porte pour son utilisation dans les «formes graves», le Haut conseil en rejette toutefois l'utilisation pour les formes «moins sévères».
Dans une lettre envoyée au ministre de la santé Olivier Veran, et révélée par France Télévisions le 20 mars, les professionnels de santé travaillant au contact de personnes âgées lançaient une alerte pour indiquer la nécessité impérieuse de mieux les équiper en matériel de protection, et notamment de masques chirurgicaux. Ces professionnels des Ehpad, maisons de retraite et services à domicile, disaient redouter la mort de 100 000 personnes si le virus venait à se propager parmi ces populations particulièrement fragiles. «En raison du nombre élevé de comorbidités, cette population est assortie d'un taux de mortalité de 15%, ce qui pourrait se traduire par plus de 100 000 décès dans l'éventualité d'une généralisation que nous n'osons imaginer», ont alerté les auteurs de la lettre adressée au ministre.