Emmanuel Macron a exigé le 14 janvier depuis Pau que le ministère de l'Intérieur mette rapidement en place des «propositions pour améliorer la déontologie» des forces de l'ordre suite aux accusations d'usages illégitimes de la force et de violences filmées par des journalistes de rue, des passants ou des manifestants. Une nouvelle pression qui s'abat sur les forces de sécurité intérieure alors que la police nationale était déjà exsangue avant le commencement de la crise sociale des Gilets jaunes, qui a elle-même contribué à l'épuisement des forces.
Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, avait lui-même demandé «l'exemplarité» de la part des gardiens de la paix le 13 janvier, en appelant les policiers à ne pas faire «de croche-pied à l'éthique», une allusion à la vidéo devenue virale d'un major de police ayant fait un croche-pied à une manifestante à Toulouse le 11 janvier.
Et le président de la République d'insister à propos des «comportements pas acceptables [...] vus ou pointés» pouvant «atteindre la crédibilité et la dignité» des forces de l'ordre. Avant de conclure : «Il ne faut avoir aucune complaisance.»
On est à bout, exténués, on ne peut pas faire preuve de résilience à l'infini
Les propos de l'exécutif n'ont pas manqué de faire réagir les partenaires sociaux du secteur policier. Frédéric Lagache, du syndicat Alliance, a notamment relevé auprès de l'AFP : «Ses propos sont malvenus après la mort d'un collègue et alors que les responsables sont toujours en fuite.» Une allusion au policier décédé après avoir été renversé en intervention par un fourgon à Bron (Rhône).
Le syndicat Unsa-Police a renchéri, toujours auprès de l'AFP : «On est à bout, exténués, on ne peut pas faire preuve de résilience à l'infini.» Et Patrice Ribeiro, de Synergies-Officiers, de déplorer : «On a le sentiment d'être les dindons de la farce. On a défendu la République et le politique est en train de nous lâcher.» Avant de prévenir : «On ne se laissera pas jeter aux chiens.» L'Unsa-Police déplore aussi la stratégie mise en place par le préfet de police de Paris, Didier Lallement : «Maintenant, on n'envoie pas les bonnes unités. Les CRS et les gendarmes mobiles attendent, les BRAV [brigades de répression de l'action violente] sont en première ligne.»
Mais David Le Bars du SCPN admet quant à lui : «Il faut savoir reconnaître qu'il y a des choses qui ne vont pas. Dans les manifestations, on a vu des gestes inappropriés : le croche-pied à Toulouse, ça fait mal à tout le monde.» Toujours cette image du croche-pied, qui fait décidément plus réagir les monde policier que celles de l'interpellation tragique du livreur Cédric Chouviat, décédé Quai Branly le 9 janvier à Paris.
Les associations de policiers en colère... ne décolèrent pas
Les associations de policiers en colère, à l'instar de l'Union des policiers nationaux indépendants, qui a réagi auprès de RT France par la voix de son porte-parole, l'ancien commandant de police Jean-Pierre Colombies, ironisent, amers : «Emmanuel Macron nous rappelle à l’éthique, mais on parle du bien du même gouvernement qui a décoré de la médaille de sécurité intérieure et de la légion d'honneur des flics mis en cause pour des violences illégitimes, non ? Le même gouvernement qui a mis en place à Paris un préfet de police radical comme Didier Lallement, c'est ça ? Macron joue au pompier pyromane ! Ces médailles, il aurait fallu les retirer ou les suspendre le temps de l'enquête à tout le moins : soit le type est intègre et on maintient la décoration, soit on la lui retire et on le sanctionne. Sinon on prend le parti de l'utra-violence et après, il ne faut pas venir donner des leçons.»
Et l'ancien commandant de reprocher leur attitude aux partenaires sociaux : «Les syndicats de police ont dû voir venir la mise en cause des policiers de terrain de loin et ils n’auraient pas dû cautionner ces confrontations hyper-violentes ! Ils auraient dû dénoncer depuis des mois déjà que la police soit utilisée comme une variable d’ajustement social. La police n’est pas là pour ça, ils n’auraient pas dû entrer dans le jeu d’appartenance à un camp, jamais ! Et surtout, ils auraient dû demander la démission de Castaner dès ses premières déclarations péremptoires et dangereuses pour tout le monde, y compris pour les policiers. C'est une mise en danger physique de la population et des effectifs de terrain.»
La France est un pays de culture insurrectionnelle et on ne sait jamais jusqu'où ça peut aller
Et d'appeler à un apaisement : «Les syndicats de police devraient siffler la fin de cette opposition entre population et police, créée de toute pièce par ce gouvernement qui ne veut surtout pas écouter le mouvement social ni négocier, parce que ce qu’ils veulent c’est réformer, donc c’est un dialogue de sourds. Le problème avec ces gens qui doivent tout à ce gouvernement, c'est que ce sont devenus des valets aux ordres et qu'ils entraînent toute leur institution dans leur soumission. Mais il faut cesser de traiter les manifestants comme des terroristes, il faut cesser d'aiguillonner le peuple, la France est un pays de culture insurrectionnelle et on ne sait jamais jusqu'où ça peut aller. Cette dynamique est palpable actuellement. Il faudrait des démissions en masse pour arranger tout cela et la première, ce serait celle de Castaner.»
On voit bien la différence de traitement entre les syndicalistes et les Gilets jaunes. Le samedi, toutes les armes étaient sur la table
Interrogé par RT France, le Collectif autonome des policiers d'Ile-de-France n'est pas plus tendre avec les formations syndicales et l'administration : «Ce qui se passe là sur le maintien de l'ordre, on l’a déjà annoncé il y a quelques mois, on le savait qu'il y aurait des mises en examen et que la responsabilité individuelle des collègues serait engagée. Et maintenant, on est dedans : il va y avoir des lampistes ! Nous avons mis en garde, les syndicats, la hiérarchie et l'administration. Cette attitude très dure, cet usage de l'intimidation du gouvernement vis-à-vis des Gilets jaunes, elle ne fonctionne pas avec les syndicats traditionnels de la société civile. Mais nous aurions aimé que les syndicats de police s'y intéressent plus tôt, notamment avec les Gilets jaunes, pas qu'ils s'en offusquent maintenant. Ils n'ont rien fait, parce que les Gilets jaunes, ils s'en foutent. Le ministère de l'Intérieur a livré un message de liberté d’action aux policiers. La haute hiérarchie a laissé faire pendant un an et demi, car qui ne dit mot consent… s'ils avaient dit à leurs policiers de terrain de calmer la répression, ça aurait été fait. C'était une validation par défaut et les collègues ont estimé qu'ils pouvaient y aller.»
Différence entre Gilets jaunes et syndicats ?
Surtout, le Collectif se dit écœuré par une certaine différence de traitement : «On voit bien la différence de traitement entre les syndicalistes et les Gilets jaunes. Le samedi, toutes les armes étaient sur la table, même les chevaux qu'on a fini par ranger parce qu'ils morflaient ! Mais sur les blocages de sites RATP, les nouvelles consignes c'est : pas de casques, pas de boucliers, pas de gaz, pas de LBD évidemment et de la poussette, toute gentille. C'est du théâtre, de la mise en scène de confrontation médiatique, c'est ridicule même. Pour les Gilets jaunes, les grenades auraient fusé d'emblée, mais avec les syndicats, ils ne se permettront jamais ça, parce qu'ils savent que ça pourrait aller très loin en justice.»
Ce membre du collectif sans mandat syndical a aussi un mot à propos du fameux «croche-pied à l'éthique» : «Le collègue a été identifié, c'est un major. On le voit très bien à l'image qu'il regarde la personne qui filme avant de faire ce geste... Quel est le message ? C'est de la provocation ?»
Ce gouvernement a validé cette forme de répression brutale en mettant en place un préfet qui était connu comme cassant
Cependant, le policier militant a aussi une analyse inattendue de l'équilibre des forces de négociation actuelle : «On nous dit que le gouvernement veut mettre la pression sur les policiers, mais en réalité, pour moi, ce sont plutôt les grands syndicats de police qui commencent à lâcher Castaner et le ministre leur met la pression en retour. Même les BRAV en ont marre, les policiers sont fatigués, leurs familles sont fatiguées... Les derniers représentants syndicaux qui défendent encore ce ministre et qui l'ont toujours soutenu ont leur part de responsabilité dans cette situation. Alors maintenant, nous voudrions savoir : Castaner veut-il partir refaire de la politique et quitter Beauvau ? Parce que si c'est le cas, nous les policiers n'avons vraiment pas besoin qu'il nous salisse davantage avant de quitter ses fonctions. Ce gouvernement a validé cette forme de répression brutale en mettant en place un préfet qui était connu comme cassant et les policiers de terrain leur ont sauvé la mise pendant des mois et des mois.»
On l'oublie beaucoup, mais nous sommes un service public et donc au service des citoyens
Le Collectif s'étonne aussi de la temporalité différée de la polémique sur le code d'identification RIO que les policiers de maintien de l'ordre choisissent souvent de ne pas porter : «Nous avons reçu une nouvelle note sur le RIO qui nous rappelle de le montrer impérativement... C'est étrange parce que cette note, on ne nous l'a pas envoyée pendant que les pires samedis de Gilets jaunes et maintenant, on nous demande de le sortir ? Le gouvernement a-t-il moins besoin de nous à présent, pour que tout à coup ce débat redevienne acceptable ?»
Franck, officier de police judiciaire (OPJ) à Paris, interrogé par RT France, rappelle de son côté la mission initiale des policiers : «On l'oublie beaucoup, mais nous sommes un service public et donc au service des citoyens.»
Toutefois, le policier estime également que la philosophie sécuritaire en France n'est pas la bonne depuis plusieurs années : «Sur la forme, le discours de Castaner et Macron est hypocrite puisque le gouvernement a soufflé sur les braises du conflit social, mais la responsabilité politique ne s'arrête pas là. On peut remonter aux déclarations de Nicolas Sarkozy avec "Kärcher" pour ne citer que lui. L'utilisation du sujet sécuritaire dans les discours politiques dure depuis bien trop longtemps et les politiques de tous bords n'ont pas joué l'apaisement, ils ont donc incité à certains comportements. L'accent n'est pas assez mis sur l'éthique et la déontologie dans la police.»
Des solutions existent-elles ? L'OPJ rappelle que oui, mais qu'elles sont oubliées : «Des dispositifs sont mis en place, mais pas assez appliqués (code de déontologie, code de la sécurité intérieure, référent déontologue, le contrôle hiérarchique, le contrôle judiciaire, le code européen d'éthique de la police, etc.). Il faudrait comprendre pourquoi. Pour moi, la formation continue est presque inexistante sur ce sujet et la formation initiale est très vite oubliée, car pour s'intégrer, il faut entrer dans le moule des anciens qui encouragent les valeurs viriles comme le courage pour aller au contact ou se faire respecter. Mais le respect, ça ne s'impose pas, ça se gagne.»
Antoine Boitel
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