L'écologie n'est-elle pas prisonnière d'un jeu politique ? Ces derniers mois, politiques et célébrités agitent le chiffon rouge du dérèglement climatique pour promouvoir certaines orientations : volonté gouvernementale de réduire de la part du nucléaire en faveur de l'éolien ; pétition de stars qui se mobilisent autour du collectif «l'Affaire du siècle» pour condamner les énergies fossiles et le nucléaire au profit des énergies renouvelables, etc. Emmanuel Macron, lui-même, tente de s'afficher comme l'un premiers inquiets de la cause climatique en recevant le 22 février 2019 à l'Elysée l'adolescente et égérie des écologistes Greta Thunberg. Le leader d'Europe Ecologie Les Verts (EELV), Yannick Jadot, l'un des principaux vainqueurs des élections européennes de 2019 avec le slogan «le vote du siècle», est aussi un pourfendeur du nucléaire, estimant que la France devrait suivre l'Allemagne en abandonnant cette énergie au profit de celle éolienne.
Les énergies renouvelables, pour autant, représentent-elles la solution pour répondre au changement climatique ? Le nucléaire est-il l'un des responsables du problème climatique comme il semble admis dans le discours politique ambiant ? Les données récoltées par la start-up franco-danoise, Tomorrow, créée par le Français Olivier Corradi, sont à même de bouleverser certains clichés. A travers une application, Electricity Map, les citoyens peuvent constater en temps réel l'impact sur le climat de la production électrique, à travers les émissions de gaz à effet de serre, par zone géographique ou pays. Par un jeu de couleurs allant du vert au marron, les internautes peuvent de cette manière constater si leur pays privilégie des productions bas carbone, du renouvelable, du gaz ou du charbon pour produire son électricité. Or, il s'avère que le modèle allemand – prôné par certains écologistes – est régulièrement teinté de marron, quand la France, pour sa part, est régulièrement colorée en vert, signe qu'elle produit très peu de gaz à effet de serre (GES).
La France est de manière indiscutable un leader en termes d’électricité décarbonée dans le monde, cela venant surtout du choix politique historique de se baser sur le nucléaire
Interrogé par RT France, Olivier Corradi précise d'emblée qu'Electricity map n'est ni financée, ni influencée par aucun lobby. Pourquoi la France a-t-elle, selon son application, une intensité carbone si faible par rapport à l'Allemagne ? A regarder Electricity map, si l'on prend exemple de la journée du 17 au 18 juillet, la France a produit en moyenne moins de 70 grammes d’équivalent dioxyde de carbone émis par kilowattheure (kWh) d’électricité consommée, quand l'Allemagne en a produit régulièrement plus de 300 grammes voire 400 grammes. Malgré ses panneaux photovoltaïques en journée d'été, l'Allemagne a effectivement utilisé du charbon – lourd émetteur de GES – pour répondre à ses besoins. La France, quant à elle, a massivement utilisé le nucléaire pour produire son électricité. «La France est de manière indiscutable un leader en termes d’électricité décarbonée dans le monde, cela venant surtout du choix politique historique de se baser sur le nucléaire», appuie Olivier Corradi.
Celui-ci souhaite, avec Electricity map, éclairer le citoyen, les entités privées et les politiques : «On veut mettre en évidence le fait qu’il ne suffit pas simplement de mettre, par exemple, du photovoltaïque, et puis se dire que le problème est réglé. La question, dans ce cas, c'est : que fait-on quand le soleil ne brille plus ? Quelle est la capacité de réserve que l’on a ? Est-ce qu’on a du charbon ? Est-ce qu’on a des batteries ? Est-ce qu’on stocke l’énergie ?».
En effet, les énergies intermittentes comme l'éolien ou le photovoltaïque ont pour principaux défauts de ne pouvoir répondre à la demande de manière instantanée, lors des pics de consommation, et d'être difficilement stockables à grande échelle.
Olivier Corradi confesse l'une des limites de son application : «Le nucléaire a d’autres problèmes [enfouissement des déchets nucléaires notamment], de la même manière que d’autres énergies ont beaucoup d’autres problèmes. Nous avons choisi de focaliser la carte sur un angle, qui est exclusivement l’angle des émissions de gaz à effet de serre.» Pour autant, un maximum de données sont retenues par l'application pour déterminer l'impact écologique de telle ou telle énergie. Si bien qu'Electricity map prend aussi en compte le bilan carbone de chaque unité de production, en se basant, d'après Olivier Corradi, sur les chiffres du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
L'avenir passe-t-il finalement par le nucléaire ?
L'application prend en compte l'ensemble des cycles de vie, c’est-à-dire l'empreinte carbone du traitement des déchets nucléaires, ainsi que l'empreinte carbone de la construction, du démantèlement et du recyclage de l’appareil productif, que ce soit pour les centrales ou les unités de production des énergies renouvelables.
In fine, «l'empreinte carbone est comparable entre le nucléaire, qui est effectivement très basse (entre 10 et 20 kilowattheure), l'éolien (également entre 10 et 20 kWh) et le solaire (aux alentours de 40 kWh)». «L'empreinte carbone n’est pas à 0 parce qu’il faut bien du béton pour construire, il faut acheminer les matériaux, etc.», complète-t-il.
Notre grande peur c’est d’avoir un monde du futur dans lequel le marketing a pris le dessus sur la pensée scientifique
Un travail «scientifique» a donc été réalisé, l'entreprise d'Olivier Corradi dénichant les données provenant du GIEC pour les émissions de GES. Concernant les données de production électrique, la plateforme se fonde sur les chiffres des gestionnaires de transport d’électricité (RTE en France), des opérateur de marché, comme «Nord pool» pour les pays nordiques, ou des agrégateurs de données comme Entsoe pour l'Europe. Une approche «scientifique» pour que «chacun puisse vérifier et ne puisse pas dire qu'on a biaisé le système dans une direction», souligne l'entrepreneur. Olivier Corradi argumente par ailleurs : «Ce qui nous intéresse, c’est d’avoir une fondation scientifique par rapport aux données que l'on dévoile, de les rendre intuitives, dans une démarche d’éducation. On veut apporter un peu d’éclairage dans des débats qui ne sont pas forcément très éclairés.» «Notre grande peur c’est d’avoir un monde du futur dans lequel le marketing a pris le dessus sur la pensée scientifique ou sur la quantification des impacts», ajoute-t-il. Il déplore que le débat soit souvent idéologisé au détriment de certains faits. «Il y a encore beaucoup de gens en France qui pensent que le nucléaire est émetteur de CO2 [dioxyde de carbone] par exemple», constate le startupper.
La France, la Suède, la Norvège, des pays «verts», la Pologne un pollueur marron foncé
En synthèse de l'ensemble des données, Olivier Corradi note que «les mix énergétiques gagnants dans le monde, en termes d’électricité décarbonée, sont le nucléaire et l’hydraulique». «Deux technologies qui permettent à grandes échelles de produire de l’électricité décarbonée. Vous allez trouver dans le top du classement, la France, également la Suède, qui possède un mix hydrau-nucléaire ou, encore, la Norvège qui a un mix quasiment hydraulique», prolonge-t-il.
A l'inverse, à l'instar de l'Allemagne souvent teintée en marron clair, la Pologne est l'un des pays européens qui produit le plus d'électricité avec une intensité carbone élevée (massivement par l'intermédiaire du charbon). L'Etat polonais apparaît ainsi régulièrement en marron foncé sur la carte. Si une centaine de pays sont scrutés quotidiennement, Electricity map n'a pas les paramètres de tous les pays. Olivier Corradi avoue de fait que sa société tente de faire pression sur des gouvernements récalcitrants pour qu'ils dévoilent leurs données de production électrique. Une mission délicate, avoue-t-il, même si le succès d'Electricty map peut permettre aux citoyens de faire eux-mêmes pression sur les politiques pour rendre public les chiffres. Selon leurs statistiques, l'application tourne actuellement à plus de 4 000 visiteurs par jour.
Les batteries lithium, typiquement celles des batteries de voitures électriques, ont un coût fixe sur l'unité qui ne va pas être neutre en carbone
Dans un monde qui tend à tout électrifier, alors que 80% de l'énergie mondiale provient de carburants fossiles, Electricity map entend «faire face aux grands enjeux de la transition écologique». «Il faut quand même savoir d’où vient notre électricité», justifie Olivier Corradi. En ce sens, la société franco-danoise veut aller plus loin. Une nouvelle application devrait voir le jour avant la fin de l'année pour prendre en compte le bilan carbone de l'ensemble du mix énergétique, en permettant à chacun de connaître son bilan carbone par son usage domestique (à travers les données des compteurs Linky notamment), son mode de transport, son alimentation, etc. Un exemple : la nouvelle application devrait permettre de déterminer le bilan carbone des voitures électriques en ne prenant pas simplement en compte l’origine de l’électricité «mais aussi l’empreinte carbone de la manufacture et du recyclage de la batterie elle-même». «Les batteries lithium, typiquement celles des batteries de voitures électriques, ont un coût fixe sur l'unité qui ne va pas être neutre en carbone», ajoute Olivier Corradi.
Avant la création de ce nouveau dispositif, le projet d'Oliver Corradi a déjà reçu le prix de la start-up de l'année par la Chambre de commerce franco-danoise en 2018 et Checknews de Libération a lui aussi confirmé le sérieux de l'application.
Bastien Gouly