Le garde des Sceaux envisagerait-elle de modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse ? Au nom de la lutte contre la haine sur internet, Nicole Belloubet souhaiterait notamment sortir l'injure, mais aussi la diffamation du texte régissant la liberté de la presse, pour les inscrire dans le droit pénal ordinaire, comme elle l'a expliqué le 15 juin au Journal du dimanche (JDD). La proposition de loi Avia (du nom de la député de Paris et porte-parole de LREM, Laetitia Avia) pour lutter contre la haine en ligne doit, à cet égard, bientôt être débattue à l'Assemblée nationale.
Alors que d'aucuns s'inquiètent de ce basculement possible dans le droit commun, l'AFP souligne : «Des journaux satiriques comme Le Canard enchaîné ou Charlie Hebdo [...] ont gagné [devant la 17e chambre correctionnelle, dite "chambre des libertés"] le droit de rire de bonne foi, les survivants du génocide arménien celui d'accuser leurs détracteurs, célébrités et politiques celui de préserver leur vie privée.»
Depuis le début, ce gouvernement a montré qu'il considérait la liberté d'expression comme très secondaire
Si Nicole Belloubet reconnaît que le débat est «complexe et délicat» dans le JDD, elle dit aussi sa volonté de lancer «une réflexion approfondie sur la liberté d'expression sur les réseaux sociaux». Selon les informations de l'hebdomadaire, le ministre s'apprête à constituer un groupe d'experts sur ce sujet et à «saisir pour avis» la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Ce panel «d'experts» sera-t-il plus convaincant que celui qu'a constitué le ministre de l'Intérieur pour mener une réflexion sur le maintien de l'ordre ? Plusieurs avocats contactés par l'AFP ont déjà dénoncé «l'hypocrisie» et la «dangerosité», selon eux, d'une telle réforme. De plus, le vice-bâtonnier de Paris Basile Ader met en garde contre des «idées fausses» : «Ce n'est pas la loi de 1881 qui entrave la répression, mais plus sûrement l'inaction des parquets et surtout la difficulté d'identification des auteurs d'injures haineuses (via les données de connexion).»
L'avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka a alerté : «L'équilibre de cette loi, c'est d'accorder un régime procédural plutôt très protecteur pour la liberté d'expression, avec des règles sur le fond qui sont très sévères, en particulier en matière de preuve de la vérité. Y toucher de manière aussi profonde est irresponsable.»
Et le vice-président de l'Association des avocats praticiens du droit de la presse, Christophe Bigot d'abonder : «Depuis le début, ce gouvernement a montré qu'il considérait la liberté d'expression comme très secondaire.»
Fondamentale pour les journalistes, la loi du 29 juillet 1881 instaure un régime dérogatoire leur permettant de protéger leurs sources et de livrer des informations d'intérêt général en prenant le risque, parfois, de la diffamation publique.
C'est d'ailleurs ce point qui alerte le patron du site d'investigation Médiapart, Edwy Plenel. «[Le] projet de sortir de la loi sur la liberté de la presse certaines infractions, qui pourraient être jugées en comparution immédiate, ouvre la voie à une nouvelle censure», estime-t-il sur Twitter.