Rival citoyen du grand débat national, organisé par le gouvernement pour tenter de répondre à la crise sociale en cours depuis le 17 novembre 2018, le «Vrai débat», lancé par des collectifs de Gilets jaunes, mène depuis plusieurs mois «une contre-offensive» pour recueillir les doléances des citoyens. Son but : élaborer de réelles propositions de loi.
Après une consultation de 33 jours qui a regroupé 45 000 inscrits, vu fleurir 25 000 propositions, et plus d'un million de votes, le «Vrai débat» entre désormais dans sa deuxième phase : des assemblées citoyennes délibératives, qui auront lieu en deux temps et dont la première session aura lieu les 8 et 9 juin dans quatre villes : Avignon, Lille, Marseille et Toulouse.
Si les inscriptions sont toujours ouvertes, plus de 1 500 participants ont déjà confirmé leur présence. «L'idée est d'avoir 50 à 90 personnes par assemblée et si des groupes locaux veulent d'ici là organiser leurs propres assemblées, on est prêts à travailler ensemble», expliquaient les organisateurs qui tenaient une conférence de presse le 24 mai à Paris. Les débats porteront sur quatre thèmes proposés, «mais qui peuvent évoluer» : service public, institutions, justice fiscale et écologie.
A l'issue d'une seconde vague d'assemblées qui doit se tenir en automne, le «Vrai débat» devra accoucher de propositions citoyennes de loi. «Nous voulons démontrer que les Gilets jaunes, et les citoyens dans leur ensemble, sont capables de dire ce qu’ils veulent dans ce climat de délitement de la démocratie», peut-on lire sur le site du «Vrai débat».
Rigueur et sérieux malgré des moyens modestes
L'aventure du «Vrai débat» a commencé avec la mise à disposition d'un outil participatif, l'application Cap collectif, qui s'est trouvée être la même plateforme que celle du grand débat organisé par le gouvernement. Mais les frais dépensés pour les deux initiatives sont sans commune mesure. Le coût du grand débat du gouvernement s'élève en effet à douze millions d'euros, tandis que celui du «Vrai débat», qui repose en grande partie sur du bénévolat, est de 4 000 euros, financé grâce à une cagnotte en ligne.
Autre obstacle pour le «Vrai débat» : il n'a pas bénéficié d'un grand écho médiatique. Selon ses instigateurs, «les médias ont parlé du ''Vrai débat'' 800 fois alors que le Grand débat a été mentionné 16 000 fois dans la presse».
Pour autant, le «Vrai débat» ne lésine ni sur le sérieux ni sur la rigueur dans son travail. Le traitement des données recueillies sur la plateforme a été effectué par des chercheurs. «Pour ce qui est du travail de synthèse [à l'issue de la consultation], il était très important pour nous d'avoir des entités indépendantes de nous pour traiter les revendications déposées par les gens sur la plateforme», explique l'un des organisateurs.
Pour ce faire, des laboratoires de recherche universitaire dont ceux de l'université Lyon2, de l'ENS et le laboratoire Triangle, ou encore le CNRS ont été mis à contribution. Des groupes de travail se sont constitués à l'intérieur de ces laboratoires de recherche dans des domaines différents (sciences politiques, sociologie, etc.) et toutes les données de la plateforme ont été triées grâce à des outils d’analyse textuelles et de visualisation.
Le laboratoire Triangle a ainsi classé 1 059 propositions qui représentent, selon le chercheur en sciences politiques Guillaume Gourgues, «ce qu'il y avait de plus emblématique parmi les revendications». A titre d'exemple, les cinq propositions arrivées en tête dans la synthèse de Triangle sont : la mise en place du référendum d'initiative citoyenne (RIC), la prise en compte du vote blanc ou nul en tant que suffrage exprimé, la nationalisation des autoroutes amorties, l'interdiction du glyphosate et la suppression des rémunérations de tous les élus après la fin d'un mandat.
Le soutien de la CNDP
Les assemblées citoyennes délibératives étaient prévues par les préconisations de la Commission nationale du débat public (CNDP), l'organisme qui a assuré le suivi du grand débat national initié par le gouvernement. Contactée par RT France, Ilaria Casillo, vice-présidente de la CNDP, explique : «Nous soutenons ce type d’initiative citoyenne, comme tout type d'initiative favorisant la participation et appuierons cette démarche comme toutes celles qui souhaiteront mobiliser les garants de la CNDP, dans le strict respect du cadre légal.»
La CNDP et ses 250 garants, sélectionnés et formés pour garantir les procédures de concertation obligatoires ou facultatives sur l'ensemble du territoire national, vont donc accompagner le «Vrai débat». «Comme nous l’avons fait également pour la mission du grand débat mené par le gouvernement, nous leur avons assuré notre disponibilité à leur fournir les contacts des garants présent sur cette liste nationale», détaille Ilaria Casillo.
Il s'agit là d'un soutien de taille pour le «Vrai débat», même s'il n'est que symbolique. En effet, la CNDP agit là en dehors de ses missions légales. Autorité administrative indépendante, elle n'a pas initialement vocation à superviser ce genre d'initiative, car seules les autorités publiques peuvent normalement la solliciter.
«L'objectif pour nous à travers cela est de nous exposer au regard des autres, de voir comment on travaille et attester du sérieux et de la cohérence de notre démarche», explique le chercheur Guillaume Gourgues. «Alors effectivement, on s'expose un peu parce qu'on bricole, on fait ce qu'on peut, mais tant pis, là où le gouvernement a reculé et n'a pas voulu s'exposer à un contrôle extérieur, nous on veut aller jusqu'au bout de notre démarche», explique-t-il.
A l'opposé du «schéma vertical» du gouvernement
En effet, face à un désaccord avec le gouvernement, la CNDP, qui jugeait que les exigences de l'exécutif remettaient en cause ses principes et son fonctionnement, a été littéralement écartée de l'organisation du grand débat national.
Pour Chantal Jouanno, présidente de la CNDP, Emmanuel Macron a voulu transformer l’initiative du Grand débat en une «campagne de communication». En limitant les thèmes abordé, le gouvernement aurait selon elle organisé un débat fermé, avec des sujets qu'il était hors de question de discuter, ce qu'elle juge contraire aux principes de la CNDP.
A titre d'exemple, le 13 décembre dernier, lors d'une réunion de préparation du grand débat, un conseiller de l'Elysée évoquait le nécessaire «filtrage du rapport final» – alors que la CNDP estimait que les données, dans leur intégralité, devaient pouvoir être accessibles à tous afin que chacun puisse vérifier la sincérité de la restitution, à la fin du débat.
Dis-moi ce dont tu as besoin et je t'expliquerai comment t'en passer
Pour Guillaume Gourgues, le but du «Vrai débat» est de «remettre les outils démocratiques qui permettent de débattre, de controverser, de construire des solutions entre les mains des citoyens et du mouvement social». Pour ce faire, ses organisateurs entendent sortir du «schéma vertical» de la politique française. «Un des problèmes qu'on a en matière de participation des citoyens à la démocratie c'est que tout est toujours octroyé et contrôlé par les gouvernants», estime le chercheur. «Le Grand débat était à cet égard particulièrement caricatural : venez débattre mais selon mes thèmes, mes règles, avec l'idée : dis-moi ce dont tu as besoin et je t'expliquerai comment t'en passer», ironise-t-il. C'est la raison pour laquelle les organisateurs du «Vrai débat» veulent «une intervention populaire directe dans les affaires publique».
«Que doit-on changer et comment ?»
Lors de la première session des assemblées délibératives qui auront lieu le week-end des 8 et 9 juin et se prolongera sur les deux week-end suivants, l'objectif sera d'identifier les thématiques qui posent problème dans la société et de répondre à une question simple : «Que veut-on changer ?»
Pour cela, les participants travailleront sur les 1 059 propositions sélectionnées parmi les 25 000 recueillies sur la plateforme du «Vrai débat» et dégageront les thèmes prioritaires qui feront consensus et sur lesquels ils considéreront qu'il faut changer les choses. On peut aisément parier que la question de la participation citoyenne à la vie politique à travers l'instauration du RIC, une des revendications principales des Gilets jaunes, fera partie des propositions qui verront le jour lors de ces assemblées.
Une deuxième série d'assemblées aura lieu en automne. Les participants devront alors plancher sur les moyens mis à leur dispositions pour opérer concrètement les changements qu'ils proposent. «En résumé, en juin on se dit : "Que veut-on changer ?" et à l'automne : "Comment le changer" ?», explique l'un des organisateurs.
On ne va pas rédiger des alinéas, ce ne sera pas des textes juridiques
Le Vrai débat s'étendra donc sur toute l'année 2019. Son ambition : «Outiller le mouvement social et structurer des revendications qu'il a déjà», explique Guillaume Gourgues. Mais selon lui, il ne s'agit pas non plus d'arrêter la mobilisation de terrain des Gilets jaunes. «C'est une démarche qui n'a de sens qu'en complément à la rue et tout le monde est engagé au même niveau», assure-t-il. «Ce n'est pas du tout un groupe d'experts de salon qui invente des choses auxquelles on va ensuite demander aux gens de participer une fois que tout sera calé».
Les organisateurs du «Vrai débat» espèrent que cette deuxième vague d'assemblées favorisent l'éclosion, partout en France, d'assemblées citoyennes indépendantes qui se saisiront des thèmes du mois de juin pour construire ce qu'ils appellent des «propositions citoyennes de loi». Il ne sera selon eux pas nécessaire d'être juriste pour se mettre à écrire. «On ne va pas rédiger des alinéas, ce ne sera pas des textes juridiques. L'idée c'est de rédiger l'esprit de la loi», explique Maxime, l'un des organisateurs.
La question de la légitimité démocratique qu'il conviendra de donner à toutes ces initiatives se posera très certainement aux participants du «Vrai débat» à l'issue de ces cycles d'assemblées. Par quel biais vont-ils faire voter leurs propositions de loi ? Vont-il interpeller les députés pour qu'ils soient leurs porte-voix ? Ou tenteront-ils d'autres procédés ? Tout cela sera décidé en assemblée d'ici l'automne. A suivre.
Meriem Laribi