Restauration de Notre-Dame : les sénateurs remanient une «loi d’exception»
Le Sénat dominé par la droite a adopté, dans la nuit du 27 au 28 mai, le texte encadrant la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, après l'avoir largement modifié. La quasi-totalité des groupes ont mis en garde contre «la précipitation».
«Opposé à l’adoption d’une loi d’exception […] le Sénat a adopté, lundi 27 mai 2019, une version profondément remaniée du projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris», écrit la chambre haute du Parlement dans un communiqué.
L’article 9 habilitant le gouvernement à fixer par ordonnances des dérogations aux règles en matière d'urbanisme, d'environnement, de construction, de préservation du patrimoine a tout simplement été supprimé. Pour expliquer cette décision, le Sénat va jusqu’à citer dans son compte rendu une enquête d’opinion réalisée par Odoxa pour Le Figaro et Franceinfo, parue le vendredi 10 mai 2019, consacrée à la restauration de Notre-Dame de Paris.
Selon cette étude, 72 % des personnes interrogées se sont déclarées opposées à des dérogations qui porteraient sur les normes des marchés publics et la protection du patrimoine afin que les travaux puissent être achevés d'ici cinq ans, estimant qu'il était indispensable de prendre le temps d'une approche réfléchie et de bien choisir les entreprises de restauration.
Le Sénat rappelle aussi que, interrogé le 16 mai à l’Assemblée nationale, le ministre de la culture avait assuré que les dérogations prévues dans la loi se justifiaient par l'objectif «d'aller plus vite». Et la durée de cinq prévue pour le chantier par le Président de la République a particulièrement irrité la quasi-totalité des sénateurs.
Cette décision n’a reposé sur aucune analyse détaillée ni aucune forme d’expertise et je l’assume totalement
Quelque jours auparavant, le 24 mai, Emmanuel Macron avait réaffirmé à l’Elysée, lors de la remise d’un prix d’architecture, son attachement à la durée de cinq ans décidée par lui pour réaliser les travaux de reconstruction, déclarant selon Reuters : «Je sais que beaucoup se sont inquiétés de ma décision de réaliser ces travaux dans un calendrier serré, volontariste mais je l’assume pleinement.»
A propos des considérations l’ayant conduit à choisir cette durée du chantier, Emmanuel Macron a reconnu : «Cette décision n’a reposé sur aucune analyse détaillée ni aucune forme d’expertise et je l’assume totalement.»
«Notre-Dame de l'Elysée»
Pendant les débats David Assouline (PS) a ironisé : «Il s'agit d'une loi pour reconstruire Notre-Dame de Paris, pas Notre-Dame de l'Elysée», tandis que Pierre Ouzoulias (CRCE à majorité communiste) évoquait «une dépossession» des autorités compétentes «au profit d’un dispositif contrôlé depuis le plus haut sommet de l’Etat». Le rapporteur du projet pour le Sénat Alain Schmitz (LR) a lui jugé «absurde de se laisser enfermer dans le délai de cinq ans si celui-ci doit conduire à rogner sur la qualité du chantier». Il a été appuyé par la présidente centriste de la commission de la Culture, Catherine Morin-Desailly pour qui «le chantier durera ce qu'il doit durer».
Fin avril, plus d'un millier d'experts du patrimoine du monde entier ont invité le président de la République à éviter la «précipitation» dans la restauration de la cathédrale Notre-Dame et à ne pas s'affranchir des règles de protection du patrimoine, dans une tribune publiée sur le site du Figaro.
«N'effaçons pas la complexité de la pensée qui doit entourer ce chantier derrière un affichage d'efficacité», écrivent-ils. Les signataires, parmi lesquels le conservateur des monuments nationaux, Laurent Alberti, critiquent le choix du gouvernement de passer pour ce chantier par un projet de loi autorisant des dérogations aux normes de protection patrimoniale.
Les choix pour la restauration du monument doivent se faire «en ayant une approche scrupuleuse, réfléchie, de la déontologie» ajoutent-ils.
Contre l'avis du gouvernement, le Sénat a aussi pris position dans le débat sur la préservation de l’aspect de la cathédrale en inscrivant dans le texte que la restauration devrait être fidèle au «dernier état visuel connu» avant le sinistre, y compris la flèche, précisant même que l'emploi de matériaux différents de ceux d'origine devrait être justifié.
La veille de l’examen du projet de loi par le Sénat, la maire de Paris Anne Hidalgo (PS) s’était exprimée dans les colonnes du Journal du dimanche en se déclarant « favorable à ce que [la cathédrale] soit restaurée à l'identique».