France

Européennes : la menace russe brandie en argument électoral par la République en Marche

Bien que non membre de l'UE, la Russie a joué un rôle de choix dans la campagne des européennes : celui d'épouvantail. La majorité présidentielle a en effet usé de plusieurs ficelles pour ériger ses adversaires en faux nez de Moscou.

Royaume-Uni, Etats-Unis, France, Italie : depuis plusieurs années, responsables politiques et commentateurs médiatiques n'ont de cesse de brandir une supposée menace ou ingérence russe avant chaque scrutin d'importance. Et celui du 26 mai, où les citoyens des 28 pays de l'Union européenne doivent élire leurs représentants à Strasbourg, n'y a pas échappé. Un argument électoral décliné à toutes les sauces.

La Russie présentée comme une menace militaire

La propagande électorale diffusée par la République en marche le 8 mai annonçait la couleur : la menace russe pèse sur ces élections européennes. Dans une partie – volontiers angoissante – consacrée à la défense, la majorité présidentielle mettait ainsi en garde : «Depuis 10 ans, la Russie multiplie les interventions armées.» Un argument électoral permettant de faire la promotion de la construction d'une «capacité d’action européenne, en complément de l’OTAN», une allusion à l'armée européenne appelée maintes fois des voeux d'Emmanuel Macron.

Moscou comme adversaire de campagne : si elle n'est pas nouvelle, la méthode a de quoi surprendre. Car, jusqu'à preuve du contraire, la Russie n'est pas membre de l'Union européenne et les responsables politiques russes – au premier rang desquels le président russe Vladimir Poutine – se sont, comme de coutume, abstenus de commenter la campagne électorale des européennes, et encore moins de donner quitus à quelconque candidat ou force politique.

Pourtant, alors que la liste conduite par Nathalie Loiseau est en perte de vitesse, n'étant pas assurée de finir devant le Rassemblement national, et que le président français s'y implique personnellementjusqu'à remplacer sa tête de liste sur des affiches de campagne – LREM a sorti sa botte de Nevers : ses principaux adversaires politiques seraient en quelque sorte des faux nez de Moscou.

Les Russes, des ennemis à combattre... dans un jeu vidéo

Les Jeunes avec Macron ont par exemple mis en ligne un jeu vidéo inspiré de la franchise à succès Super Mario Bros dans lequel il est possible d'incarner la candidate du parti d'Emmanuel Macron. Celle-ci doit retrouver toutes les étoiles européennes dérobées par ses ennemis populistes... et supposément pro-russes.

Dans une approche se voulant ludique, en plus de combattre de méchants populistes tels que Matteo Salvini ou Donald Trump, une Nathalie Loiseau stylisée façon manga doit faire face à «Melanrus» : une chimère au corps d'insecte et au visage prenant les traits du leader de la France Insoumise dont le nom est une contraction de Jean-Luc Mélenchon et de la Russie. Dans ce jeu en ligne, une Marine Le Pen pro-russe y est également dépeinte. 

Interrogée, la déléguée générale adjointe chargée de la communication des Jeunes avec Macron, Claire Cussemane, a assuré que le rapprochement entre Mélenchon et la Russie était «malencontreux» et «pas du tout voulu». «C’est le prestataire qui a choisi les noms des "boss"», poursuivait-elle, se défaussant sur la société allemande éditrice AdAsGame. Ironie du sort, le jeu devrait bénéficier de plusieurs mises à jour car il est jugé... trop difficile.

Nathalie Loiseau accuse le RN de vouloir constituer un «groupe Poutine» au Parlement européen

Peu surprenant donc que la tête de liste de la majorité présidentielle se soit dans la foulée alarmée auprès du Monde d'une putative «très grande sympathie pour la Russie» du RN. Le 14 mai, l’ancienne présidente de l’ENA a en effet estimé qu'un vote en faveur de la liste conduite par Jordan Bardella reviendrait à porter la Russie de Vladimir Poutine au Parlement européen.

«Marine Le Pen et ses amis ont en commun une très grande sympathie pour la Russie de Vladimir Poutine. Le groupe d’extrême droite qu’ils veulent constituer, c’est le groupe Poutine au Parlement européen», lançait-elle sans ambages dans les colonnes du quotidien. Des propos commentés le soir même sur France 2 par l'adversaire d'Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle de 2017 : «Hier j’étais un agent de Trump, aujourd’hui un agent de Poutine, demain ils vont découvrir que je suis reptilienne ou anthropophage», déclarait la patronne du RN.

Et de poursuivre : «Voilà des gens qui nous expliquent qu’en réalité, nous ne pouvons avoir de contact avec aucune autre nation. Evidemment que je parle avec des Russes, des Chinois, des Indiens, car ce sont de grandes nations. Loiseau considère que pour être européen il faut être en guerre avec le monde entier.»

Daniel Cohn-Bendit réclame une commission d'enquête sur le rôle de Vladimir Poutine

Le spectre d'une soi-disant influence russe sur le scrutin : un éternel refrain repris en coeur par les membres de la majorité... et leurs soutiens. La veille, Daniel Cohn-Bendit, leader allemand de la contestation anarcho-étudiante de Mai 68 et désormais macroniste zélé – appelé à la rescousse dans une campagne qui bat de l'aile – avait déjà chaussé ses sabots médiatiques pour en rajouter une couche auprès de France Info.

Russophobe assumé qui avait enjoint en juillet 2018 tous les dirigeants politiques européens à boycotter le Mondial de football en Russie, l'ancien eurodéputé a expliqué que la présidente du Rassemblement national était une «agente de Trump et de Poutine» et «un danger pour l’avenir de la France et de l’Europe». «S'il y a une commission d'enquête, il faut en faire une sur les liens Bannon-Trump et les liens avec Poutine», suggérait encore Daniel Cohn-Bendit, ajoutant : «Quand ils parlent des réfugiés, quand ils parlent de l’immigration, ils parlent justement de l’Europe, et après, en même temps, c’est eux qui ont demandé de l’argent à Poutine et c’est eux qui veulent aujourd’hui une politique beaucoup plus orientée vers la Russie.» Si mensonge répété ne fait pas vérité, ces accusations jamais corroborées sont rabâchées à hue et à dia par la République en marche.

Lire aussi : Européennes : quelles listes défendent la sortie de l'OTAN ?