A 62 ans et avec des états de service jugés impeccables en tant que préfet de l’Aisne, de la Saône-et-Loire, du Calvados, puis de Gironde, Didier Lallement a laissé sa préfecture bordelaise pour venir remplacer l'ancien préfet de police de Paris Michel Delpuech, tombé en disgrâce après l'affaire Benalla et surtout les débordements du 16 mars sur les Champs-Elysées en marge d'un rassemblement de Gilets jaunes. La nouvelle est tombée dès le 18 mars.
Sa réputation précède Didier Lallement qui, paraît-il, se plaît à jouer de son aura d'«Iron man» tel qu'il serait surnommé, selon un article paru dans L'Obs, le 7 mai. Le jour de son arrivée à la préfecture de Gironde, il aurait ainsi annoncé : «Vous pensez connaître ma réputation ? Elle est en deçà de la réalité.»
Dans un article de Libération publié le 23 mars, lors de sa prise de fonction, le quotidien avait décrit un homme autoritaire venu du «chevènementisme» qui n'aurait pas laissé dans son sillage que des souvenirs inspirant les dithyrambes : «C’est un préfet fou furieux, il a les dents qui rayent le parquet depuis toujours. En 2012, il voulait déjà avoir la mainmise sur la police et la gendarmerie à l’époque où il était secrétaire général du ministère de l’Intérieur [sous Manuel Valls]. Il a toujours voulu faire de la police opérationnelle, jusque-là il était tenu à l’écart avec une perche», confiait ainsi un ancien directeur central de la sécurité publique.
D'autres sources anonymes croisées par le quotidien livraient leur sentiment à l'égard de Didier Lallement qui confirmaient la réputation de sévérité et d'intransigeance de l'homme : «Il est très cassant avec les gens, très blessant. On n’avait jamais vu ça. Il est froid dans son management, mais assume totalement. Avec lui, c’est la politique de la terreur. Il ne respecte que ceux qui, de temps à autre, osent lui tenir tête.» «Didier Lallement ? Il est fou comme un lapin. C’est la rigidité faite homme. Il peut ne jamais vous dire bonjour, ça ne le dérange pas. De ce fait, il me semble très éloigné des caractéristiques que l’on exige d’un préfet, à savoir d’être rond. Si le gouvernement l’a choisi, c’est clairement pour une reprise en main musclée de la préfecture de police», poursuit une autre source.
Et Libération de relever un «paradoxe» : «Bien que très expérimenté, [...] Lallement n’a rien d’un spécialiste de l’ordre public.» De fait, sa gestion des manifestations de Gilets jaunes à Bordeaux n'est pas sans taches : deux personnes ont perdu une main et plusieurs autres ont été sérieusement blessées par des tirs de LBD 40 dont deux ont perdu un œil, sans oublier une ablation de testicule et des traumas crâniens.
Certes le signal adressé par l'exécutif en choisissant un homme à la poigne de fer est fort : Michel Delpuech et le Directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), Frédéric Dupuch, ont été remplacés par deux personnalités réputées «rugueuses», selon un article du Point daté du 7 mai, et Beauvau semble siffler la fin de partie pour toute personne voulant en découdre avec les forces de l'ordre lors des manifestations parisiennes.
Selon l'article de L'Obs du 7 mai, cette fermeté affichée pourrait aussi nuire au plus haut niveau de l'Etat et notamment au ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, déjà fragilisé à son poste après les séquences de sa sortie dansante et ces déclarations relatives à l'incident de la Pitié-Salpêtrière le 1er mai. L'hebdomadaire explique ainsi que Didier Lallement se serait déjà fâché avec deux éminentes personnalités de l'élite parisienne au moment de l'incendie de Notre-Dame de Paris survenu le 15 avril. En l'occurrence, le nouveau préfet de police aurait interdit l'accès à sa résidence au recteur de la cathédrale, monseigneur Patrick Chauvet, parce qu'il se trouvait trop près du sinistre. Ce dernier s'en serait ensuite plaint directement au patron de la place Beauvau.
Par ailleurs, la maire de Paris Anne Hidalgo s'est également trouvée confrontée à «Iron man» selon L'Obs : elle avait organisé, sur le parvis de l'Hôtel de ville, une cérémonie d'hommage aux pompiers le 18 avril pour les féliciter de leur engagement sans faille face aux flammes de Notre-Dame de Paris... Mais Didier Lallement s'y serait tout bonnement opposé, interdisant aux pompiers de s'y rendre. Ce serait, à en croire l'article, Christophe Castaner lui-même qui aurait dû intervenir directement pour permettre aux soldats du feu de participer à cette cérémonie en leur honneur.
Plutôt Clémenceau ou Fouché ?
Christophe Castaner a convoqué le fantôme de Georges Clémenceau lors de la cérémonie d'intronisation de Didier Lallement le 21 mars en guise d'allusion à l'intransigeance attendue à ce poste : «Votre modèle est Georges Clemenceau. La main de Clémenceau n’a jamais tremblé quand il s’agissait de se battre pour la France, la vôtre ne devra pas trembler non plus devant les réformes que vous devrez mener.» Pour mémoire, en tant que président du Conseil et «premier flic de France», Georges Clémenceau surnommé «le Tigre» s'est notamment illustré en tant que «briseur de grève» en 1907, puis 1908 lorsque des grévistes ont été tués par des gendarmes, parfois à bout portant, sous son égide.
Cependant, interrogée par le journal L'Opinion, c'est une autre figure historique qui vient à l'esprit d'une source du ministère de l'Intérieur qui a croisé Didier Lallement en 2012, alors qu'il y occupait le poste de secrétaire général : «Lallement, c'est Fouché», ose ce témoin. Joseph Fouché a pour sa part écopé du surnom de «mitrailleur de Lyon» en octobre 1793 pour avoir encouragé les pires cruautés dans la capitale des Gaules : 1 683 Lyonnais avaient été exécutés au canon, la guillotine ayant été jugée trop lente.
Toujours selon l'article de L'Obs, Didier Lallement n'était d'ailleurs pas le premier choix de Christophe Castaner pour la préfecture de police de Paris, mais celui d'Edouard Philippe. Cependant, du point de vue opérationnel, les résultats sont au rendez-vous : les manifestations du 1er mai se sont relativement bien déroulées.
De plus, la nouvelle doctrine en matière de maintien de l'ordre dans les rassemblements liés à la crise sociale porte ses premiers fruits : les détachements d'action rapide (DAR) reconvertis en Brigades de répression de l'action violente (BRAV) et la mobilité mise en place dès l'acte 19 des Gilets jaunes ont permis d'éviter toute nouvelle flambée de violence après l'incendie très symbolique du Fouquet's le 16 mars.
Les brigades à moto, voulues par ce préfet qui chevauche lui-même une Harley Davidson, étaient craintes pour l'image qu'elles renvoyaient a priori mais elles n'ont pas produit pour l'heure d'accidents notables. Pour mémoire, pris par erreur pour un étudiant manifestant, Malik Oussekine avait été tué par des «voltigeurs» motocyclistes de la police en décembre 1986 alors qu'il sortait d'un club de jazz. Cette affaire a marqué l'histoire française en tant que cas flagrant de violence policière.
Une poigne de fer assumée, mais brocardée dès son arrivée
La poigne de fer de Didier Lallement pourrait donc s'avérer à double tranchant pour le gouvernement qui s'y attendait probablement. L'Opinion le décrit comme «inflexible, impitoyable et raide» et L'Obs assure qu'il s'est «fait quelques ennemis dans la capitale [...] en quelques jours». Il pourrait s'agir du revers de la médaille de l'efficacité exigée à ce poste sous haute-tension.
L'Opinion s'amuse à souligner la jubilation que le nouveau préfet de police aurait ressenti à «se voir dépeint dans la presse en patron féroce», mais si Didier Lallement joue lui-même de cette réputation, le journal précise aussitôt : «Un plaisir qui a ses limites. Sa première interview donne lieu à un vidéo-montage le grimant avec une casquette disproportionnée. L’extrait fait le tour des réseaux sociaux... Des cris de colère tonnent sur l’île de la Cité.»
Dans ce même article, un préfet qui l'a côtoyé assure : «Il vibre à l’autorité, il croit au rapport de force»... Autorité et humour ne font pas toujours bon ménage.
Antoine Boitel