France

Loi anticasseurs, modification de doctrine, nouveau préfet : quels changements pour les policiers ?

Les associations qui alertent sur le malaise de plus en plus patent au sein des forces de l'ordre s'inquiètent également des conséquences potentielles des chantiers lancés par le gouvernement pour mettre fin à la mobilisation des Gilets jaunes.

Adoptée par les chambres du parlement, la loi dite «anticasseurs» doit encore être scrutée par le Conseil constitutionnel, conformément au souhait du président de la République. Or, ce texte, initialement proposé par les élus de droite en 2018, a déjà suscité une vive polémique dans les rangs de l'opposition et jusque dans ceux de la majorité à l'Assemblée nationale.

Après l'acte 18 des Gilets jaunes qui s'est déroulé le 16 mars et a été émaillé de heurts, les rangs des policiers de terrain ne semblent pas faire montre de plus d'optimisme que les opposants à ce texte : «Ce qui est certain, c'est que la loi anticasseurs ne résoudra rien sauf si elle est utilisée pour neutraliser des personnalités identifiées du mouvement des Gilets jaunes... Cette loi est dangereuse car elle est liberticide et elle peut être utilisée à des fins politiques à l'avenir alors que tout l'arsenal nécessaire est déjà disponible dans le code pénal», résume Jean-Pierre Colombies, de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI).

Et de préciser : «Pour ce qui est des Black blocs, ça n'arrangera rien. On connaît le profil de ces individus : ils viennent notamment de pays frontaliers. Je ne vois pas comment on va les assigner à résidence. Nous n'avons déjà pas les moyens d'assurer le suivi des contrôles judiciaires correctement, alors l'assignation à résidence inapplicable à l'étranger, c'est au mieux de l'affichage. L'autre possibilité, ce serait de s'attaquer directement au phénomène des bandes venues des banlieues sensibles, mais ces individus ne rentrent pas non plus dans le cadre de la loi anticasseurs car il s'agit de délinquants qui relèvent du droit commun en réalité.»

Interrogé sur les récents limogeages du Directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC), Alain Gibelin, du directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), Frédéric Dupuch et du préfet de police de Paris, Michel Delpuech, le policier en retraite n'est pas plus impressionné que par le déploiement annoncé de la loi anticasseurs : «On fait sauter un DOPC en pleine dépression et un préfet de police qui ne fait qu'appliquer ce qu'on lui demande. Le préfet Delpuech est la victime expiatoire de l'acte 18 des Gilets jaunes. Ce n'est qu'un fusible et son limogeage ne changera rien. Quant au remplacement du DSPAP, cela donne l'impression d'une chasse aux sorcières, doublée d'une mise au pas. Il y a clairement une recherche de boucs émissaires et une volonté de mettre l'institution aux ordres. Par ailleurs, la destruction de la Préfecture de police de Paris est dans les tuyaux depuis de nombreuses années et plusieurs pouvoirs s'y sont essayés, c'est un serpent de mer qui revient régulièrement, notamment au tout début de l'affaire Benalla. On peut tout de même remarquer qu'il s'agit de personnes qui ont été très fidèles jusqu'à présent... Les sacrifier pour compenser les erreurs médiatiques de l'exécutif, cela pourrait paraître très ingrat.»

Changement de doctrine : plus de contact, plus de danger ?

Concernant le changement de doctrine annoncé en matière de maintien de l'ordre, Jean-Pierre Colombies, dont l'association défend les intérêts des policiers de terrain en dehors de tout mandat syndical ou politique, confie son inquiétude : «On nous parle d'une réflexion autour d'un changement de doctrine pour le MO [maintien de l'ordre]. Pour le moment, on n'a aucune annonce officielle, mais il est question d'aller plus au contact. Cette philosophie est extrêmement dangereuse et elle est portée par des gens qui ne vont pas sur le terrain, que ce soit dans les syndicats majoritaires ou au ministère de l'Intérieur... Après s'il y a des morts, des blessés graves, des enquêtes de l'IGPN [Inspection générale de la police nationale] et des conseils de discipline, il faudra assumer, mais à ce moment-là, seront-ils présents ces va-t-en-guerre ? Pour assumer, il faudrait déjà du courage et une vraie légitimité politique.»

Si Castaner veut faire du travail de terrain, on serait heureux de lui prêter du matériel de maintien de l'ordre. Qu'il vienne en première ligne !

Le porte-parole de l'UPNI s'étonne également d'une situation qui semble relever du paradoxe : «Samedi 16 mars, à 10h30 le matin, une soixantaine d'interpellations étaient déjà annoncées, pendant ce temps-là, les gendarmes mobiles étaient aux prises avec le Black bloc sur les Champs-Elysées. J'en déduis que ce sont surtout d'authentiques Gilets jaunes qui ont été interpellés. De plus, on nous dit qu'il faut embaucher plus d'effectifs que jamais dans les Compagnies républicaines de sécurité [CRS] et les OPJ [officiers de police judiciaire], mais dans ce cas pourquoi avoir mobilisé 14 unités toute la journée en garde statique aux abords des ministères, de l'Elysée et de l'Assemblée nationale ? On savait que ça allait casser sur les Champs-Elysées, pourtant !»

Au téléphone, l'accent marseillais d'ordinaire plutôt discret de cet ancien policier se fait soudain plus chantant quand la taquinerie affleure, le temps d'une suggestion ironique : «Selon moi, Christophe Castaner devrait rendre sa démission de lui-même, mais s'il veut faire du travail de terrain, on serait très heureux de lui prêter du matériel de maintien de l'ordre. Qu'il vienne en première ligne !»

Enfin, l'associatif revient sur l'engagement des syndicats de police et le compare à celui des collectifs indépendants de policiers : «Ce qui est navrant pour nous, associations, c'est que ce n'est pas notre boulot de répondre à la place des syndicats professionnels. Nous devrions être là pour dénoncer le silence autour du phénomène des suicides comme nous l'avons fait le 12 mars en organisant une marche dans Paris totalement ignorée par le gouvernement et par Beauvau. Mais surtout, il faudrait à présent renforcer la procédure judiciaire et la fluidifier pour s'assurer que les interpellations soient suivies d'effet rapidement.»

Antoine Boitel

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