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Christian Hutin : «Cette révolte est une expression du génie français» (ENTRETIEN)

Christian Hutin analyse le mouvement des Gilets jaunes pour RT France. Le député chevènementiste se réjouit de voir les Gilets jaunes parvenir à faire bouger certaines lignes, comme en témoigne la décision de l'Etat de taxer les Gafa. (ENTRETIEN)

RT France : A l’approche de l’Acte 6 des Gilets jaunes, pensez-vous que les dernières annonces gouvernementales vont apaiser et essouffler le mouvement ?

Christian Hutin (C. H.) : Les annonces ont apaisé manifestement. Il y a eu un essoufflement du mouvement. C'est aussi le fait de plusieurs choses : d'une, un certain nombre de violences et d’éléments qui ne correspondaient pas à la mentalité d’une partie des gens, qui étaient sur les ronds-points ou qui manifestaient, ont joué dans l'essoufflement.

Il y également un certain nombre de Français qui travaillent, qui sont parfois eux-mêmes des Gilets jaunes avec les mêmes difficultés. Cela peut commencer à présenter de véritables difficultés par rapport à leur travail, pour pouvoir s’y rendre.

Je pense enfin aux commerçants ou à ces milliers de personnes qui ne vont pas avoir de boulot à Noël du fait des manifestations sociales. C’est un ensemble qui fait que le mouvement s'essouffle.

En revanche, l’idée d’avoir plus de justice sociale ou de réformer notre système global de partage de richesse c’est quelque chose qui restera.

RT France : Comment percevez-vous le mouvement des Gilets jaunes ?

C. H. : C'est peut-être prétentieux de le dire – c’est peut-être du fait de ma vie de médecin au cœur de la population et de maire – mais cela fait des années que j’explique qu’il y a un malaise au sein de la société. Ce malaise c'est celui de personnes qui travaillent toute la journée et qui, à la fin du mois, avec leur travail, ne réussissent pas à joindre les deux bouts ou finissent à la fin du mois avec 50 euros sur leur compte en banque. Cela ne s’appelle pas vivre, cela s’appelle travailler pour survivre. Ce sont des gens qui ont des difficultés, qui ne vivent pas réellement. Ils travaillent pourtant, mais ils ne sont pas heureux et ont du mal à élever leurs enfants.

Il fallait qu’un jour cela explose

J’ai une fille qui est sage-femme, elle habite Dunkerque mais travaille à Calais [à 45 kilomètres de distance environ]. Le fait que l’essence ait augmenté par exemple… Une sage-femme c’est cinq ans d’études, il faut avoir un concours de médecine et à la fin c’est 2 000 euros de salaire par mois. Quand on doit aller à Calais tous les jours, dont deux week-end par mois, et qu'on gagne 2 000 euros, derrière on n'a plus rien parce que l’essence a augmenté et on a 150 euros d’augmentation de frais. Et ça, ce n’est pas possible…

Il fallait qu’un jour cela explose. Le fait que l’essence ait augmenté et que les gens aillent à la pompe régulièrement, cela a déclenché quelque chose qui était stagnant dans la société française.

RT France : En tant que député du Nord, département largement touché par la pauvreté, vous aviez donc ressenti ce mouvement de colère avant le début de la mobilisation des Gilets jaunes ?

C. H. : La colère ne date pas d'aujourd'hui, je la ressens depuis près de 20 ans. Ce qui a peut-être aggravé les choses étant l’attitude un peu arrogante du président de la République et le fait qu’on soit parti dans un libéralisme absolu. Le fait également que la France soit coincée par le carcan européen des 3% [des déficits publics] empêche toute liberté de pouvoir partager toute forme de richesse. C’est aussi un élément majeur qui devait un jour apparaître dans la société française. C’est apparu par un mouvement qui a été initié par les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux font qu'aujourd’hui, par rapport à avant, cela va de plus en plus vite.

 

RT France : Vous parliez du carcan des 3% au niveau européen, qui oblige chaque pays à réduire ses déficits publics à moins de 3% de son PIB. Pensez-vous que le mouvement des Gilets jaunes pourra avoir un impact sur les élections européennes ?

C. H. : Oui, assurément. Il a déjà eu un impact sur le fait que le président, manifestement angoissé et contrarié, ait décidé de passer au-dessus de ce dogme absolu. Par ailleurs, jusqu'à présent on n'avait jamais osé imposer les Gafa [Google, Apple, Facebook et Amazon, quatre géants du Web américains]. L’Allemagne s’y est toujours opposée avec son discours : «Je vends des Mercedes aux Etats-Unis, essayons de ne pas les embêter donc on bloque les négociations.» Le fait que le président souhaite désormais imposer Google ou Apple montre que les Gilets jaunes ont déjà fait bouger les lignes. Et ça, c’est pas mal.

 

RT France : Le gouvernement vient de lâcher du lest avec les policiers. Le pouvoir n’a-t-il pas été malin en trouvant un accord avec les syndicats de police, et en permettant ainsi d’éteindre l’un des principaux foyers de contestation possiblement explosif ?

C. H. : Le pouvoir n’a pas été malin, il n’a pas eu le choix. Il n’avait d'ailleurs pas le choix. De même que je pense qu’il n’aura pas le choix par rapport à tout ce qui se passe au niveau des fonctionnaires qui ont des salaires extrêmement bas, en particulier les fonctionnaires hospitaliers comme les infirmiers ou les sage-femmes.

On est dans la convergence de consciences

Concernant les hôpitaux, les gens font un travail qui est indispensable à la société, qui est courageux. Ce travail a nécessité des études et des investissements. Ils n’ont pas une rémunération qui est à la hauteur de ce qu’ils font. Quand on regarde Carlos Ghosn [PDG de Renault-Nissan accusé de fraude fiscale], on se dit : «Ce n’est pas possible. On marche sur la tête !». Les multinationales ne paient pas d’impôts et, nous, on travaille pour la société, on a fait des études mais on ne gagne rien à la fin du mois. Ce n’est pas possible. Il y a une forme de prise de conscience. Je pense que cette conscience existe depuis plus de 15-20 ans. Cette conscience a trouvé avec les Gilets jaunes le moyen de s’exprimer. Le génie français, parce que cette révolte est une expression du génie français, est sorti de la lampe comme le génie d'Aladdin. 

Cette conscience a trouvé avec les Gilets jaunes le moyen de s’exprimer

RT France :  Vous parliez du secteur hospitalier, n’assiste-t-on pas à un possible moment de convergence entre les différents secteurs en crise ?

 

C. H. : On est au-dessus de la convergence des luttes, on est dans la convergence de consciences. Une conscience par rapport au carcan européen, une conscience par rapport à notre partage des richesses et, surtout, par rapport au partage de l’impôt qui n’est pas égal.

Propos recueillis par Bastien Gouly