Après le déferlement de violence qui a vu des dizaines de personnes être blessées (au moins 23 personnes du côté des uniformes et 110 manifestants) à l'occasion de l'acte 3 du mouvement des Gilets jaunes le 1er décembre à Paris, des membres des forces de l'ordre s'inquiètent déjà de la tournure que pourrait prendre l'acte 4 prévu pour le 8 décembre.
Des primes ont été annoncées pour les policiers et le gouvernement a multiplié les gestes envers les forces de sécurité, notamment en organisant une visite d'Emmanuel Macron le 3 décembre dans un casernement de CRS rue Vitruve dans le XXe arrondissement de Paris. Le chef d'Etat y a déjeuné en compagnie des policiers et aurait laissé un petit souvenir signé de sa main qui lui est attribué par une source policière et dont RT France a obtenu une photographie.
Mais si Emmanuel Macron semble empressé de remercier les forces de sécurité, il n'est pas certain que les syndicats de police soient convaincus. Yves Lefebvre d'Unité-SGP-FO a notamment rappelé sur le plateau de RMC ce 5 décembre le non-paiement de 25 millions d’heures supplémentaires et a évoqué la possibilité d'un mouvement «gilets bleus» après celui des Gilets jaunes. La suggestion a fait sourire jaune du côté des associations policières militantes qui regrettent pour leur part ce coup de sang des syndicats... et de souligner que le contexte actuel d'élections professionnelles n'y est probablement pas pour rien. Pour mémoire, la fonction publique élisait ses représentants professionnels ce 6 décembre.
La prime pour les CRS... ça va être 200 balles, tu vas risquer ta vie pour 200 balles, toi ?
Par ailleurs, Harold, membre de l'association policière UPNI, appartenant à la Compagnie de sécurisation et d'intervention et qui a participé au maintien de l'ordre lors des actes 2 et 3 du mouvement à Paris a confié sa déception à RT France : «Le 2 décembre, le président est venu nous voir avec le ministre de l'Intérieur sur les Champs pour nous rendre hommage, mais c’était pour uniquement faire de la communication ! J'aurais aimé un président qui prenne le temps de parler avec nous, de prendre la mesure de nos expériences et d'essayer de comprendre ce qu'on ressentait... Mais non, ça a été très rapide et destiné aux caméras, en réalité.» Un autre membre de la même association déplore également «qu'il ait fallu attendre des scènes de guérilla urbaine pour que le chef de l'Etat se penche sur la question du mal-être policier qui couve depuis plusieurs années.»
Concernant les primes annoncées, Harold regrette aussi le geste qu'il estime trop faible : «La prime pour les CRS ? On ne sait même pas à combien elle va s'élever, mais on sait très bien comment c’est dans la maison : ça va être 200 balles, tu vas risquer ta vie pour 200 balles, toi ? Mais on ne peut même pas donner de chiffre pour ça ! Même un mois de salaire supplémentaire, ça paraît absurde... et de toute façon, on le sait très bien, le budget ne le permettrait pas.»
Les collègues qui y retournent samedi ont hyper peur, ce qui est très rare !
La même source ajoute : «Il y a des collègues qui ont fait toutes les manifestations de Gilets jaunes à la suite et on leur demande d'y retourner ce week-end, ils sont crevés.» Une compagnie de CRS a d'ailleurs refusé la prime en signe de solidarité avec les «vrais Gilets jaunes», comme l'a fait savoir un fonctionnaire de police à RT France.
Interrogées par RT France, d'autres sources policières ne disent pas autre chose et décrivent l'éreintement de leurs collègues qui estiment avoir été pris par surprise le 1er décembre. Un membre des CRS, qui a témoigné anonymement pour FranceInfo, a fait aussi état d'attaques à l'acide et de pavés jetés au visage, tout en jugeant que les policiers avaient été traités comme de la «chair à canon» et mal préparés à ce qui les attendaient sur le terrain.
Un de ses collègues, qui a témoigné pour BFMTV, a expliqué également que des pointes de grilles ont été utilisées comme projectiles.
Cité par L'Express, un policier appartenant à une compagnie d'intervention ayant servi le 1er décembre a pour sa part décrit une situation de guérilla urbaine au cours de laquelle les policiers auraient été chargés par des manifestants armés de haches et de barres de fer.
Contacté par RT France, un autre membre de l'association policière UPNI a confirmé l'information selon laquelle des traces de coups de couteau avaient été constatées sur les gilets tactiques des forces de l'ordre après les échauffourées opposant des éléments violents aux policiers. Résultat : «Les collègues qui y retournent samedi ont hyper peur, ce qui est très rare !», assure cette même source, qui précise que son organisation ne soutient ni le mouvement de grève annoncé par le syndicat policier VIGI, ni la demande de recours à l'état d'urgence formulée par plusieurs autres syndicats reçus à Beauvau le 4 décembre.
Un dispositif parisien XXL
Echaudés par ce déferlement de violence du 1er décembre, certains policiers s'alarment des mesures annoncées pour assurer le maintien de l'ordre le 8 décembre. La mobilisation des forces de sécurité annoncée est impressionnante et implique la totalité des effectifs de police, selon une source policière qui a confié à RT France un document détaillant «les dispositions de gestion opérationnelle» pour le 8 décembre à Paris. Sur le plateau du Journal télévisé de 20h sur TF1, le 6 décembre, le Premier ministre lui-même a annoncé que 8 000 membres des forces seraient déployés à Paris et 81 000 autres à travers le territoire français, tous corps confondus.
Edouard Philippe a également fait savoir que des véhicules blindés à roues de la gendarmerie nationale (VBRG) seraient utilisés, dont 12 à Paris. Selon Le Parisien, l'«idée serait d’en positionner [...] devant les bâtiments exposés pour dégager des effectifs de Compagnies républicaines de sécurité (CRS) chargées d’aller d’avantage au contact des casseurs.» La gendarmerie possède 80 engins de ce type selon les informations du quotidien d'Ile-de-France.
Les policiers de bureaux dans la rue : fausse bonne idée ?
Cependant, d'autres sources contactées par RT France font part de leur inquiétude, car, dans le cadre de ce déploiement XXL, des policiers de bureaux vont également être affectés au maintien de l'ordre.
Selon l'estimation de l'association policière UPNI, ces professionnels, tout compétents qu'ils soient dans leur domaine, n'ont pas de notions suffisantes en matière de maintien de l'ordre et le recours à ces agents fait craindre le pire aux policiers qui ont déjà connu l'épreuve du feu le 1er décembre : «Les mecs des bureaux sur le terrain ! Carnage assuré ! Voilà pourquoi des morts sont annoncés», a confié l'un d'eux à RT France. Les policiers contactés pointent le risque que ces agents inusités au contexte insurrectionnel se trouvent dépassés par la lourde tâche qui leur sera confiée et qu'ils ne fassent usage de leurs armes de service s'ils se trouvent en état de légitime défense et à court de moyen dits «intermédiaires».
C'est la première fois de ma vie que j'ai regretté d'être policier
C'est la situation qu'a décrite Harold, le policier de l'association UPNI, à RT France : «La pire manifestation de mon point de vue, c'était le 24 novembre, parce qu'elle était gérée par la préfecture de police, pas par le ministère de l'Intérieur, comme ça a été le cas au 1er décembre. Ce n'est pas le même niveau d'engagement. Le 24 novembre, on n'avait pas les moyens nécessaires, on s'est retrouvés encerclés alors qu'on maintenait un cordon au niveau des Champs-Elysées. Il suffit de regarder les images sur les réseaux sociaux pour le comprendre, les collègues étaient totalement submergés par les vils malfaisants, il n'y a pas d'autres mots. Dans ces moments-là, si les collègues n'ont plus assez de matériel, ils prennent tout ce qu'ils trouvent pour se défendre et gagner quelques secondes... Si on nous jette un pavé, on le renvoie dans l'autre sens. Je peux te dire que quand on a vu cette espèce de moissonneuse batteuse avancer vers nous depuis 100 mètres, puis 50, puis 30, avec les pavés et les black blocs très remontés... C'est la première fois de ma vie que j'ai regretté d'être policier.»
J'ai entendu sur les ondes «Vous êtes en état de légitime défense, éclatez-les !»
Pas assez de matériel ? Négatif : «On a tout ce qu'il faut en théorie, mais nous manquons de moyens de défense intermédiaires que la France refuse d'acheter donc on manque de moyen pour "incapaciter" les individus violents, de plus on n'a pas la capacité d'emport nécessaire», précise cette source. En clair : les stocks sont théoriquement suffisants bien que mal adaptés au maintien de l'ordre, mais encore faut-il décider de la bonne proportion à allouer aux policiers et leur fournir les véhicules idoines.
Et de préciser : «L'autre problème, c'est que lorsque le ministère de l'Intérieur prend les commandes, on n'a plus vraiment de chef, de leader. Il y a plus de moyens, mais c'est de l'inédit... et l'inédit qui se répète, c'est compliqué à gérer alors qu'en face, on a plusieurs groupes très structurés comme le collectif Adama, les Insoumis et les antifas.» Les tirs tendus ont-ils été autorisés le 1er décembre ? Une source policière affirme que oui, une autre est plus nuancée et se souvient seulement d'un ordre le 24 novembre : «A partir de 17h sur les Champs-Elysées, j'ai entendu sur les ondes "Vous êtes en état de légitime défense, éclatez-les !" Le fonctionnaire qui reçoit cet ordre, il peut l’interpréter comme il veut...»
Le regard des policiers sur les Gilets jaunes a changé
En recoupant les sources policières, deux constats se dégagent, donc : «Samedi, il y aura des morts», avance un policier expérimenté après que d'autres l'ont déjà affirmé à RT France.
Par ailleurs, si dans un premier temps, un certain nombre de policiers voulaient en grande partie assurer l'intégrité physique des manifestants portant un gilet jaune, la perception de la menace a changé du côté des «bleus», à en croire la source de RT France de la Compagnie de sécurisation et d'intervention : «Le moment où des Gilets jaunes ont préservé la flamme du soldat inconnu avec les collègues, franchement, j'ai trouvé cette image très belle, j'aurais presque lâché ma petite larme et je dis "chapeau". Mais quand certains s'en sont pris aux symboles républicains à l'intérieur de l'Arc de Triomphe, là, ça a refroidi pas mal de collègues. Moi ça m'a choqué. C'est totalement parti en vrille et ça a décrédibilisé le mouvement.»
Quand certains s'en sont pris aux symboles républicains à l'intérieur de l'Arc de Triomphe, ça a refroidi pas mal de collègues
La polarisation du mouvement a-t-elle participé d'une forme de stratégie de la part du gouvernement ? Les médias ont-ils trop contribué à renforcer cette image ? Rien ne permet de l'affirmer avec certitude pour le moment, mais le résultat est là et les policiers ne croient pas du tout à un apaisement du mouvement malgré les annonces du gouvernement : «C'est trop tard, même à un euro le litre d'essence, les gens manifesteront dorénavant parce que le mouvement est devenu trop hétéroclite aussi. Ce qu'ils veulent, c'est prendre l'Elysée ! Maintenant, on est dans la surenchère et après l'acide, ce sera les armes le 8 décembre... Le 1er décembre, on a vu quelques bombes artisanales aussi, on nous a seulement épargné les cocktails Molotov, c'est très étonnant d'ailleurs», confie Harold.
Soit ils seront paralysés par la peur et ils risqueront d'être tués, soit ils vont sortir leur arme et les fumer
Concernant la stratégie qui se profile pour sécuriser la capitale le 8 décembre, Harold n'est pas confiant : «Ça va être le "bordel couvré". Ils vont nous demander d'être plus mobiles, mais ils vont ramener tout le monde sur le terrain et c'est eux qui vont risquer le plus, car ils ne connaissent pas le maintien de l'ordre. Ils n'auront pas les bons réflexes et si c'est la dispersion, les mecs en face, ça va être comme des requins... Ils vont sentir le sang et ça va les exciter. Or, les policiers auront tous leur Sig Sauer 9mm... Donc si ça dégénère et que des fonctionnaires inexpérimentés au maintien de l'ordre sont encerclés, soit ils seront paralysés par la peur et ils risqueront d'être tués, soit ils vont sortir leur arme et les fumer. Dans tous les cas, on est partis pour un bilan avec des gros blessés côté police, si on a de la chance... Si c'est la malchance, il y aura des morts, d'un côté comme de l'autre.»
Une escalade de la violence qui semble également confirmée par l'article de L'Express : «Près de la place de l'Etoile, à Paris [le 1er décembre], des gilets jaunes ont annoncé la couleur à un commissaire de police : "Samedi prochain, on revient avec des armes."»
Comme lors des manifestations précédentes des Gilets jaunes, la préfecture de police et le ministère de l'Intérieur semblent débordés, mais les points de rassemblements se sont multipliés pour l'acte 4 du 8 décembre. Selon les informations du Journal du dimanche, les Champs-Elysées, la place de la Bastille, la place Denfert-Rochereau, l'Assemblée nationale et Bercy pourraient être visés. Une source policière contactée par RT France penche surtout pour le palais présidentiel : «Ça va être l'assaut final, je pense qu'ils vont vouloir l'Elysée», lâche-t-il.
Antoine Boitel