Alors que la manifestation des Gilets jaunes à Paris captait l'attention médiatique, des milliers de Marseillais se sont rassemblés le 1er décembre à Notre-Dame-du-Mont, dans la cité phocéenne, pour le droit à un logement digne pour tous. Voire pour le droit à vivre dans leur logement. Car 1 800 Marseillais ont été évacués d'environ 200 immeubles par décision de la Ville, avec interdiction d'y retourner, après que deux immeubles vétustes se sont effondrés dans le quartier de Noailles dans le centre ville le 5 novembre, faisant huit morts.
Jean-Luc Mélenchon, député des Bouches-du-Rhône, s'est joint au rassemblement qui groupait délogés et personnes solidaires, syndicats ou Gilets jaunes.
La ville de Marseille traverse une crise sans précédent alors que 1 800 personnes vivent désorientées, privées de leurs affaires, baladées d'hôtel en hôtel pour la plupart, nourries de plateaux repas. «Nous n'avons aucune nouvelle et tout le monde se renvoie la balle», confie Marjorie à RT France, délogée avec mari en enfants.
Le 30 novembre, après trois semaines d'évacuations dans des immeubles de Marseille, ce fut au tour d'un grand ensemble, le bâtiment A du Parc Corot, dans les quartiers Nord, d'être vidé de ses habitants, locataires ou squatteurs. Un bâtiment totalement vétuste, livré aux marchands de sommeil, dont les habitants dénonçaient le délabrement depuis des années, sans effet.
Aujourd'hui, ces 1 800 habitants locataires ou propriétaires délogés par la Ville, sous l'effet de la panique consécutive à l'accident dramatique de Noailles, n'ont pas la moindre idée de leur prochaine destination. Quand auront-ils un logement pérenne ? Pourront-ils réintégrer leur appartement un jour ? Mystère ! A la colère se greffe ainsi l'incompréhension. L'amertume est aussi au rendez-vous car de nombreuses personnes contactées avaient entrepris des démarches auprès de leur bailleur ou de la Ville pour signaler l'état de vétusté de leur immeuble, sans réponse.
Ils sont aujourd'hui quasiment livrés à eux-mêmes et au hasard des disponibilités des chambres d'hôtel disponibles. Les Marseillais évacués, qui pour certains n'ont même pas pu emporter la moindre affaire, doivent se nourrir dans une cantine improvisée qui leur sert des plateaux repas Sodexo... Un local précédemment évacué car son plafond s'effondrait.
Les délogés dans une situation intenable
C'est la municipalité, dont le maire Les Républicains (LR) Jean-Claude Gaudin est à la tête depuis 23 ans, qui a décidé, dans la crainte d'un nouvel accident, d'évacuer ces habitants. Débordés, les services de la Ville laissent les délogés sans réponse, sans certitudes, sans repères. La Ville a ouvert un lieu d'information, l'Espace d’accueil des populations évacuées, rue Beauveau. Lors de leur visite, les délogés ne sont pas suivis par un interlocuteur unique et ne sont pas toujours très bien reçus. «On ne nous donne aucune nouvelle. On nous parle comme si on était indésirable. Il faut pleurer pour avoir des tickets resto. Je rappelle qu'on n'est pas à l’hôtel pour les vacances», s'insurge Marjorie, transbahutée d'un hôtel à l'autre avec son mari et ses trois enfants, sans information de la mairie qui se contente d'envoyer des bons aux hôteliers. Il fut un temps question de les loger très loin de l'école où sont scolarisés les enfants : «A Beauveau, on nous a répondu : "Hé bien quoi, il y a le bus !"» Ils ont ainsi dû quitter leur appartement d'un immeuble pourtant sain du quartier Noailles, mais situé dans la zone de sécurité de l'accident. Il est aujourd'hui question de restreindre ce périmètre. «Alors laissez-nous rentrer chez nous !», s'agace la mère de famille.
Mael, de son côté, était propriétaire au 69 rue d'Aubagne, tandis que les deux immeubles effondrés étaient situés au 63 et 65. Le 67, instable, a immédiatement été déconstruit dans la foulée des effondements. Mais quid du 69 ? Selon Mael, qui s'est confié à RT France, un audit récent de l'immeuble avait montré qu'il était en bon état. Mais dans la panique consécutive à l'accident, la préfecture a décidé d'en détruire trois étages. Pas de chance pour Maël, son appartement a été réduit en décombres en quelques minutes.
Il vit actuellement avec sa compagne chez des amis et n'en revient toujours pas. «Nous ne savons pas où nous allons habiter. Mais nous devons toujours payer les intérêts de notre crédit d'appartement, qui nous coûte 350 euros par mois. Rien n'a été fait pour nous suspendre ce crédit pour le moment», enrage-t-il. Et que dire de Naïma, une habitante d'un immeuble délabré de la rue d'Aubagne, à proximité des bâtiments effondrés, qui n'a pu récupérer ses papiers d'dentité que trois semaines après l'effondrement, et a vécu pendant cette période sans aucune de ses affaires ?
L'incurie du parc immobiler marseillais
La psychose qui a gagné Marseille après tant d'années de gestion critiquée par les associations de riverains, choqués par l'état d'incurie des bâtiments et des infrastructures de certains quartiers, a même gagné les agences immobilières. Ainsi Marie-Claude s'est vue expulser de l'appartement dont elle était locataire par son agence, car le propriétaire du dessous avait abattu des cloisons et fragilisé la structure. «Le plancher penche, il y a des fissures... J'ai adressé des courriers mais le propriétaire du dessous n'a pas répondu», explique-t-elle. Ce qui n'était pas une urgence l'est brutalement devenu après le drame de l'effondrement. «Finalement l'agence m'a envoyée dans un hôtel. Mais elle dit maintenant que c'est trop cher et que je dois rentrer chez moi bientôt... Mais avec "prudence". Je ne sais pas quoi faire car ils disent que c'est dangereux !», témoigne Marie-Claude, inquiète et indécise.
A cause du manque d'experts, il n'a pas été possible de rendre les avis de péril dans la plupart des évacuations. Sur la base d'une suspicion de danger, les habitants ont donc été priés de quitter les lieux sans aucune base légale.
La présidente LR du département des Bouches-du-Rhône, Martine Vassal, a quant à elle rendu un rapport et annoncé le déblocage de 600 millions d'euros dans un plan pour lutter contre l'habitat insalubre à Marseille. Face à l'ampleur de la catastrophe, décrite par les collectifs marseillais venant en aide aux habitants en «situation humanitaire», l'Etat a repris la main depuis le 30 novembre, par la voix de Julien Denormandie, ministre auprès de la Ministre de la Cohésion des territoires.
«Nous avons des revendications immédiates pour les sinistrés», explique Kaouther Ben Mohamed, membre du collectif 5 novembre, un groupe très actif venant en aide aux délogés, interviewée par RT France. «Nous avons sollicité l'Etat, garant des politiques publiques pour qu'il reprenne le dossier. J'ai dit à Julien Denormandie qu'il ne mesurait pas l'ampleur de la catastrophe. Il a assuré qu'il mettrait en place un comité de pilotage, qui mettra la pression pour accélerer les démarches. 1 800 déplacés, je ne comprends pas que Christophe Castaner ne se soit pas déplacé, parce que c'est une question de sécurité. Il faudrait déclarer un état de sinistre exceptionnel qui débloquerait des experts dans toute la France, puisque nous n'en avons pas assez ici, afin d'accélerer les procédures», déclare-t-elle.
L'habitat insalubre à Marseille est un problème persistant, et la gestion du maire Jean-Claude Gaudin se voit de plus en plus critiquée par ses détracteurs qui l'accusent d'avoir laissé la ville dépérir, selon certains, à dessein.
Il y a un abandon de gestion de la part de Jean-Claude Gaudin
Kaouther Ben Mohamed, travailleuse sociale, s'échine depuis des années à faire valoir les droits des plus fragiles. Aujourd'hui, le collectif 5 novembre épaule les évacués, les oriente dans leurs démarches, notamment juridiques et les défend auprès de la municipalité ou du ministre du logement. «Je suis née dans un bidonville à l'Estaque et j'ai 41 ans, vous voyez que le problème n'est pas nouveau», explique la quadragénaire. «Il y a toujours eu des logements insalubres, et des morts sporadiques, comme ce vieux monsieur décédé en 2007 rue d'Aubagne dans l'écroulement d'un escalier. Un ami est récemment décédé de la légionellose dans un immeuble dans lequel l'office HLM n'a pas entretenu la tuyauterie. L'eau qui sortait était orange foncé», se désole-t-elle.
Pour sa part, Jean-Claude Gaudin a défendu son bilan et ses choix budgétaires pour la ville, estimant en avoir fait «beaucoup». Dans une interview diffusée le 30 novembre sur Franceinfo , il a déclaré : «Quand j'entends dire : "On n'a rien fait", tout cela est véritablement excessif. C'est sous le coup de la colère», a-t-il estimé. «Ce qu'on oublie de dire, c'est que quand j'ai été élu maire, il y avait dans cette ville 25 bidonvilles immenses. J'ai mis dix ans à supprimer tous les bidonvilles. On ne s'en souvient plus», s'est-il justifié.
Kaouther Ben Mohamed est d'un tout autre avis. «Il y a un abandon de gestion de la part de Jean-Claude Gaudin mais aussi de la part de Gaston Deferre avant lui. Il mène une politique à Marseille depuis 40 ans, car il était conseiller avant d'être maire. Pour moi, il a abandonné le centre-ville pour qu'il se vide de ses habitants historiques populaires. Il voulait récupérer ensuite les immeubles à vil prix pour les faire habiter par des personnes des classes moyennes. Cette volonté politique d'abandon remonte à ses premiers jours de mandat».
La mairie a dévoilé une incompétence manifeste
A l'appui de sa démonstration, Kaouther Ben Mohammed déclare : «En tant que premier magistrat de sa ville, il avait pour devoir de mettre ses habitants en sécurité. Il avait obligation de faire pratiquer les travaux par la ville en cas d'absence de réponse du propriétaire et de se rembourser ensuite. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait depuis des années ? La mairie a dévoilé une incompétence manifeste. Les marchands de sommeil ont pu officier parce que les magistrats n'ont pas fait leur travail. Et quand on voit que parmi les marchands de sommeil de cette ville, on compte deux personnes de la majorité ! Vous voyez que les responsabilités sont multiples et forment des fils entrelacés : au-delà de Gaudin, la métropole, la municipalité, les bailleurs sociaux, les marchands de sommeil...»
Aujourd'hui, les élus LREM assistent aux évacuations, et montent au créneau pour montrer qu'ils fustigent la gestion de Jean-Claude Gaudin. L'évacuation du Parc Corot a selon la députée LREM Alexandra Louis, présente sur les lieux, été «menée n’importe comment», la mairie «s’en [fichant] complètement». Elle dit avoir accompagné le 30 novembre des habitants «quasiment livrés à eux-même alors qu’ils auraient besoin d’un accompagnement social, voire psychologique». Récupération ? Reste une interrogation : la fin de règne catastrophique pour le patriarche marseillais va-t-elle enfin sonner le glas de l'habitat insalubre ?