La polémique ne s'essouffle pas au sujet des concerts du rappeur havrais Médine, que le Bataclan a accepté de programmer en octobre 2018. Les textes provocateurs de sa chanson Don't Laïk ou ses allusions au djihad, qu'il assimile à un combat contre soi-même, ont déclenché des vagues de protestation chez divers responsables politiques, essentiellement à droite.
Les associations de victimes blâment la récupération politique
Cette indignation est loin d'être partagée par tous, y compris chez les victimes et leurs associations. Elles n'ont pas tardé à communiquer leur avis et, globalement, il ne rejoint pas celui des indignés. Les associations ont à cœur de dénoncer l'appropriation politique de l’événement. L'association Life for Paris, contactée par RT France, s'est abstenue de toute critique : «Suite à la programmation du rappeur Médine au Bataclan, Life for Paris rappelle que cette salle a aussi été victime des attentats du 13 novembre 2015 et qu'elle est complètement libre de sa programmation, sous contrôle de la préfecture de police de Paris. Notre association n'est pas un organe de censure, elle est et restera apolitique et ne laissera personne instrumentaliser la mémoire des victimes des attentats à des fins politiciennes, comme c'est le cas dans cette affaire.»
La salle est complètement libre de sa programmation
Une autre des associations principales, 13onze15 Fraternité et vérité, n'a pas souhaité répondre aux questions de RT France mais a fait savoir que sa position avait été déjà suffisamment relayée dans les média. Pour rappel, son président Philippe Duperron – père d'un jeune homme décédé au Bataclan – avait déclaré au micro de RTL : «Il y a au minimum une maladresse à cette programmation. C’est la raison pour laquelle, la salle qui est attentive à nos réactions et qui est assez proche des associations, examine aujourd’hui la situation.» Il avait ajouté : «L’association, comme ça a toujours été le cas, regrette la récupération politique qui est faite de ce type d’annonce et regrette aussi que certaines tendances de la politique ne se soient pas du tout exprimées alors que c’est largement le cas de l’extrême droite et des Républicains.» Il est à noter qu'après LR et RN, des personnalités d'autres partis, comme le Premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure ou la député La République en marche (LREM) Aurore Bergé, ont exprimé leur gêne ou indignation au sujet de la programmation de Médine au Bataclan.
Thibault Guilhem, président de l'association l'association The Hummingbirds Project, qui a aidé à récolter des fonds pour les victimes, est quant à lui encore plus catégorique. «Honnêtement je ne vois pas le souci... Oui Médine a dit et écrit des sal...s mais il s'est excusé, il a dit plusieurs fois que c'était des erreurs de jeunesse, donc le débat est clos pour moi !», explique-t-il. «En tout cas on en a parlé entre nous, que ce soit associations, victimes, tout le monde s'en fout du concert de Médine !» Thibault Guilhem est en revanche beaucoup plus choqué par l'inaction politique. «Tous les hommes politiques s'excitent là-dessus alors que personne n'a rien dit quand Macron a supprimé le secrétariat d'aide aux victimes, qu'il a supprimé des aides aux associations...», critique-t-il, en déplorant le manque d'intérêt médiatique pour l'aide aux victimes ou les cas de suicide.
Tout le monde s'en fout du concert de Médine !
Une rescapée, Carole (nom d'emprunt), grièvement blessée sur une des terrasses le 13 novembre 2015, a entendu parler de la polémique mais n'a écouté que d'une oreille. En l'occurrence, elle pensait qu'il s'agissait d'un concert de Mennel, voilée. Réalisant de quel rappeur il s'agissait, elle brandit l'argument de la «liberté d'expression», mais pense immédiatement que ses paroles pourraient induire un «trouble à l'ordre public».
Interrogée par RT France, une autre personne blessée au Bataclan a déclaré se moquer de cette polémique, ajoutant trouver «toute cette affaire complètement navrante, déplacée et en fait tout à fait désolante.»
Les avocats mènent la fronde anti-Médine
La question du trouble à l'ordre public a aussi surgi dans la bouche des avocats des victimes et des familles de victimes. Et ils sont loin de partager la circonspection des associations. Tels Bernard Benaiem et Caroline Wassermann, qui représentent une dizaine de familles et vont déposer un recours contre la tenue du concert. «J'ai appris l'existence de ce concert ce week-end et très honnêtement, j'ai cru à une fake news», bondit Caroline Wassermann, qui s'est confiée à RT France.
«Nous allons solliciter son interdiction car cela pose un vrai problème de trouble à l'ordre public comme pour Dieudonné. Si on laisse se produire ce chanteur de rap, une question se pose juridiquement. Et moralement, on touche avec ces textes-là et ces formules très ambiguës à la question de la laïcité dans l'Etat français», poursuit l'avocate. «J'assume complètement de monter au créneau, je n'ai pas peur de mes convictions. Médine a fait la quenelle pour soutenir Dieudonné, ça ne me convient pas. Il y a deux camps qui divisent la société française, dans le rapport à la laïcité, qui pour moi n'est pas une valeur négociable», explique-t-elle, regrettant que quasiment seuls les politiques de droite se soient manifestés alors qu'il s'agit d'un débat «républicain».
Quand on a pris une balle... Vous croyez que vous auriez envie de voir quelqu'un chanter Don't laik ou "Je suis un talibanlieusard"?
Quid des victimes ? «Mes clients n'aiment pas trop l'idée de ce concert, ils sont choqués. Quand on a pris une balle... Vous croyez que vous auriez envie de voir quelqu'un chanter Don't laik ou "Je suis un talibanlieusard"?», demande l'avocate.
Même indignation chez l'avocate Samia Maktouf du cabinet Sannier, qui défend 17 familles de victimes. «J’ai saisi au nom des victimes du Bataclan que je défends, monsieur le Préfet de police pour annulation de la tenue des deux concerts prévus en octobre 2018 et ce pour atteinte à la mémoire des victimes et aux droits de leurs familles, de même que pour risque de troubles à l’ordre public. J’ai rappelé que dans un album de 2005 intitulé "Jihad, le plus grand combat est contre soi-même", Médine avait remplacé le «J» du mot Jihad par le dessin d'un cimeterre, entretenant la confusion entre l'effort religieux sur soi-même évoqué par le rappeur et le terrorisme, rappelant les décapitations de Daesh», a-t-elle confié à RT France.
Médine avait remplacé le «J» du mot Jihad par le dessin d'un cimeterre
Les textes provocateurs de Médine dénoncés par ses détracteurs sont principalement ceux de sa chanson Don't laïk, dont le clip a été diffusé en 2015 : «Crucifions les laïcards comme à Golgotha», «si j'applique la Charia les voleurs pourront plus faire de main courante», «Marianne est une femen tatouée "Fuck God" sur les mamelles» ou encore «J'mets des fatwas sur la tête des cons».
Face aux critiques, le rappeur, qui assume une ligne provocatrice en tant qu'artiste, a toutefois déjà reconnu avoir eu «la sensation d’être allé trop loin». Dans une interview accordée aux Inrocks en mars 2017, il déclarait ainsi : «La provocation n’a d’utilité que quand elle suscite un débat, pas quand elle déclenche un rideau de fer. Avec Don’t laïk, c’était inaudible et le clip a accentué la polémique. J’ai eu la sensation d’être allé trop loin.»