Emmanuel Todd : «Tout ce que disent les Russes est considéré comme la parole de Satan»
L'historien et essayiste français Emmanuel Todd a analysé pour France Culture le traitement médiatique dont fait l'objet la Russie. Entre «irrationalité» et «russophobie», il dénonce la vision négative qu'ont les Occidentaux de Moscou.
Pour Emmanuel Todd, invité de France Culture ce 14 avril, soit quelques heures après les frappes conjointes de Paris, Washington et Londes contre Damas, la presse occidentale entretient «la vision d'une Russie hyper-puissante, menaçante, tentaculaire, totalitaire : une vision hallucinatoire». Mais si la Russie est une «démocratie autoritaire», estime-il, Vladimir Poutine est «élu», les Russes sont informés, même s'il y a «un certain type de contrôle des organes de presse». Comment alors expliquer l'obsession de la Russie dans la presse occidentale ?
Emmanuel Todd dénonce la «vision extrêmement négative de la Russie» qu'ont les Occidentaux
Selon Emmanuel Todd, une des raisons est d'ordre militaire. Car dans ce domaine, les Russes «sont revenus à parité» avec les Occidentaux, ils ont effectué une «remontée technologique». «C'est le seul pays qui est aujourd'hui capable de faire face aux Etats-Unis sur le plan militaire», poursuit l'essayiste qui avait prédit dans les années 1970 la chute de l'URSS.
«L'idée qu'un seul pays au monde [les Etats-Unis] serait capable de faire ce qu'il veut n'est pas un bon concept d'un point de vue libéral», dogme cher aux Américains, selon lui. «Si on pense en termes d'équilibre des pouvoirs, on peut se dire que c'est mieux ! Même si l'on n'aime pas la Russie, l'existence d'un pôle de stabilité qui n'a pas de possibilité d'extension [au vu de sa population] devrait réjouir», poursuit-il.
«[Pourtant] il y a cette vision extrêmement négative de la Russie et donc tout ce que disent les Russes est considéré comme la parole de Satan, on dit que Poutine est un monstre», s'indigne Emmanuel Todd. Rapportant ses entretiens avec des responsables russes, il confie : «Le niveau intellectuel des diplomates russes est très supérieur à celui des Occidentaux. Ils ont une vison de l'Histoire, du monde, de la Russie : un contrôle de soi qu'ils appellent "professionnalisme".»
J'ai dû aller sur le site de RT France, le truc russe, pour comprendre à peu près ce qu'il se passait en Syrie. C'était beaucoup plus détaillé, il y avait toutes les informations qu'il y avait dans les autres [médias], plus d'autres
Tentant d'interpréter, avec difficultés, la russophobie qu'il estime poindre chez le Premier ministre Theresa May et le président américain Donald Trump, il concède «ne pas comprendre». «Comment la Russie menace-t-elle l'Angleterre ? C'est plutôt Barnier [le négociateur en chef de l'Union européenne sur le Brexit] qui les menace avec son jeu sur la frontière irlandaise. Pour Trump, chaque fois qu'il tire des missiles et qu'il dit des choses anti-russes, il a constaté que le Washington Post et le New York Times lui lâchent les baskets.»
Emmanuel Todd recommande également «à tout le monde la lecture des textes de Lavrov [ministre russe des Affaires étrangères] et de Poutine s'ils veulent lire des choses intelligentes sur la géopolitique».
Il dresse en revanche un portrait sévère de la presse occidentale sur ces questions : «Je vous jure que ce matin [le 14 avril] les exposés du Guardian, du Daily Telegraph et du Monde sur ce qu'il se passait [en Syrie] étaient tellement mauvais, que j'ai dû, ce que je n'ai jamais fait de ma vie, j'ai dû aller sur le site de RT France, le truc russe, pour comprendre à peu près ce qu'il se passait en Syrie. C'était beaucoup plus détaillé, il y avait toutes les informations qu'il y avait dans les autres, plus d'autres.»