France

Ecole, santé, transports : les grèves SNCF, un rempart contre le saccage du service public ?

Les manifestations et grèves animeront tout le printemps. En première ligne, les cheminots veulent dénoncer l'ouverture à la concurrence de la SNCF, point de départ éventuel vers une privatisation. Le service public est-il menacé dans son ensemble ?

Premier test ce 22 mars pour le gouvernement, qui pourra jauger l'ampleur de la contestation sociale, après l'appel à la grève des syndicats de cheminots et de personnels de la fonction publique, contre différentes réformes, notamment celle de la SNCF.

Le statut de cheminots n’a jamais été l’enjeu de cette grève. Notre inquiétude n’est pas du tout liée au statut. Elle est surtout liée à la continuité de service public ferroviaire

Interrogé par RT France, Bruno Poncet, secrétaire fédéral du syndicat Sud-Rail, veut d'emblée casser un cliché alimenté par certains commentateurs, économistes et instituts de sondages, qui réduiraient la contestation sociale à la défense prioritaire du statut de cheminots : «Le statut de cheminots n’a jamais été l’enjeu de cette grève. Notre inquiétude n’est pas du tout liée au statut. Elle est surtout liée à la continuité de service public ferroviaire, à la recherche de la sécurité ferroviaire. Le statut est un épiphénomène qui a été amené pour dresser les uns contre les autres.»

Santé, école, transports publics : tous dans le même bateau

La pédagogie sera effectivement un défi de taille pour les syndicats, souvent confrontés au discours bien rôdé de leurs opposants qui schématisent leur combat à la préservation du statut de cheminot. Les différents mouvements de grève auront d'ailleurs l'objectif de sensibiliser les Français aux véritables enjeux de la réforme ferroviaire et de la fonction publique. «On voit des attaques gouvernementales contre l’hôpital, l’éducation, les transports, il faut montrer au gouvernement que les Français sont inquiets pour l’avenir du service public», poursuit Bruno Poncet.

Ainsi, il s'agit du premier grand test social pour le gouvernement. Enhardis par les victoires de la présidentielle et des législatives de 2017, Emmanuel Macron et le gouvernement avaient su profiter de leur légitimité électorale pour mener, quelques mois après leur arrivée au pouvoir, la grande réforme du code du travail, sans trouver, en face d'eux, de réelles révoltes sociales.

Désormais, le défi est tout autre, avec l'annonce de l'ouverture à la concurrence de SNCF Mobilités (chargé de l'exploitation des trains), activité pourtant rentable du service public. Un appui des enseignants dans les futures manifestations ne surprendrait pas Bruno Poncet. En effet, pour lui, si le «gouvernement ne plie pas, derrière cela va être la fin pour tout le reste du service public». Et il considère, à ce titre, que les cheminots constituent l'une des «dernières résistances [qui] peuvent avoir de vrais leviers pour arriver à gagner ce combat». «Nos collègues infirmiers, par exemple,ne peuvent pas [lutter] car ils n’ont pas le droit de se mettre en grève. Donc on sait que si, dans les jours qui suivent, nous, cheminots, on perd, c’est tout le monde qui perd et ce sont tous les Français qui vont perdre», avertit-il.

Pour le Français, le coût du transport c’est, en moyenne, 6% du budget mensuel. Si vous allez en Angleterre, ce budget moyen s'élève entre 15 et 25%. Est-ce que les Français veulent cela ?

Si le gouvernement insiste, par ailleurs, sur le fait qu'une ouverture à la concurrence n'est pas une privatisation, les syndicats déclarent ne pas se faire d'illusion. Naturellement, les débats se tournent généralement vers les modèles existants, en Europe, qui ont vu la privatisation des lignes. Si la privatisation du transport ferroviaire en Grande-Bretagne est reconnue comme un échec, l'Italie est souvent prise comme référence de réussite par les défenseurs de la réforme. Même si, pour ce dernier cas, Bruno Poncet relativise : «En l’espace de six mois, l'Italie a eu deux accidents mortels au même endroit. Alors, effectivement, l’Italie a vu une baisse des tarifs avec l'arrivée du privé sauf que, derrière, la qualité de service a été impactée. Quant à l'Angleterre, si on veut un système qui a provoqué 70 morts sur 10 ans...»

Bruno Poncet prévient également sur les possibles conséquences financières pour l'usager : «Pour le Français, le coût du transport – c’est-à-dire l’abonnement au service des transports publics quel qu’il soit [bus, carte Navigo en Ile-de-France, etc.] c’est, en moyenne, 6% du budget mensuel. Si vous allez en Angleterre, ce budget moyen s'élève entre 15 et 25%. Est-ce que les Français veulent cela ? Nous, on est prêt à l’entendre, mais je ne crois pas que les Français veulent payer cela !», atteste le syndicaliste de Sud-Rail.

Vers un désengagement de l'Etat

En outre, quel est l'avenir de ce service public quand l'Etat a dévoilé sa volonté de se désengager de la gestion des lignes régionales, fustigées par le rapport Spinetta pour leur coût et leur faible fréquentation ? En effet, le renvoi du financement de ces lignes vers les Régions est un problème mis en exergue par Bruno Poncet.

«On demande aux régions de payer pour avoir leurs TER et aussi pour garder leurs dessertes TGV. Or les régions doivent aussi payer pour avoir leur système de santé et doivent aussi payer pour leur système d’éducation», s'inquiète-t-il, pointant du doigt une contradiction du gouvernement, qui risque de mettre à mal le service public : la nouvelle baisse de dotations accordées aux collectivités locales (dont les Régions). «Comment les Régions vont faire pour trouver des systèmes de financement, surtout quand il [le gouvernement] leur retire de plus en plus de financements ?», s'interroge-t-il.

La question de la dette de la SNCF

Quid de la dette de la SNCF, que le gouvernement et le rapport Spinetta imputent à l'entreprise ?

Pour Bruno Poncet, le cœur du sujet est justement ici, mais il estime que les 50 milliards d'euros de dette, ne sont pas imputables à la SNCF elle-même, puisqu'il s'agit d'«une dette d'Etat». Un problème «botté en touche» par le gouvernement, d'après lui, puisque «celui-ci ne veut pas la reprendre». Effectivement, sur BFM TV le 20 mars, le Premier ministre Edouard Philippe, interrogé pour savoir si l'Etat allait reprendre une partie de la dette de la SNCF, a jugé que «ce n'était pas le premier sujet». Pour Bruno Poncet, si la dette n’est pas «solutionnée» par l'Etat, aucun des problèmes affectant la SNCF actuellement ne trouvera de «résolution».

Cette dette est pourtant bien issue, en partie, des investissements de l'Etat, quelquefois hasardeux, comme la création de lignes LGV (Lignes à Grande Vitesse), faisant parfois gagner quelques minutes sur certains tronçons. L'Etat a même dû s'endetter pour financer des projets de lignes LGV qui sont, aujourd'hui, au point mort (exemple : la ligne Rhin-Rhône).

Bastien Gouly

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