Les sages du Conseil constitutionnel sous la direction de Laurent Fabius vont rendre leur verdict avant la fin de l'année sur le projet de loi de finances 2018 du gouvernement. Voté par le Parlement le 21 décembre, le budget a un objectif principal : celui d'ancrer la France dans une perspective d'un déficit public sous les 3% du PIB. Cependant l'opposition de gauche, dont les Insoumis, et Les Républicains, à droite, ont saisi le Conseil constitutionnel. Trois dispositions sont dans leur collimateur.
La première concerne la modification de l'impôt sur la fortune (ISF) qui doit être remplacé par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ne seront soumis à cette taxation que les citoyens bénéficiant d'un patrimoine immobilier, les placements financiers seront désormais exonérés. L'ISF rapportait en 2016 près de 5 milliards d'euros. L'IFI devrait, lui, engranger moins de 2 milliards d'euros.
Les députés Républicains jugent, dans leur saisine, «que la charge imposée aux propriétés immobilières est excessive et, de ce fait, cause d'une rupture caractérisée du principe d'égalité [...] Un dispositif qui pourrait conduire certains contribuables à payer plus de 75% d'impôt, impôt sur le revenu et IFI confondus, ce qui se rapproche d'un taux d'imposition que le Conseil Constitutionnel juge confiscatoire». Pour la gauche, socialiste, insoumise et communiste, il s'agit d'un budget «pour les riches» qui va «creuser les inégalités». La France insoumise, par la voix du député Alexis Corbière, considère que le budget présenté crée «des systèmes réduisant drastiquement la taxation pour les plus riches».
Un budget caressant dans le sens du poil les plus fortunés ?
La deuxième saisine cible l'exonération partielle de la taxe d'habitation. Une taxe qui pourrait être jugée injuste et donc inconstitutionnelle par le Conseil puisque ne concernant que 80% des foyers et créant, de fait, «une inégalité» devant l'impôt.
Ainsi, pour les Républicains, «cette réforme de la taxe d’habitation contrevient à plusieurs principes garantis par la Constitution et dont le respect est assuré au travers d’une jurisprudence constante : le principe d’égalité devant les charges publiques, le principe d’autonomie financière des collectivités territoriales et le principe d’égalité entre les communes devant les charges publiques».
La réforme de la taxe d'habitation débutera par une première baisse de 30%, soit 3 milliards d'euros. Près de 80% des foyers actuellement assujettis à cet impôt, soit plus de 17 millions de ménages, seront concernés.
Deux étapes similaires suivront en 2019 et 2020, avec des réductions de 6,6 milliards d'euros et de 10,1 milliards, aboutissant à la suppression progressive de cette taxe. Le gouvernement a promis de compenser «à l'euro près» le manque à gagner pour les communes.
Ce qui ne convainc guère à gauche. Le sénateur Pierre Laurent estime qu'avec cette taxe, «on est en train d'asphyxier les collectivités locales».
A gauche, la «flat tax» fait également partie des orientations contestées devant le Conseil constitutionnel. Celle-ci vise à taxer certains produits d'épargne, quelle que soit la fortune de son propriétaire, à un même taux. Ces produits peuvent être les Plans épargne logement ouverts en 2018 et, sous certaines conditions, l'assurance-vie. La «flat tax» est critiquée, notamment par l'association Oxfam, qui estime qu'elle privilégie les riches. Le député socialiste Boris Vallaud estime ainsi : «Certains ne paieront plus l'ISF et bénéficieront de la "flat tax". Avec Emmanuel Macron : Prendre plus à ceux qui [en] ont moins. Demander moins à ceux qui [en] ont plus. Justice du nouveau monde».
La France veut être dans les clous de Bruxelles
Une censure serait évidemment un camouflet pour Emmanuel Macron qui avait fait de ces mesures des promesses de campagne lors de la présidentielle de 2017. D'autant plus, que le gouvernement a dû faire face en octobre à la censure de la taxe à 3% sur les dividendes. Un veto qui a coûté près de 10 milliards d'euros, dont la moitié seulement serait supportée par l'Etat.
Le gouvernement estime par ailleurs que le budget présenté permettra un gain de pouvoir d'achat. Selon le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald Darmanin : «C'est un budget de transformation au service du pouvoir d'achat de nos concitoyens. C'est un budget qui libère l'énergie des entreprises. C'est un budget de redressement des comptes publics.»
Un budget qui donnerait un gage de bonne conduite pour l'Union européenne. Le gouvernement table en effet sur un déficit à 2,8% du PIB et une croissance à 1,7% pour 2018. Nul doute qu'une censure sur l'une de ces mesures serait un mauvais signal pour Bruxelles et les investisseurs.
Dans le passé, les deux derniers présidents avaient également subi des censures de la part des sages. La taxe à 75% sur les plus hautes fortunes, promise par François Hollande, en 2012 et la taxe carbone de Nicolas Sarkozy en 2009 avaient toutes deux été jugées non conformes à la constitution.