130 morts au total. Sur les terrasses parisiennes, au Bataclan (90 victimes) et au Stade de France. Des centaines de blessés, un pays traumatisé, sidéré, en état de choc. Deux ans après, les attentats du 13 novembre 2015 à Paris confirment leur statut de 11 Septembre français. De la même façon que la destruction des tours jumelles de New York avaient fait basculer les Etats-Unis dans la «guerre contre le terrorisme», les massacres de Paris ont mis les Français face à une situation nouvelle entérinée par un état d'urgence qui aura duré près de deux ans.
Les responsables politiques eux-mêmes les avaient prévenus, à l'instar du Premier ministre Manuel Valls, après l'attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015. «Il faut dire la vérité aux Français [...] Il faut s'habituer à vivre avec cette menace qui est le fruit d'organisations internationales particulièrement barbares [...] mais aussi d'individus radicalisés sur notre sol», avertissait ainsi le chef du gouvernement dès le 16 février 2015 au micro de RTL.
Banalisation de la menace terroriste
S'exprimant quelques semaines après la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, et donc neuf mois avant celle du Bataclan, le discours de celui qui était alors Premier ministre, mais aussi ancien ministre de l'Intérieur, de François Hollande allait se vérifier quelques mois plus tard.
Au lendemain de l'attaque au camion bélier de Nice et de ses 86 morts, soit 18 mois après Charlie et huit mois seulement après le Bataclan, Manuel Valls faisait encore et toujours le même constat : malgré l'instauration de l'état d'urgence destiné à les protéger, les Français devraient s'habituer au terrorisme.
De fait, cette injonction caractérise assez bien le quotidien de la population française en 2017. Aujourd'hui confrontée à la menace de «loups solitaires» qui auraient prêté allégeance à Daesh, le moindre ballet de sirènes dans Paris ou Marseille, un hélicoptère en vol stationnaire, ou encore un feu d'artifice tiré par Netflix depuis la tour Eiffel enflamment l'imagination et éveillent les craintes de nombreux Français.
L'attaque au camion commise à Nice le 14 juillet 2016 inaugurait l'introduction de la menace terroriste artisanale, isolée, qualifiée de «low cost». Les Français ont alors compris qu'il suffisait, pour faire beaucoup de victimes, de louer un véhicule. En France, comme à Londres ou Barcelone, c'est ce type d'attaque que les terroristes allaient désormais privilégier : des opérations plus simples échappant aux radars du contre-terrorisme.
Ennemi de l'extérieur, ennemi de l'intérieur
En 2017, les pouvoirs publics tiennent apparemment le même discours : avec la loi antiterroriste l'Etat affirme prendre les mesures nécessaires pour protéger les citoyens mais, en même temps, le gouvernement renvoie la population à la fatalité du terrorisme. «La sécurité des Français est la raison d'être de notre diplomatie. Cette exigence est viscérale», martelait ainsi Emmanuel Macron à l'occasion de la Conférence des ambassadeurs à Paris le 29 août 2017. «Daesh est notre ennemi. Le retour de la paix et la stabilisation de l’Irak puis de la Syrie sont à cet égard une priorité vitale pour la France», affirmait-il alors.
Mais, le 9 novembre, depuis Abou Dhabi, le président de la République nuançait quelque peu ses propos : «Nous avons gagné à Raqqa et les prochaines semaines et les prochains mois nous permettront [...] de gagner complètement sur le plan militaire dans la zone irako-syrienne [...] Mais il n'en sera pas terminé pour autant de ce combat [contre le terrorisme].»
Une trentaine d'attentats déjoués, 12 perpétrés
Face à cette menace insaisissable, les pouvoirs publics n'ont pas encore trouvé la réponse. «Nous sommes toujours en état de guerre», rappelait ainsi le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, le 2 octobre, après la découverte de bonbonnes de gaz devant un immeuble en plein XVIe arrondissement de Paris.
Un mois après cette déclaration, la loi antiterroriste prenait le relais de l'état d'urgence, intégrant au droit commun les principales dispositions de ce régime d'exception reconduit six fois depuis sa mise en place après la tuerie du Bataclan. Malgré ce dispositif, depuis le 13 novembre 2015, quelque 12 attentats ont fait 92 morts et 449 blessés en France, sans compter les terroristes.
En septembre 2017, Gérard Collomb se félicitait du fait que le travail des policiers et du renseignement avaient permis de déjouer au moins 12 attaques rien que depuis janvier 2017 et de démanteler un laboratoire clandestin d'explosifs à Villejuif. Parmi les funestes projets : l'attaque de boîtes de nuit gays, l'assassinat de fonctionnaires de police. Alors que 12 attentats ont effectivement abouti depuis 2015, les révélations de Gérard Collomb étaient-elles destinées à rassurer la population ?
Le 12 novembre 2017, à la veille des commémorations des attentats de Paris de 2015, le ministre de l'Intérieur continue de souffler le chaud et le froid. «Nos services sont mieux armés pour détecter les menaces», faisait-il valoir dans une interview au JDD. «Ils le font chaque semaine à bas bruit», a-t-il souligné, tout en reconnaissant que le risque d'attaque restait très «élevé». «De petits groupes, ici et là sur notre territoire, ont des projets d'action violente chacun de leur côté, sans lien entre eux. Lors des attentats du 13 novembre [2015], nous avions vu des terroristes passer d'un pays à l'autre, des commandos organisés. C'est moins le cas désormais. [Repérer les cas isolés] est d'autant plus difficile à détecter», a-t-il encore reconnu, soulignant encore que, depuis novembre 2015, une trentaine d'attaques avaient été déjouées.
Des forces de sécurité épuisées
Dans le même temps, la grogne monte au sein des forces de l'ordre alors que les pouvoirs publics exigent d'elles une mobilisation permanente, sans forcément leur donner les moyens nécessaires pour mener leur mission à bien. Une vague de suicides dans les rangs de la police et de la gendarmerie vient rappeler cette situation plus que difficile. Lors de son discours aux forces de sécurité intérieure le 18 octobre, Emmanuel Macron leur avait rendu hommage, se gardant bien d'annoncer le déblocage de nouveaux moyens financiers susceptibles d'améliorer les conditions matérielles dans lesquelles les policiers accomplissent leur devoir.
Car la ligne de front ne se situe pas au Moyen-Orient ou au Mali mais bien sur le territoire de l'Hexagone, à l'image de la sécurisation de la tour Eiffel par des murs de verre blindés, lesquels semblent dessiner de nouvelle frontières intérieures.
Le paysage des Français change lui aussi progressivement. Après Merah, Charlie, le Bataclan, Magnanville, Nice, les Champs-Elysées... déjà habituée aux patrouilles du plan Vigipirate depuis des années, la population a vu apparaître dans ses centre-villes blocs de bétons et barrages destinés à stopper les camions, fourgons et autres voitures-béliers. A Paris, les zones festives des voies sur berges décidées par la maire Anne Hidalgo sont protégées de la sorte. D'imposantes chicanes rappellent aux badauds qu'il y a un dedans et un dehors, possiblement mortel.
Alexandre Keller