France

ISF : yachts et lingots d'or ne seront plus taxés mais le gouvernement veut éviter la polémique

Des figures de la majorité ont créé la confusion en réclamant que les «signes extérieurs de richesse» ne soient pas exclus du nouvel ISF. Craignant une polémique, l'exécutif maintient un flou déjà présent dans le programme d'Emmanuel Macron.

C'est ce qui s'appelle un couac. Alors que le chantier de la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) devait être amorcé dans une relative discrétion par l'exécutif, une dissonance ayant rapidement viré à la cacophonie est venue mettre en lumière la réforme envisagée par le gouvernement. La raison de ce léger flottement dans la communication du gouvernement : l'incertitude quant à la taxation des «produits ostentatoires de richesse», et la crainte d'une polémique.

Tout commence le 28 septembre dernier lorsque le Premier ministre Edouard Philippe, invité de L'Emission politique sur France 2, assure qu'il «assume» la suppression de l'ISF pour le patrimoine mobilier et les actions, et donc son maintien principalement pour les possessions immobilières. Lorsqu'on lui demande si cette suppression concerne également les «signes extérieurs de richesse», le Premier ministre répond alors : «Vous avez parlé des yachts, des jets, vous auriez pu parler des montres, des bijoux… Je l'assume, notre objectif c'est de faire en sorte que le capital reste en France et même d'attirer des gens, y compris des gens riches, en France.» Rien, dans ses propos, ne semble donc annoncer le maintien de l'ISF pour ce type de biens qui, a priori, ne contribuent pas directement à la création de richesses.

Des voix dissidentes au sein de la majorité

Rapidement, la difficulté à assumer cette position, notamment face à une opinion publique qui serait susceptible de s'indigner de ces exonérations exceptionnelles, suscite l'inquiétude de plusieurs membres de la majorité. Joël Giraud, député La République en marche (LREM) des Hautes-Alpes, monte bientôt au créneau. En sa qualité de rapporteur général du budget, l'élu se montre plus que réticent à ce qui semble avoir été annoncé par Edouard Philippe sans concertation préalable. Dès le lendemain de l'émission de France 2, Joël Giraud se fend d'une mise au point dans les colonnes du Parisien, allant jusqu'à contredire frontalement le Premier ministre. «Les yachts, les jets privés, les chevaux de course, les voitures de luxe ou encore les lingots d'or ne sont plus pris en compte dans le nouvel impôt sur la fortune immobilière : ce n'est pas possible ! Des symboles de ce genre doivent être beaucoup plus taxés», s'indigne-t-il.

A compter de la parution de cet entretien qui révèle une profonde divergence au sein de la majorité sur la réforme de l'ISF, plusieurs voix se font entendre, parmi lesquelles celles de plusieurs ténors de la majorité. Le 30 septembre, c'est au tour de François de Rugy, président de l'Assemblée nationale, de marquer sa différence avec l'annonce faite par Edouard Philippe. «Pour les yachts de luxe, ça paraît logique», répond-il sur le plateau de France 3 lorsqu'on lui demande si les signes extérieurs de richesse seront inclus dans le calcul du nouvel ISF.

Le 1er octobre, François Bayrou réagit à son tour sur Europe 1. Selon lui, si la suppression de l'ISF sur certains biens participant au développement de l'économie est justifiée, elle ne l'est pas lorsqu'il s'agit d'«argent qui s'investit dans le luxe, dans l'hyper-confort ou dans les coffre-forts». Or, constatant que, d'après Edouard Philippe, les deux seront «protégés de la même manière», l'ancien ministre de la Justice s'agace, évoquant un budget 2018 «déséquilibré». Rappelant que ces exonérations devaient, selon les promesses de campagne d'Emmanuel Macron, permettre de dynamiser les entreprises, François Bayrou appelle alors le président de la République à «retrouver la logique qu'[il] avait défendue devant les Français» avant d'être élu.

Flou gouvernemental

L'affaire se corse encore le 1er octobre, lorsque Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics, se propose d'apporter un éclaircissement à ce sujet sur le plateau de BFMTV. «Si votre question c'est ''Est-ce qu'on est favorable à surtaxer les produits ostentatoires comme les yachts ou les jets?'', la réponse est "Oui, j'y suis favorable"'», déclare-t-il. La confusion entre le «on» et le «je» maintient une certaine ambigüité. Pourtant, c'est bien là un ministre qui s'exprime. Faut-il alors voir là une évolution de la position du gouvernement face au début de grogne des parlementaires de la majorité ?

Au même moment, le ministre des Finances publiques, Bruno Le Maire, s'exprime sur RTL... et vient démentir les propos de Gérald Darmanin. «Je suis opposé à toute création d’une nouvelle taxe qui viendrait compléter l’ISF sur l’immobilier», explique-t-il. En apparence, il s'agit donc bien d'une réaffirmation des propos tenus par Edouard Philippe la semaine précédente... en contradiction avec son propre collègue chargé des comptes publics. A ce stade, difficile d'y voir clair.

Peut-être est-ce là le fruit d'une ambigüité antérieure, à savoir celle déjà présente dans le programme d'Emmanuel Macron. Lorsqu'il était candidat, ce dernier n'a en effet jamais clarifié sa position quant à l'ISF. Contrairement à ce qu'affirme François Bayrou, le candidat Macron n'a jamais véritablement lié la suppression de l'ISF à une éventuelle dynamisation des entreprises. «L’ISF coûte cher à notre pays. Progressivement supprimé dans tous les pays de l’UE, l’ISF persiste en France et conduit des centaines de contribuables à s’expatrier chaque année», pouvait-on lire dans le programme du futur président. A partir de cette seule mention, il est difficile d'affirmer qu'Emmanuel Macron trahit son programme, tout comme il l'est d'affirmer qu'il y est fidèle...

Des mesures symboliques pour ne pas offusquer l'opinion

A quoi faut-il dès lors s'attendre concernant l'ISF ? A priori, celui-ci devrait bien être réformé afin d'en exclure la quasi-totalité des biens, exception faite des biens immobiliers. Jusque là, la cohérence avec les annonces gouvernementales précédentes est assurée, et justifie le nouveau nom de ce qui deviendra donc l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Sauf rétropédalage, les fameux «signes extérieurs de richesse» ne devraient donc pas être concernés.

Mais le cafouillage entre l'exécutif et certains parlementaires ainsi qu'au sein du gouvernement lui-même n'aura pas été sans conséquence : Bruno Le Maire a récemment apporté une nuance. «Un véhicule à grosse cylindrée, on peut durcir le malus sur la pollution ; je suis également prêt à envisager une nouvelle tranche pour la taxe de francisation, en fonction de la taille du bateau», a-t-il déclaré dans la foulée de son interview sur RTL. Autrement dit, c'est par le biais d'impôts annexes que ces biens devraient être taxés, évitant ainsi de les inclure dans l'ISF. «S'il faut surtaxer, il y a des taxes qui existent déjà pour les Ferrari et des yachts, on peut augmenter ces taxes», renchérit Gérald Darmanin le même jour sur BFMTV, confirmant ainsi que le gouvernement, tout en ayant conscience que le sujet est délicat par sa nature à émouvoir l'opinion, ne veut pas céder.

Sans précisions supplémentaires sur la manière dont ces «signes extérieurs de richesse» pourraient être imposés, il est néanmoins certain que ni les lingots d'or, ni les chevaux de course ne seront par exemples concernés. Nul ne peut en outre dire si ces mesures permettront réellement de compenser le manque à gagner du futur IFI par rapport à l'ISF, ou s'il s'agit d'une effet d'annonce destiner à désamorcer une polémique naissante. Peut-être Gérald Darmanin, au détour d'une phrase, a-t-il cependant apporté un début de réponse à cette question : «Il s'agit de montrer que symboliquement ce budget n'est pas un budget de riches».

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