«On ne peut pas laisser un maire décider tout seul» a déclaré l'avocat au Conseil d'Etat à l'issue de la séance. Les sages ont tranché : les maires ne peuvent restreindre les libertés qu'en cas de «risques avérés» pour l'ordre public.
Saisi par la Ligue des droits de l'homme (LDH) et le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), le Conseil d'Etat a tranché, vendredi 26 août, invalidant formellement les deux ordonnances du tribunal de Nice.
Ce dernier avait jugé que le burkini constituait une expression du fondamentalisme musulman, et avait validé les arrêtés municipaux de Nice et Villeneuve-Loubet les 13 et 22 août derniers, légalisant ainsi l'interdiction du burkini sur les plages de ces municipalités.
L’ordonnance du Conseil d’Etat précise que «l’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle».
Selon l’ordonnance du Conseil d’Etat du 26 août 2016, l’ordonnance du tribunal administratif de Nice est annulée et l’exécution de l’arrêté de Villeneuve-Loubet est suspendue. Dans cette commune, porter des vêtements religieux à la plage est de nouveau autorisé.
Une ordonnance qui pourrait faire jurisprudence
En attendant, seul l'arrêté de Villeneuve-Loubet est invalidé, car c'est le seul auquel se sont attaquées les associations. Dans les 30 autres communes ayant pris des arrêtés similaires, les arrêtés municipaux sont toujours en vigueur jusqu’à ce qu’ils soient contestés en justice.
Concernant ces communes, le Conseil d'Etat a par ailleurs rappelé à tous les maires qui ont invoqué le principe de laïcité qu'ils ne peuvent se fonder sur «d'autres considérations» que l'ordre public, «le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence» pour interdire l'accès aux plages.
L’avocat Asif Arif s’est félicité d’une «belle décision» rendue par le Conseil d’Etat qui a rappelé que le seul fondement qui pouvait tenir pour l’interdiction du burkini était l’atteinte à l’ordre public et que l’arrêté anti-burkini portait manifestement atteinte à la liberté religieuse : «Le Conseil d’Etat a rendu la décision juste, proportionnée, mesurée», a affirmé l’avocat. «C’est bien que cette juridiction ait rappelé à Manuel Valls et aux autres hommes politiques que l’Etat de droit ne consiste pas à porter des jugements de valeur sur ces arrêtés mais de dire "le droit dit ça, donc c’est interdit"».
Pour maître Régis de Castelnau, la décision du Conseil d’Etat n’a rien d’extraordinaire : «C’est une décision banale», estime-t-il. Pour lui, le problème est que la ville de Villeneuve-Loubet a été défendue par de mauvais avocats, surtout en ce qui concerne la justification des risques. «Je savais donc que cette décision était inévitable», explique-t-il. Cependant, l’arrêt du Conseil d’Etat n’est pas ce qu’on appelle «un arrêt de principe», il ne fait qu’appliquer sa jurisprudence traditionnelle. «Le journal Le Monde dit que c’est un arrêt de principe qui fait que tous les arrêtés seront annulés, mais c’est idiot», souligne l’avocat.
Une «décision de bon sens», selon les associations
La suspension par le Conseil d'Etat d'un arrêté anti-burkini est une «décision de bon sens, une victoire du droit, de la sagesse, de nature à favoriser le vivre-ensemble dans notre pays», s'est réjoui vendredi le secrétaire général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri.
Avant que le Conseil d'Etat ne tranche en leur défaveur, les arrêtés anti-burkini ont suscité une tempête médiatique et politique depuis plusieurs semaines, allant jusqu'à diviser le gouvernement sur la question.
Najat Vallaud-Belkacem et Manuel Valls avaient ainsi affiché leur désaccord sur le sujet par médias interposés, la veille du jour où le conseil des sages avait pour mission de trancher. Si la ministre de l'Education s'était déclarée opposée au burkini, elle critiquait également la prolifération des arrêtés à leur encontre, car selon elle, cela «pose la question de nos libertés individuelles». Manuel Valls, lui, est favorable depuis le début du débat aux arrêtés, qui selon lui ne constituent pas une dérive.
Le maire PS-Divers gauche de Sisco n'est pas de l'avis de la ministre. Ange-Pierre Vivoni a ainsi déclaré sur BFMTV vouloir faire confirmer son arrêté auprès du Tribunal administratif. Le maire corse a fait valoir que l'ordonnance du Conseil d'Etat était spécifique à Villeneuve-Loubet, et rappelé qu'il avait pris l'arrêté anti-burkini dans le contexte d'une rixe dite «intercommunautaire» et de troubles à l'ordre public dans sa commune.