France

Nice : après le carnage, place à la colère

Au lendemain de l’attentat qui a coûté la vie à au moins 84 personnes sur la Promenade des Anglais le 14 juillet, Nice s’est réveillée sonnée. Il est venu le temps de pleurer les morts... et celui des questions. Les autorités sont visées.

«Vous pouvez m’expliquer comment un camion de cette taille s’est retrouvé sur la Promenade des Anglais un 14 juillet ?» Le ton monte sur le bord de mer. Sous le soleil écrasant de l’été, un habitant s’adresse avec véhémence à un CRS. Comme beaucoup de Niçois ce 15 juillet, il s’interroge. Hier, il était sur la plage pour regarder le feu d’artifice quand un camion de 19 tonnes est monté sur le trottoir pour semer le chaos. «Je ne sais pas», lui rétorque le policier. «Allez dire ça aux proches des gens qui sont morts.»

Cette échange est à l’image du sentiment qui prédomine au lendemain de la pire tragédie qu’ait connu la ville dans son histoire moderne. Les visages en larmes hantent la promenade et la colère est évidente. Pendant que la police scientifique s’affaire derrière des bâches blanches qui jouent les cache-horreur, les Niçois devisent sur les raisons d’une telle tragédie.

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Au moment de raconter sa soirée à son amie, Irina semble encore dans une autre dimension. Cette mère de famille est une miraculée. Quand elle décide de rentrer chez elle, après le feu d’artifice, elle ne sait pas encore qu’elle vient peut-être de sauver la vie de son mari et de ses enfants. «J’avais froid. J’ai dit à ma famille de rentrer. J’ai traversé la route et en un instant, j’ai vu le camion écraser tout le monde, juste à l’endroit où je me trouvais il y a cinq secondes», raconte-t-elle. «En 16 ans de vie à Nice, je n’avais jamais vu autant de monde pour le 14 juillet. Pourquoi la sécurité n’était-elle pas plus importante ?» La Niçoise, qui vit à deux pas des lieux du drame, n’a pas réussi à coucher ses enfants : «Ils sont traumatisés. Mon mari est parti aider les secours. Je l’ai vu rentrer à la maison en larmes. Il était terriblement mal après ce qu’il avait vu.»

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Entre effondrement et rage

Une cellule psychologique a été mise en place. Elle occupe un établissement sur la promenade même. Et elle ne désemplit pas. Toufik, un habitant de Chambéry de 38 ans, s’y est rendu vendredi matin. A l’instar du mari d’Irina, ce travailleur du bâtiment a fait partie des premiers civils à porter secours aux blessés… et à couvrir les morts. «Après que le camion se soit arrêté, j’ai demandé à ma soeur de ne pas bouger et je suis retourné sur place pour aider les gens. Des employés du Palais de la Méditerranée sont sortis avec des draps. Une fille m’en a tendu plusieurs en me disant, "moi j’ai pas la force"», raconte Toufik.

En attendant les pompiers, celui qui a des notions de secourisme s’occupe des personnes touchées. Et recouvre les cadavres. Il raconte des scènes terribles. Comme cette mère de famille qui s’aperçoit que sa fille est allongée sur le sol : «Réveille-toi, s’il te plaît réveille-toi !» Trop tard, le petit ange est déjà au ciel. «C’est terrible, j’ai des flashs qui reviennent sans cesse. Je ne pourrai jamais oublier», souffle Toufik. S’il n’est pas venu avec son fils et sa femme, c’est que cette dernière avait «un mauvais pressentiment». «Je ne peux pas vous l’expliquer, le fait est qu’elle a vu juste», lance le mari avec un regard hagard.

Cette sensation salutaire, l’ami de Hind l’a eu aussi. «J’ai une copine qui, depuis le Bataclan, craint toujours les foules. Elle est paranoïaque. Quand elle a vu le monde qu’il y avait, elle m’a dit "imagine un mec fait un attentat, il fait un carnage"», raconte la jeune fille, lunettes de soleil vissées sur le visage. Elles ont donc quitté les lieux avant le drame. Au delà de cette histoire qui tient de la matière à scénariste, Hind fustige le manque de policiers déployés : «J’habite vers l’aéroport, au tout début de la Promenade des Anglais. J’ai pu faire des centaines de mètres sans en croiser un.»

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Florent était avec sa petite amie au niveau du célèbre hôtel du Negresco. Lui aussi n'est pas convaincu par le dispositif de sécurité : «Les poids-lourds sont interdits sur la Promenade. Comment il a pu l’intégrer ? Comment il a pu faire deux kilomètres avant qu’on l’arrête ?» La gorge nouée et les yeux mouillés, il décrit un engin «qui faisait des zigzags pour écraser le plus de gens possible». «C’était une boule de bowling et les gens étaient des quilles. Les corps volaient. C’était abominable.»

Crainte de guerre civile

Ces récits d’horreur et les critiques dont font l’objet les autorités sont un cocktail explosif. Alain, retraité de 71 ans vivant sur la promenade, est fou de rage. Il demande la démission du préfet qu’il rend responsable. «Si j’étais président, je l’enverrais dans un champ planter des choux. Il fallait mettre une herse, il fallait empêcher les véhicules de passer. Ces gens sont morts par la faute des autorités», peste le Niçois. Le décès d’enfants le touche particulièrement. Ils ont été nombreux à perdre la vie le 14 juillet.

A l’hôpital Lanval, la nuit a été longue. Tirant frénétiquement sur sa cigarette, Coralie est encore choquée. Cette membre du personnel administratif était sur les lieux du drame avant de prendre son service. «Je faisais des cauchemars dès que je fermais les yeux, j’étais plus utile au travail. C’était terrible. La majorité des blessés a été amenée dans d’autres hôpitaux mais nous on a eu les enfants. Beaucoup sont morts. D’autres sont entre vie et trépas», murmure-t-elle, la voix éteinte par une nuit trop sombre. Un homme passe les portes de l’hôpital, il pleure toutes les larmes de son corps. Une scène déchirante devenue une habitude en quelques heures.

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Certains habitants craignent maintenant une guerre civile. «J’ai peur qu’on voit des actions indépendantes. Les gens vont s’armer. Ils n’en peuvent plus», souligne Alain, antiquaire franco-algérien.

En attendant, les gerbes de fleurs et les drapeaux de France s’accumulent sur les barrières qui barrent l’accès à la Promenade des Anglais. En fin de journée, les hommages se succèdent. Une rose, une photo, une bougie, pour tous ceux qui étaient venus regarder le ciel. Et qui sont partis le rejoindre.