Majestueux, le palais Clam-Gallas, considéré comme le plus bel institut français à l'étranger, n'est plus français depuis le 11 novembre 2015. Situé en plein cœur de Vienne, il est constitué d'un bâtiment principal et de plusieurs dépendances d'une superficie de 3 000 mètres carrés. Il est en outre bordé par un terrain de 5 hectares où ont été plantées des essences rares. Cet espace vert, le plus grand parc privé de la capitale autrichienne, est désormais entre les mains du Qatar.
Le Qatar va désormais en faire son ambassade en Europe centrale d'ici six mois. Pour certains, ce changement de propriétaire est vécu comme une humiliation. Le restaurant situé à proximité du palais est d'ores et déjà entré en conflit avec l'ambassade de France. Ses propriétaires, mécontents de l'arrivée des Qataris, ont affiché le dessin d'un célèbre village gaulois qui résiste, encore et toujours, à «l'envahisseur».
A l'instar de la communauté française de Vienne, les Autrichiens francophiles voient eux aussi d'un mauvais œil l'arrivée des Qataris. Une pétition de protestation a réuni plus de 7 000 signatures et deux descendantes de la famille Clam-Gallas (ancienne propriétaire du Palais) ont fait part de leur profonde indignation, dans des «lettres ouvertes à la France», de voir ce patrimoine lié à la France passer dans le giron du Qatar. Pour sa part, l'ancien ambassadeur, Stéphane Gomperz, n'avait pas caché son opposition à une telle transaction. Une position qui lui aurait coûté son poste.
La vente demeure encore aujourd'hui au cœur des rumeurs. Pendant que certains pensent que le palais serait entré dans la balance lors des négociations autour de la vente des Rafales, d'autres ciblent Thomas Fabius. Le fils de l'ex-chef de la diplomatie française aurait pesé de tout son poids en faveur de Doha.
Un entretien jugé onéreux
Infiltrations d'eau, parquet noirci, peintures défraîchies, ce lieu de prestige serait tombé en déliquescence si l'on en croit le directeur de l'institut, Eric Amblard. «Nous n'avons pas vocation à être des conservateurs de musée. Cet endroit est grandiose, mais très abîmé et surtout disproportionné pour l'usage que nous en faisons. A Vienne, où l'offre culturelle est déjà si importante, entretenir un bâtiment pareil n'a aucun sens», estime-t-il. Le ramassage des feuilles (3 000 euros), ou encore les factures de chauffage (1 000 euros par mois) sont des frais de moins en moins supportables pour un Etat impacté par les restrictions budgétaires.
Dominique Meyer, directeur français du glorieux Opéra de Vienne, estime quant à lui que cette vente est une erreur et que la France est pleinement responsable de l'état actuel des lieux. «Les Autrichiens sont très sensibles aux lieux : le palais, sa beauté, exerçait un vrai pouvoir d'attraction. Et, s'il est aujourd'hui si abîmé, n'est-ce pas son propriétaire, en l'occurrence l'Etat français, qui est à blâmer ?»
10 millions d'euros supplémentaires ont scellé le destin du Palais
Les conditions dans lesquelles s'est effectuée la vente irritent à Vienne. Malgré sa proposition de racheter le bien en laissant une partie du palais à la disposition à l'institut culturel français, Philipp Clam, descendant des Clam-Gallas, n'a pas réussi à avoir les faveurs du Quai d'Orsay. Même sort pour une grande fortune de la communauté française qui avait proposé de laisser gracieusement un étage entier à l'institut culturel français.
Ces derniers apprendront par voie de courrier le 15 octobre 2015 que leur offre n'a pas été acceptée. Aucune annonce n'a été diffusée alors que la règle l'exige pourtant. Lorsqu’un bien français est mis en vente, l'Etat doit ordonner trois expertises différentes, faire la moyenne des estimations et publier une annonce sur le site de France Domaines ainsi que dans les agences immobilières locales.
Pointé du doigt, le Quai d'Orsay, avoue être passé par le principe du «gré à gré», après avoir obtenu l'aval du ministre par le biais d'une dérogation spéciale. «Les Qataris mettaient 10 millions d'euros de plus sur la table», rapporte au Point un connaisseur de ce dossier. «Vous savez, ce palais, c'était un peu une Rolls dont on se servait pour aller chercher le pain. Après la guerre, nous étions les vainqueurs, nous affichions notre splendeur, mais maintenant ?» Le rayonnement culturel français aurait-il un prix ?