France

«Censure d’un autre âge» : indignation après le gel des comptes de RT France

Un certain nombre de personnalités se sont élevées contre le gel des fonds de RT France par le Trésor public, condamnant une attaque contre la presse aussi arbitraire qu'inquiétante quant à l'avenir du pluralisme de l'information.

Une série de voix a condamné la décision des autorités françaises de geler les comptes bancaires de RT France.

Adoptée en novembre dans le cadre du neuvième paquet de sanctions de l'Union européenne, la mesure visant la maison-mère de RT France, TV-Novosti, compromet en effet le paiement des prestataires et salariés de la chaîne. Cette décision fait suite à l'interdiction de diffusion dans l’Union européenne adoptée le 27 février 2022 – quand bien même la justice européenne avait par la suite assuré que cette mesure n'empêchait aucunement les journalistes de RT France de faire leur travail...

Une menace pour toute la presse en France

Invités sur notre chaîne le 19 janvier, l'écrivain Philippe Pascot et le cofondateur du Mouvement des droits civiques Gamal Abina se sont insurgés contre le gel des comptes de RT France. Les deux intervenants ont fustigé «la malhonnêteté» de cette décision et rejeté la thèse selon laquelle la chaîne mettait en avant le point de vue de «l'extrême droite», rappelant leur propre engagement contre cette famille politique. Philippe Pascot a mis en perspective cette décision avec les affaires dans lesquelles d'autres médias ont été inquiétés, citant entre autres le cas du média Reflets, attaqué en vain en justice par le PDG d'Altice Patrick Drahi. Les deux invités de notre chaîne se sont inquiétés à l'unisson d'une dégradation de la liberté d'expression, encore plus «bousillée» dans l'Hexagone selon la formule de Philippe Pascot, après la censure de fait de RT France.

«On aurait pu croire que les journalistes et les syndicats professionnels se soulevassent comme un seul homme pour dénoncer cette censure d’un autre âge, cette atteinte gravissime au droit au pluralisme», a constaté à regret le journaliste et ex-patron de Sud Radio Didier Maïsto, qui intervenait régulièrement sur notre antenne. «Les journalistes, notamment ceux du service public [...], n'ont eu de cesse que de faire du zèle et de réclamer toujours plus de sanctions» contre la chaîne, a-t-il en outre déploré – le journaliste Patrick Cohen ayant par exemple récemment exprimé une opinion hostile à l'encontre de notre média sur France.

RT France a été abusivement présentée comme étant «à la solde de [Vladimir] Poutine», regrette-t-il, alors que notre chaîne emploie essentiellement des salariés français. «Petit à petit, les médias indépendants sont censurés», a-t-il alerté, avant de saluer le travail de journalistes se retrouvant désormais «sur le carreau».

«Leur projet de censure et de propagande triomphe. Nos libertés sombrent. Obscurité.», a de même tweeté l'éditorialiste Alexis Poulin, autre contributeur régulier de RT France.

Le comité de défense de Julian Assange a également salué le sérieux du travail fourni par les journalistes de la chaîne pour couvrir la mobilisation en vue d'obtenir la libération du fondateur de WikiLeaks, toujours détenu dans la prison britannique de Belmarsh. Ledit comité a répliqué à l'eurodéputée macroniste Nathalie Loiseau, qui s'est félicitée de l'enterrement sans «fleurs, ni couronnes» de «l'arme de désinformation massive» qu'aurait été RT France.

«Nous serons notamment privés du suivi rigoureux de l’affaire Assange», a déploré le comité, citant nos collègues Meriem Laribi et Fabien Rives. «Puisque vous approuvez tacitement la persécution du fondateur de WikiLeaks, voilà encore une raison de vous réjouir», a-t-il cinglé en évoquant l'inaction de la France dans ce dossier impliquant la liberté d'expression et d'information que prétend défendre la majorité présidentielle.

«L’URSS, ici et maintenant !», a quant à lui ironisé le consultant en stratégie et en communication Gilles Casanova, qui écrivait régulièrement des chroniques pour RT France, renvoyant les références russo-soviétiques à leurs envoyeurs. Toujours dans le registre du sarcasme, il a jugé que cette fermeture de fait est un bien «bel exemple de la liberté d’expression qui règne grâce à l’OTAN».

Le compte du «Bureau des affaires spéciales», lié au mouvement des Gilets jaunes, a «fermement condamné» la mesure anti-RT France sur Twitter, estimant que «ce n'est jamais une bonne chose d'interdire des points de vue différents des nôtres».

SNJ et FO montent au créneau

Les deux syndicats représentatifs des salariés de RT France, à savoir les sections du Syndicat national des journalistes (SNJ) et de Force ouvrière, ont publié un communiqué commun intitulé «RT France devait mourir !», pour réagir à l'annonce du gel des comptes du média. «Ce sont près de 100 salariés et environ une cinquantaine de journalistes qui vont basculer dans le chômage», ont-elles déploré en pointant le caractère contradictoire de la décision européenne, qui n'était pas censée empêcher toute production de contenu.

Jugeant légitime la critique de la ligne éditoriale de tout média dont le nôtre, les deux syndicats soulignent pour autant que «la volonté politique de mettre fin à une rédaction pour des raisons politiques est un fait inédit dans l'histoire récente», qui devrait inquiéter l'ensemble des partisans du pluralisme, au-delà de leurs divergences d'opinions. La mesure interroge «sur l'état de notre démocratie, où un média peut être débranché séance tenante», s'inquiètent-ils. «Ne croyez pas que ce qui arrive à RT France ne pourrait pas se reproduire ailleurs», lancent-ils en guise d'avertissement. Ils rappellent aussi que le média n'a jamais été sanctionné «pour avoir diffusé une fausse information», à la différence d'autres, subitement spécialisés en géopolitique et en armement depuis le déclenchement de l'offensive russe en Ukraine. 

Le secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes, Ricardo Gutiérrez, avait pour sa part critiqué la censure de RT et de Sputnik décrétée par l'UE dans une interview à France 24 le 9 décembre, en notant que les Etats membres avaient voté directement une interdiction au lieu de saisir les régulateurs et de les laisser statuer de manière indépendante. En ne respectant pas ce mécanisme «essentiel pour protéger la presse contre les interférences politiques», il avait estimé que les autorités européennes avaient créé un dangereux précédent qui représente une menace pour la liberté de la presse».

Près d'un an d'une censure inédite

Pour rappel : peu après le déclenchement de l'opération militaire russe en Ukraine, la Commission européenne avait invoqué la nécessité de couper tous les canaux de diffusion (satellite, Web et réseaux sociaux) en Europe de «la machine médiatique du Kremlin» représentée, selon elle, par RT et Sputnik. Or, l'UE n'a pas été en mesure, pour appuyer cette décision, de citer la moindre fake news dont se seraient rendus coupables ces médias. Et pour cause : la chaîne RT France n'a jamais été sanctionnée par le régulateur français des médias, l’Arcom (ex-CSA).

Les avocats de RT France ont notamment dénoncé une méconnaissance de «la liberté d’expression dont doit disposer, en toutes circonstances, tout média d’information, sous le contrôle de son régulateur national».

En outre, un certain nombre de personnalités médiatiques et politiques s'étaient indignés, déjà, cette mesure liberticide et une pétition en ligne contre l'interdiction de RT France a mobilisé plus de 50 000 signataires.