France

«Dangereux» : 250 élus d'Ile-de-France réclament le report de la «privatisation» des transports

Dans une lettre adressée à Elisabeth Borne, les élus prônent la suspension de l'ouverture à la concurrence, prévue pour le réseau de bus de la RATP dès 2025. Selon eux, celle-ci sera synonyme d'une dégradation du service et des conditions de travail.

«Dangereux voire fou» : c'est ainsi que les 250 élus signataires d'une lettre ouverte à la Premier ministre, publiée par Le Monde ce 2 janvier, et intitulée Nous vous demandons de surseoir au processus de privatisation pour l’ensemble des transports d’Ile-de-France qualifient le maintien du calendrier d'ouverture à la concurrence des transports franciliens.

Plus précisément, ils s'alarment de l’ouverture au secteur privé des lignes de bus aujourd’hui exploitées par la RATP, le réseau devant être géré uniquement par des entreprises privées à partir du 1er janvier 2025, en application d'une directive européenne de 2007. 

Les signataires, parmi lesquels figurent la maire de Paris Anne Hidalgo, la présidente du groupe LFI à l'Assemblée nationale Mathilde Panot ou encore la sénatrice communiste Eliane Assassi, estiment que cette mutation est lourde de risques, alors que les pénuries de personnel désorganisent déjà profondément l’offre de transport à Paris et dans tous les départements limitrophes.

Les élus demandent ainsi à Elisabeth Borne d'intervenir auprès de la présidente d'Ile-de-France Mobilités (IDFM, l'autorité organisatrice des transports franciliens), Valérie Pécresse, qui «a souhaité l’ouverture au secteur privé des lignes de bus aujourd’hui exploitées par la RATP, sans consultation des usagères et usagers», écrivent-ils. Rappelant que les premiers appels d'offres ont été publiés en 2022, les auteurs insistent sur les dangers de «moins-disant social» liés à cette mise en concurrence.

Grand saut dans le moins-disant social

D'après les élus signataires, les conducteurs de bus, ainsi que les personnels assurant le fonctionnement du réseau, risquent d'être les victimes de la compétition à laquelle vont se livrer les différents opérateurs pour décrocher les marchés, en jouant sur le temps de travail ainsi que sur la rémunération des salariés, dont le maintien «n’est en rien garanti» selon eux, la masse salariale restant le premier poste de dépenses et donc un levier essentiel pour réduire les coûts.

D'après les auteurs, les premiers appels d'offres publiés ne font que confirmer cette menace, puisqu'ils fixent le critère du prix comme premier élément de notation des offres des candidats, «soit 40% de la note finale».

Ils citent également les cas de privatisation déjà menés hors réseau RATP (Melun-Val-de-Seine, plateau de Saclay) où «les conditions de travail et les conditions de transport ont été dégradées», déclenchant à la fois des grèves des conducteurs et le mécontentement des usagers. Et, si les agents refusent de signer un contrat de droit privé avec les nouveaux opérateurs, ils «seront licenciés pour motif économique, c’est-à-dire sans indemnités de licenciement», affirment-ils.

Au total, ce n'est pas moins qu'un «plan social massif» qui menace les salariés des transports, qui «s’ajouterait à la pénurie structurelle et aurait comme conséquence immédiate une nouvelle baisse de l’offre pour les usagers», alertent-ils.

Alerte sur un télescopage avec les JO de 2024

Afin d'éviter ce «grand saut dans le moins-disant social» et de «retrouver des transports publics de qualité», les élus demandent donc la suspension immédiate du processus d'ouverture à la concurrence, afin de mettre fin à ce qu'ils qualifient de «fuite en avant». Cette volonté de privatisation est d'ailleurs maintenue «en totale opposition avec les retours d’expérience européens et aux reports dans les autres régions françaises», selon les auteurs, qui citent l’abandon de la mise en concurrence en Bourgogne-Franche-Comté (sur les lignes de trains régionaux).

Comme le souligne Le Monde, le courrier des 250 élus pointe le télescopage risqué de ce calendrier d’ouverture à la concurrence avec celui des Jeux olympiques de Paris en 2024, déjà évoqué par un précédent courrier envoyé à Matignon en décembre par Anne Hidalgo.

«Les conducteurs de la RATP vont être sollicités pour travailler tout l’été et l’automne 2024 et assurer le transport des neuf millions à dix millions de spectateurs venus du monde entier, au moment même où on leur annoncera qu’ils vont quitter le giron de la régie publique pour rejoindre Transdev ou Keolis, leurs deux principaux concurrents», pointe le quotidien, alors que les agents pouvaient espérer faire carrière au sein de la régie publique. Pour les auteurs de la lettre, c'est bien «le processus implacable de préparation du transfert d'une partie du personnel» vers des opérateurs privés qui expliquerait «pour partie la pénurie historique de conductrices et de conducteurs» dans la région capitale.

La RATP en proie à de multiples difficultés

Ne partageant pas les constats et postulats des élus de gauche, Valérie Pécresse a fait savoir ce 2 janvier également qu’elle restait «défavorable par principe au report de l'ouverture à la concurrence», qui serait «injuste pour les voyageurs» dans la mesure où elle les priverait d'une meilleure qualité de service» dans Paris.

«La concurrence, c'est bon pour les clients», a-t-elle réaffirmé dans une réaction transmise par son entourage à l'AFP. Sur le plan social, IDFM a préparé, selon la même source, «un cahier des exigences sociales unique en Europe pour rassurer les agents et leur garantir que la concurrence ne se ferait pas au détriment de la qualité de vie au travail».

Confrontée à des problèmes de recrutement, à un absentéisme élevé, à des grèves et à des problèmes de maintenance du matériel, la RATP peine depuis plusieurs mois à faire circuler correctement ses autobus et métros, avec pour conséquence des temps d'attente parfois très longs et des véhicules bondés. Dans ses vœux diffusés le 31 décembre, Valérie Pécresse a promis que les pénalités «exceptionnellement fortes» que la RATP va devoir verser pour cause de service défaillant seraient reversées en compensation aux usagers. L'ancienne candidate à la présidentielle, qui a annoncé à la mi-décembre une hausse du prix du pass Navigo de 75,20 à 84,10 euros, a réclamé à la régie le rétablissement de l’offre des transports «à 100%».

Selon Le Parisien, une réunion exceptionnelle du conseil d’IDFM est prévue le 13 janvier avec les opérateurs pour préciser les modalités de ce retour à un service complet. L'ancien Premier ministre Jean Castex, dont la nomination à la tête de la RATP a suscité la polémique, y participera pour la première fois.