«Je ne sais pas définir un surprofit» : lors de son audition ce 21 septembre devant la «mission flash» de l'Assemblée nationale dédiée aux superprofits réalisés par les grandes entreprises de secteurs clés (énergie, carburant, transport maritime), le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné a tenté de tordre le cou à l'idée selon laquelle le groupe aurait réalisé des profits démesurés à la faveur de l'envolée des prix de l'énergie, mais s'est attiré une volée de critiques.
Soucieux de démontrer qu'il n'avait «rien à cacher» et que les profits ne «tombent pas du ciel», le patron a rappelé que le groupe avait procédé ces dernières années à de lourds investissements afin d'appuyer une transformation de son portefeuille d'énergies, en particulier dans le gaz naturel liquéfié (GNL), un «pari» qui s'avère gagnant en termes de rentabilité. Suite à ces évolutions, le seuil de rentabilité de TotalEnergies se situe à «25 dollars le baril», contre 100 dollars précédemment.
Je ne maîtrise pas le prix du pétrole, ni celui du gaz
Et si le prix du baril a nettement grimpé dans la période récente, permettant à l'entreprise de réaliser des bénéfices considérables, Patrick Pouyanné a souligné que le phénomène inverse s'était produit pendant la crise sanitaire, entraînant alors des pertes. «Je n'ai vu personne venir nous dire que c'était un problème», a-t-il insisté, mettant l'accent sur la volatilité des prix à laquelle sont exposées les entreprises de matières premières, qui acceptent «des prises de risques importantes». «Je ne maîtrise pas le prix du pétrole, ni celui du gaz», a-t-il complété.
Egalement interrogé sur le faible niveau de ses contributions fiscales et sociales payées en France, le dirigeant a expliqué que l'essentiel de ses activités de production de pétrole et de gaz se trouvaient à l'étranger, les activités françaises de TotalEnergies étant centrées sur le raffinage, une activité dans laquelle le groupe «a perdu de l'argent». Pour la France, TotalEnergies verse entre «1,6 et 1,9 milliard d’euros par an au budget français», a-t-il ajouté.
L'ONG Oxfam monte au créneau
La démonstration n'a pas du tout convaincu Cécile Duflot : la directrice d'Oxfam a elle-même adopté un ton assez professoral pour expliquer que «le terme anglais pour superprofits est windfall profits», soit des «profits tombés du ciel qui ne s'expliquent donc pas par le fonctionnement normal de l'entreprise mais par une situation où elle bénéficie et "profite" de circonstances exceptionnelles». Elle a à nouveau plaidé en faveur d'une taxe sur les superprofits, déjà mise en place dans certains pays européens.
Sur un ton plus moqueur, le porte-parole de l'ONG, Quentin Parrinello, a jugé qu'«il ne doit plus y avoir que Patrick Pouyanné, Geoffroy Roux de Bézieux et Bruno Le Maire qui ne savent pas ce qu'est un superprofit». Il a ainsi fait référence aux dénégations récentes du patron du Medef et du ministre de l'Economie : le premier avait accusé l'Etat d'être le réel «super profiteur» de la crise, et le second avait déclaré «ignorer ce qu'est un superprofit» à l’occasion de l’université d’été de l'organisation patronale, après s'être déjà vigoureusement opposé à toute nouvelle taxe au Parlement.
«L'indécence, mais jusqu'à quand ?», a pour sa part condamné l'essayiste Mathieu Slama, pointant du doigt l'augmentation de 52% du salaire de Patrick Pouyanné en 2021.
A rebours de ces critiques, l'économiste Philippe Herlin, soutien d'Eric Zemmour, a souscrit aux arguments du PDG du groupe et appelé, «ceux qui hurlent» et militent pour une taxation supplémentaire des bénéfices du groupe à ouvrir la voie à l'exploitation du gaz de schiste présent en France. En accompagnant cette proposition provocante d'un clin d'œil puisqu'une telle exploitation est très loin d'être à l'ordre du jour, essentiellement pour des motifs écologiques.
La gauche remet la taxe sur les superprofits à l'ordre du jour
Parallèlement à ces appréciations diverses, les partis de gauche ont présenté ce 21 septembre un texte de loi en vue d'obtenir un référendum d'initiative partagée sur la taxation des «superprofits». Le texte a été signé par 240 parlementaires, a indiqué le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure, espérant que cette procédure allait «créer un rapport de force» avec la majorité présidentielle. La proposition de loi de la Nupes doit, en cas de feu vert du Conseil constitutionnel sous un mois, obtenir près de cinq millions de signatures citoyennes en neuf mois pour déclencher un référendum.
Le texte de la Nupes prévoit de taxer les grandes entreprises «majoritairement multinationales» dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros, tous secteurs confondus. TotalEnergies figure parmi les cibles, aux côtés du groupe pharmaceutique Sanofi et de l'armateur CMA-CGM, dans des secteurs où ont été réalisés des «bénéfices exceptionnels, décorrélés de toute innovation, gain de productivité ou décision stratégique interne à l'entreprise». La «contribution», qui s'appliquerait jusqu'au 31 décembre 2025, toucherait les entreprises dont le résultat imposable supplémentaire est au moins 1,25 fois supérieur au résultat moyen des années 2017, 2018, 2019, avec un barème progressif de taxation de 20%, 25% ou 33% des fameux «superprofits».
La Commission européenne envisage elle aussi une «contribution» qui serait imposée aux producteurs et distributeurs de gaz, de charbon et de pétrole, ainsi qu’un plafonnement des revenus des producteurs d'électricité engrangeant des bénéfices exceptionnels.
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres avait quant à lui dénoncé début août la «cupidité» des grandes entreprises pétrolières et gazières qui réalisent des profits «scandaleux» sur «le dos des plus pauvres» et appelé les gouvernements à les taxer. Il a renouvelé cet appel à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies, souhaitant que les produits de nouvelles taxes aillent aux pays du Sud les plus touchés par des événements climatiques et l'inflation.