Entretiens

Souveraineté, Démocratie, Laïcité : faire converger la droite et la gauche

L’économiste Jacques Sapir vient de publier son nouveau livre Souveraineté, Démocratie, Laïcité (Michalon). RT France a contacté l’écrivain pour l'interroger sur les problématiques qu’il évoque dans son dernier ouvrage.

Si un économiste s’est lancé dans la philosophie politique, ça n'est sans doute pas un hasard mais bien plutôt parce qu’il avait déjà rencontré ces problèmatiques à travers ses travaux habituels : «En tant qu'économiste je me suis évidemment beaucoup penché sur la question de savoir si les institutions naissaient d'elles-mêmes ou si elles étaient liées à la constitution d'un Etat », explique Jacques Sapir.  A partir d’un moment quand un chercheur fait de l'économie théorique, il fait face à toute une série de questions liées à la philosophie politique. C'était donc pour essayer de « tirer au clair » les questions de démocratie et de souveraineté qu’il s'est penché sur la philosophie politique.

«Convergence entre une vision de gauche et une vision de droite»

Il n’est pourtant pas évident de situer son ouvrage dans un courant politique précis : «Ce livre, très clairement n'est pas un livre de politique, il traite de politique, mais pas de la politique», dit l’auteur. Pour lui, tous les gens qui reconnaissent que la structure de l'Etat en France est un point extrêmement important, qui reconnaissent comme essentielle la nécessité de la souveraineté de la nation vont se retrouver dans ses idées. Qu'ils soient de droite ou de gauche, des amateurs de Jean Jaurès ou de Jaques Bainville. «Il y a là une convergence entre une vision de gauche et une vision de droite», estime Jacques Sapir. 

Cela lui a valu une polémique acharnée avec le journaliste de Marianne Jack Dion qui lui reprochait, entre autres, de presenter là une «main tendue» vers une extrême droite. Pour Jacques Sapir la prétendue «proximité à l’extrême droite» permet d'une certaine manière de «couper court au débat» et refuser un dialogue : «Une autre manière de voir les choses c’est de dire qu’à partir du moment où vous vous réclamez de la nation, vous vous rapprochez de l'extrême droite, explique l’écrivain. Seulement, quand on tient ce discours, il faut savoir qu'à ce moment-là cela voudrait dire qu'il y aurait, en gros, les trois quarts des Français, peut-être plus, qu'on pourrait classer à l'extrême droite».

L’économiste estime que cet amalgame de l'extrême droite sert à empêcher tout débat. Il pointe du doigt les résultats des dernières élections régionales où le Front national a représenté près de 6 millions d'électeurs, donc entre 25 et 26% de l'électorat :  «On va faire comme si ces gens n'existaient pas?», demande-t-il. Cela ne veut pas dire qu'il serait nécessairement d'accord avec eux, mais «qu'il faut d'une certaine manière prendre acte de la constitution d'un mouvement politique majeur en faveur du Front National et commencer un débat avec eux». Ce serait un débat où il y aurait des points sur lesquels il serait impossible de transiger, mais il faut «provoquer une réponse» de la part de ce type de mouvement.

«Le véritable souverain est le peuple »

Dans son livre, Jacques Sapir affirme que le concept de souveraineté est absolument central aux sociétés humaines. Même dans le cadre de la mondialisation, des accords de libre-échange comme le Traité Transatlantique ou le Traité Transpacifique, où, finalement, une partie des pouvoirs nationaux sera transmis à des instances supranationales, Jacques Sapir ne croit pas à un dépassement du concept de la souveraineté. Pour lui la question de la souveraineté «est absolument essentielle à l’existence de la démocratie.» Cependant, l’économiste affirme qu’il peut y avoir des transferts de souveraineté, dans «les cas de collaborations des souverainetés» entre différents pays, pour traiter toute une série de questions. «Le véritable souverain est le peuple, et en réalité tous les peuples ont toujours la possibilité de révoquer ce transfert», explique-t-il.

Il existe néanmoins des domaines dans lesquels la souveraineté n’est pas négociable. Il s’agit notamment de la sécurité, où il peut y avoir des coopérations, des coordinations, mais où chaque pays défend à terme ses intérêts. Ensuite, il y a toute une série de domaines économiques. L’économie est une activité humaine, où «la souveraineté s’applique de manière absolue», en particulier sur les questions monétaires. De même pour la sécurité alimentaire –  un gouvernement est responsable devant son peuple, on ne peut pas aliéner la souveraineté, «c’est strictement impossible.»

Enfin pour parler du troisième pilier de l’ouvrage, la laïcité, Jacques Sapir écrit que « c’est bien dans une exclusion de la place publique des revendications religieuses et identitaires que pourra se construire la paix civile.» La question de la religion, pour lui,  c’est une question qui est « éminemment individuelle ». Mais se pose toujours la question de savoir quand ce qui est de l’ordre de l’intime, du personnel, commence à envahir l’espace publique : «L’Etat peut toujours avoir cette tentation de chercher à imposer un modèle de croyance, qui est le modèle de croyance de ses dirigeants, aux individus, met en garde le chercheur. C’est donc pour cela que la laïcité est un équilibre entre le pouvoir publique et les libertés individuelles», maintient-il.