Economie

Les pays occidentaux envisagent-ils de déconnecter la Russie du réseau bancaire SWIFT ?

Alors que les tensions liées à la situation en Ukraine restent vives, les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, soufflent le chaud et le froid sur la possible exclusion de la Russie du réseau bancaire SWIFT. RT France fait le point sur la question.

Alors que les tensions ne cessent de monter entre la Russie et les pays occidentaux, avec en toile de fond la crise ukrainienne, plusieurs indices semblent indiquer que les pays occidentaux, et plus particulièrement les Etats-Unis, envisageraient d'exclure la Russie du système financier mondial.

Depuis 2014 et le rattachement de la Crimée à la Russie après un référendum d'autodétermination fondé sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes que les Occidentaux considèrent comme une annexion illégale, ces derniers ont régulièrement menacé de déconnecter la Russie de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, connue sous l'acronyme SWIFT. Fondée en 1973 et basée dans la ville belge de La Hulpe, la SWIFT est un réseau interbancaire offrant une palette de services financiers extrêmement diversifiés : transferts de compte à compte, opérations sur devises ou sur titres, recouvrements, communications sécurisées, etc.

La résolution non contraignante du 18 septembre 2014 prise par le Parlement européen et demandant à l'Union européenne d'envisager de déconnecter la Russie du réseau, confirme la potentielle utilisation de la SWIFT à des fins politiques. Dans un communiqué publié sur son site internet, la coopérative bancaire gérant le réseau SWIFT avait à l'époque condamné l'initiative européenne. «La mise en avant de SWIFT de cette manière interfère de manière disproportionnée avec le droit fondamental de SWIFT de mener des activités commerciales [...] Elle constitue également un traitement discriminatoire et inégal», est-il expliqué dans le document.

Cette politisation du réseau financier a poussé la Russie à développer un système alternatif, connu sous le nom de SPFS. Depuis 2019, de nombreux accords ont été conclus pour relier le réseau russe aux systèmes de paiement d'autres pays comme la Chine, l'Inde, l'Iran, ainsi que de plusieurs monarchies du Golfe qui prévoient d'utiliser directement le SPFS.

Les Européens renoncent à exclure la Russie, les Américains restent plus ambigus

Si les menaces d'exclusion ne se sont jamais concrétisées, les tensions croissantes autour de la question ukrainienne font que la déconnexion de la Russie du réseau SWIFT est de nouveau évoquée. L'Europe semble peu encline à franchir le rubicond et s'attaquer de front à la Russie. D'après Reuters, confirmant une information du journal allemand Handelsblatt citant des sources gouvernementales allemandes, les pays occidentaux privilégieraient d'autres types de sanctions économiques contre la Russie. 

Néanmoins, les Etats-Unis continuent de souffler le chaud et le froid sur la question. Si la Maison Blanche n'a pas confirmé qu'elle envisageait bien de déconnecter les banques russes du réseau, le président Joe Biden avait «fait savoir» à Vladimir Poutine le 7 décembre que Moscou s'exposerait à de «fortes sanctions, entre autres économiques», en cas d'«escalade militaire» autour de l'Ukraine.

Une exclusion de la Russie aurait de graves conséquences pour l'économie mondiale et les pays occidentaux

Néanmoins, même dans l'éventualité où les Etats-Unis décidaient de franchir le pas et de sanctionner la Russie en l'excluant du réseau SWIFT, les sanctions américaines pourraient ne pas avoir l'effet escompté par Washington, comme le démontre le journal britannique The Economist dans un article publié le 18 décembre dernier.

Tout d'abord, même si les Etats-Unis demandaient à la coopérative SWIFT de déconnecter la Russie de son réseau, rien ne garantit que cette dernière ne se conforme à la directive américaine comme ce fut le cas avec l'Iran en 2018. La coopérative de banques s'est toujours engagée à rester politiquement neutre et la Russie possède un poids économique sur la scène internationale bien supérieur à celui de la République islamique.

L'exclusion de la Russie du réseau SWIFT aurait, certes, des conséquences néfastes pour l'économie russe du fait de la fuite de capitaux qu’entraînerait une telle mesure, cependant, les banques russes et leurs partenaires étrangers réagiraient en utilisant d'autres moyens de communication ainsi qu'en recourant au système SPFS russe.

Pendant ce temps, l'Occident subirait le contrecoup de cette exclusion. Jusqu'à présent, l'Amérique n'a dirigé sa puissance de feu financière que vers des pays au faible poids économique sur la scène internationale tels que Cuba, l'Iran et la Corée du Nord. Or, le PIB russe est d'un tout autre ordre de grandeur. La perturbation majeure d'une économie s'étirant de l'Atlantique au Pacifique se répercuterait immanquablement sur tous les pays ayant des relations commerciales avec la Russie – et ils sont nombreux.

Selon The Economist, le plus grand pays du monde en superficie est le cinquième partenaire commercial de l'UE et les banques européennes abritent 56 milliards de dollars de créances appartenant à des résidents russes. Autre information notable, la Russie fournit près de 35% des importations européennes de gaz naturel, tout en abritant 310 milliards d'euros d'actifs européens.

Vers une alternative chinoise au réseau SWIFT ?

Toujours selon le journal britannique, à long terme, les Etats-Unis seraient aussi affectés par l'exclusion de la Russie du réseau SWIFT. La première puissance économique mondiale a, en effet, assis sa domination de la scène financière internationale du fait de la proéminence du dollar dans les échanges mondiaux. Or, en cas d'exclusion de la Russie, tous les pays en froid avec les Etats-Unis, comme par exemple la Chine, chercheraient rapidement une alternative au réseau SWIFT, ce qui affaiblirait la domination américaine de la scène financière internationale. La volonté d'être moins dépendant du dieu dollar n'est pas chose nouvelle. Plusieurs pays de l'UE ont, ces dernières années, souvent évoqué la nécessité de faire émerger un système interbancaire et financier indépendant du dollar américain.

Selon un ancien responsable de l'agence chargé d'établir et de superviser les sanctions américaines cité par The Economist, l'exclusion de la Russie servirait de «répétition générale» et finirait de convaincre la Chine de la nécessité de renforcer son propre système interbancaire : le CIPS. Le réseau, qui compte plusieurs grandes banques mondiales parmi ses membres, a déjà vu son volume de transaction doubler au cours de la dernière année. De nouvelles sanctions américaines contre la Russie accéléreraient cette tendance.

Noah Ebtihej Sdiri