Après un premier échec le 7 avril, puis des échanges tendus, les ministres européens des Finances ont affiché le 9 avril leur unité en parvenant à s'entendre, à l'arrachée, sur une réponse économique commune face au coronavirus. Ce consensus constitue un soulagement pour les dirigeants européens, après des semaines d'atermoiements mettant en évidence une fracture béante entre les pays du Sud et ceux du Nord, en particulier les Pays-Bas, longtemps inflexibles dans ces discussions.
Le ministre français des Finances Bruno Le Maire a salué un «excellent accord», son homologue allemand Olaf Scholz, «un grand jour pour la solidarité européenne» et la présidente de la Banque Centrale Européenne Christine Lagarde, «un accord novateur». «Aujourd'hui, nous avons répondu à l'appel de nos citoyens en faveur d'une Europe qui protège» avec «des propositions audacieuses qui semblaient impossibles il y a à peine quelques semaines», a souligné Mario Centeno, le président de l'Eurogroupe, qui réunit les ministres des Finances de la zone euro.
Face à la pandémie, la réponse européenne doit s'orienter sur trois axes principaux : jusqu'à 240 milliards d'euros de prêts du Mécanisme européen de stabilité (MES, le fonds de secours de la zone euro), un fonds de garantie de 200 milliards d'euros pour les entreprises et jusqu'à 100 milliards pour soutenir le chômage partiel.
La brûlante question des «coronabonds», cet emprunt européen commun réclamé par les pays du Sud, en particulier l'Italie, la France et l'Espagne, pour soutenir l'économie à plus long terme après la crise, n'a pas été tranchée.
Pression sur les Pays-Bas
Le texte final évoque en revanche un futur «fonds de relance» dont «les aspects juridiques et pratiques», notamment le «financement», devront encore être définis. Bruno Le Maire a plaidé le 8 avril dans la soirée pour un fonds de «500 milliards d'euros environ», destiné «aux dépenses d'avenir», «limité dans le temps» mais capable d'émettre de la dette commune car «c'est la seule solution».
Ses homologues allemand et néerlandais ont cependant tous deux rappelé leur ferme opposition à toute mutualisation des dettes de leurs pays, refusant de s'inscrire dans une démarche commune avec les Etats très endettés du Sud, qu'ils jugent laxistes dans leur gestion. Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE, qui n'étaient eux-mêmes pas parvenus à s'entendre lors d'un sommet le 26 mars, devront encore valider ces propositions.
Une réponse unitaire était d'autant plus indispensable que l'économie européenne se dirige en 2020 vers une profonde récession, le Fonds monétaire international estimant même que le coronavirus pourrait engendrer au niveau mondial «les pires conséquences économiques depuis la Grande Dépression» de 1929. Après une première nuit de discussion infructueuse, les contacts bilatéraux se sont multipliés pour tenter d'infléchir la position des Pays-Bas, unanimement critiqués pour leur inflexibilité empêchant tout accord.
Un accord «juste et raisonnable», selon Wopke Hoekstra
Les Etats membres reprochaient à La Haye de bloquer l'activation du MES, créé en 2012 lors de la crise de la dette et financé par les Etats membres, en conditionnant strictement les prêts qu'il pourrait octroyer à des réformes économiques. Une telle «conditionnalité», qui aurait renvoyé à l'époque où la Grèce a été contrainte de mettre en œuvre des réformes parfois douloureuses en échange d'argent frais, aurait été vécue comme une humiliation par Rome et Madrid, les deux pays européens les plus touchés par l'épidémie.
Selon l'accord, les prêts, jusqu'à 2% du PIB de l'Etat concerné – soit 240 milliards d'euros pour l'ensemble de la zone euro, pourront être utilisés sans condition pour les dépenses de santé et de prévention liées au coronavirus. Un compromis jugé «juste et raisonnable» par le ministre néerlandais Wopke Hoekstra, qui souligne qu'«un soutien économique» du MES hors dépenses de santé restera assorti de «certaines conditions».
«Les eurobonds sont sur la table, les conditions du MES ont été retirées de la table. Nous remettons au Conseil européen une proposition ambitieuse», s'est de son côté félicité le ministre italien de l’Economie Roberto Gualtieri. Les deux autres axes de réponse des Européens face au virus étaient plus consensuels : un fonds de garantie de la Banque européenne d'investissement (BEI) permettant de mobiliser jusqu'à 200 milliards d'euros pour les entreprises et une garantie de 100 milliards d'euros maximum de la Commission européenne pour soutenir les plans nationaux de chômage partiel.