En un mois, le ton des déclarations du président des Etats-Unis à propos de sa guerre commerciale avec la Chine est passé du triomphalisme à une forme de résignation confiante. Le 26 juin, soit deux jours avant sa rencontre avec le président chinois Xi Jinping dans le cadre du sommet du G20 au Japon, Donald Trump dépeignait une Chine économiquement à l’agonie et pressée d’obtenir un accord.
Dans une interview par téléphone accordée à la chaîne Fox News, le président des Etats-Unis laissait entendre qu’il était en train de mettre fin à l’énorme déficit commercial des Etats-Unis au profit de la Chine, lequel a atteint 420 milliards de dollars en 2018 (377 milliards d’euros) et affirmait : «Ils veulent parvenir à un accord bien plus que moi.»
A l’appui de cette déclaration, il citait le ralentissement de la croissance chinoise, le plus important en près de trois décennies, sans s’appesantir toutefois sur le chiffre : + 6,2% attendus en 2019, après + 6,5% en 2018, contre +2,8% attendus aux Etats-Unis en 2019, après un record de 2,9% en 2018.
Il aurait aussi pu souligner le décalage entre les enjeux de cette guerre commerciale pour les deux pays : les Etats-Unis importent pour près de 540 milliards de dollars de biens venant de Chine, alors que les Etats-Unis n’exportent vers la Chine que pour 120 milliards de dollars. Autrement dit, Pékin a, à première vue, beaucoup plus à perdre.
Trois jours plus tard, Donald Trump écrivait sur son compte Twitter personnel : «J'ai eu une excellente réunion avec le président chinois Xi hier, bien meilleure que prévu. [ …] Je ne suis pas pressé, mais les choses s'annoncent bien !» La rencontre n’avait pourtant guère donné d’autre résultats qu’un engagement à reprendre les négociations au niveau ministériel un mois plus tard, et à faire d’ici là une pause dans l’escalade des tarifs douaniers entre les deux pays.
Mais le 26 juillet, quatre jours avant la reprise des négociations à Shanghai, Larry Kudlow, premier conseiller économique de la Maison Blanche reconnaissait qu’il n’y avait au mieux à en attendre qu’un retour à la case départ en déclarant : «Je ne m'attends pas à un grand accord. Je pense, pour en avoir discuté avec nos négociateurs [Robert Lighthizer, représentant au Commerce et Steven Mnuchin, secrétaire au Trésor], qu’ils vont en quelque sorte rétablir la situation et, espérons-le, revenir à l'endroit où les pourparlers se sont terminés en mai dernier.»
Huawei au cœur des négociations
Le 16 mai, l’administration américaine avait placé le constructeur d’équipements de téléphonie mobile chinois Huawei sur une «liste d’entités» du Bureau pour l’industrie et la sécurité (BIS) interdisant aux entreprises américaines de lui vendre certains composants et technologies parce que «le gouvernement des Etats-Unis a[vait] déterminé qu'il existait des motifs raisonnables de croire que Huawei avait participé à des activités contraires aux intérêts des Etats-Unis en matière de sécurité nationale ou de politique étrangère».
Depuis, la rencontre avec Xi Jinping, l’administration américaine a cependant donné l’impression d’amorcer une marche arrière en encourageant les entreprises américaines à demander des licences dérogatoires pour continuer à vendre certains composants au géant chinois de la téléphonie mobile. La semaine dernière, Intel et Xilinx ont par exemple annoncé avoir demandé des licences pour reprendre les ventes de certains produits à Huawei.
Cependant, le ministère du Commerce n’a encore répondu à aucune des 50 demandes de licence présentées par environ 35 entreprises. Et, selon l’agence Reuters, les dirigeants des grandes entreprises américaines du secteur se sont plaints auprès du secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, de n’avoir pas fourni de directives claires, faisant peser sur leur activité une dangereuse incertitude. Le 23 juin, le transitaire américain FedEx a même annoncé le dépôt d'une plainte contre le département américain du Commerce, qu’il accuse de faire porter par les sociétés de livraison un «fardeau impossible» en raison de ses sanctions commerciales visant «certains produits chinois».
La Chine mise désormais sur les ressources du marché intérieur
De son côté, le fondateur et PDG de Huawei, Ren Zhengfei a annoncé, le 30 juillet, jour de la réouverture des négociations à Shanghai, que son chiffre d’affaires au premier semestre avait augmenté de 23,2% à 401,3 milliards de yuans (52,3 milliards d’euros), contre 325,7 milliards (42,4) un an auparavant. Il n’a toutefois pas nié l’impact des mesures américaines contre Huawei et reconnu des difficultés qui «pourraient affecter le rythme de [sa] croissance à court terme».
Néanmoins, ce résultat illustre en partie un changement important pour ces négociations. En effet, les ventes de Huawei ont baissé à l’étranger, mais ont été compensées par de nouveaux contrats d’équipements 5G, et surtout, par une croissance des ventes domestiques. Un mouvement qu’on peut rapprocher de la mutation progressive de l’économie chinoise, aujourd’hui en mesure de profiter d’une croissance interne et moins dépendante de son commerce extérieur.
Cette évolution n'a d'ailleurs pas échappé au président des Etats-Unis, qui a demandé le 26 juillet à son représentant au Commerce Robert Lighthizer de dénoncer auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) le statut de pays en voie de développement dont continue de bénéficier la Chine.
L'élection américaine de 2020 en ligne de mire des Chinois
En attendant, l'administration américaine a dû débloquer près de 16 milliards de dollars d'aides pour les agriculteurs américains, durement touchés par la guerre commerciale, en raison de l'arrêt quasi-total des importations chinoises de soja et autres produits agricoles des Etats-Unis. Une pression évidente contre une base électorale qui a largement soutenu Donald Trump en 2016.
Ils vont probablement attendre notre élection pour voir si nous aurons un de ces croulants démocrates comme Joe l’endormi [...] Le problème c’est que si je gagne, et quand j’aurai gagné, ils vont se retrouver avec un accord beaucoup plus dur que ce que nous négocions actuellement…ou pas d’accord du tout.
L'issue incertaine des négociations avec Pékin pourrait même peser sur la réélection en 2020 que vise Donald Trump et pour laquelle il est déjà rentré en campagne. Le président des Etats-Unis a de toute évidence en tête ces calculs, même si il affiche sa sérénité. Il se montre en effet désormais moins convaincu que la Chine est pressée de parvenir à un accord et dénonce même une mauvaise volonté de sa part.
Il l’a exprimé pendant les négociations du 30 juillet sur Twitter en écrivant : «Mon équipe est en train de négocier avec eux, mais ils changent toujours l'accord à leur avantage. Ils vont probablement attendre notre élection pour voir si nous aurons un de ces croulants démocrates comme Joe l’endormi [Joe Biden]. […] Le problème c’est que si je gagne, et quand j’aurai gagné ils vont se retrouver avec un accord beaucoup plus dur que ce que nous négocions actuellement… ou pas d’accord du tout.»
Jean-François Guélain