Economie

Que reste-t-il à vendre ? L’Etat détient (encore) 100 milliards d’actifs dans 81 entreprises

Le gouvernement n'ayant pas caché son intention de céder des participations de l’Etat dans de grandes entreprises, RT fait le point sur le patrimoine financier du pays et sur ce que le gouvernement pourrait être tenté de privatiser.

Les biens de la collectivité nationale sont une ressource tentante pour tout gouvernement qui cherche des fonds sans vouloir augmenter les impôts ou les taxes. Jusqu’ici, la volonté de réduire le niveau de la dette servait de justification, sinon de prétexte, à la cession d’actifs. Ce fut notamment le cas lors de la privatisation du réseau national d’autoroutes qui s’est étalée de 2002 à 2006, plaçant dans les mains du secteur privé des actifs juteux pour des sommes jugées modiques.

Aujourd’hui, l’argument du désendettement de la France n’est plus mis en avant pour justifier d’éventuelles cessions et le gouvernement parle plutôt de relancer l'économie par l'innovation. Dès septembre 2017, Bruno Le Maire avait déclaré : «Je vais annoncer dans quelques semaines que nous allons privatiser certaines entreprises pour avoir de l'argent afin de financer l'innovation.» 

Et le 18 janvier dernier, le ministre de l’Economie et des Finances annonçait les modalités de création d’un fonds pour l’innovation, déjà doté de dix milliards d’euros. Il est constitué, d’une part de 1,6 milliard d’euros issus de cessions d’actifs effectuées au second semestre de l’année 2017 (Engie et Renault), et d’environ 8,4 milliards d’euros en titres (actions des sociétés EDF et Thalès représentant respectivement 13,30% et 25,76% du capital de ces sociétés).

Toutefois, ces actifs, qui constituent une dotation, n’ont pas vocation à être «consommés» – c’est-à-dire vendus. Ils doivent seulement générer un rendement annuel estimé entre 200 et 300 millions, destiné à soutenir le développement d’innovations et leur industrialisation en France. Est-ce à dire que le fonds d'innovation étant déjà constitué, les privatisations vont s'arrêter ? Pas vraiment. Pour Emmanuel Macron, la privatisation ne semble pas tant être une nécessité qu'un principe.

EDF, le plus gros trésor de l'Etat

Aujourd’hui, le gouvernement a la main (dans des limites précises fixées par la loi) sur un patrimoine de participations évalué à près de 100 milliards d’euros en juin 2017. Il est réparti entre 81 entreprises, dont 13 sont cotées en bourse, dans quatre grands secteurs d’activité : l’énergie, les transports, l’industrie et la finance.

Le plus important est celui de l’énergie, dominé par EDF et Engie qui, ensemble, ont réalisé en 2017 près de 135 milliards d'euros de chiffre d’affaires. On y trouve aussi Areva, dont l’Etat détient aujourd’hui 28%. Mais le vrai trésor est bien EDF, qui représente à lui seul le tiers de la valeur totale (environ 66 milliards d’euros) des actions détenues par l’Etat dans des entreprises cotées. Le capital du deuxième fournisseur d’électricité au monde était détenu, au 30 juin 2017, à 83,4% par l’Etat, qui ne peut abaisser sa participation en dessous de 70% sans modifier la loi.

Dans le domaine des infrastructures de transport, le principal fleuron de l’Etat est la société ADP (Aéroports de paris) qui exploite les terminaux de Roissy et d’Orly. La part de l’Etat y est de 50,63%, proche de son minimum autorisé. Il faudra donc en passer par le Parlement pour la vendre – projet actuellement à l’étude. La participation de l’Etat dans ADP, valorisée à quelque 7 milliards d’euros, est la troisième après celles dans EDF et Engie. Le secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler connaît bien la maison : il a siégé à son conseil d’administration entre janvier 2010 et septembre 2012.

L’Etat détient encore des participations dans neuf aéroports, notamment ceux de Marseille, Strasbourg et Bâle-Mulhouse. Mais elles sont parfois très basses comme dans le cas de celui de Toulouse-Blagnac, détenu à 49,9% par Casil Europe, un consortium chinois, même si les participations d’autres acteurs publics régionaux peuvent conduire à considérer que la puissance publique est encore légèrement majoritaire. Bruno Le Maire voulait d’ailleurs céder les derniers 10,01% détenus par l’Etat à Casil Europe... avant de reculer devant l’opposition des autres actionnaires publics.

Les aéroports constituent des actifs que l'actuel président de la République semble soucieux de confier au privé. On se souvient notamment des cessions, au printemps 2016, dans le cadre de la loi Macron, des 60% du capital d’ADL (aéroports de Lyon) et de la même part d’ACA (aéroports de la Côte d’Azur). Les bénéficiaires ont été des consortiums public-privé, où l’on retrouve pêle-mêle Vinci et la Caisse des dépôts, ou encore le leader européen des autoroutes, l’italien Atlantia, propriété du groupe Benetton et EDF.

Transformation de la SNCF en société par actions : le projet qui va coincer

L’Etat contrôle aussi 17,58% d’Air France KLM, actuel candidat au rachat de la compagnie aérienne indienne Air India. Enfin, il est toujours propriétaire des grands ports français, ainsi que de la SNCF et de la RATP qui ne sont pas des entreprises par actions, mais des établissements publics. Le projet du gouvernement de transformer la SNCF en sociétés par actions, ouvrant ainsi la voie à sa privatisation éventuelle, figure d’ailleurs parmi les premières causes du mouvement de grève perlée annoncé le 15 mars par les quatre syndicats de la SNCF et les trois syndicats de la RATP dans un mouvement unitaire. 

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Dans le secteur de l’industrie, principalement automobile, aéronautique et de l’armement, l’Etat détient des parts dans une quinzaine d’entreprises. Parmi les plus connues figurent Airbus (11,11%), PSA (12,86 %), Renault (19,74%) et Thales (25,82%). On y trouve aussi STX, ex-Chantiers navals de l’Atlantique, dont 66% ont été vendus l’an dernier au constructeur naval semi-public italien Fincantieri, ainsi que Naval group (62,49%), le constructeur des fameux porte-hélicoptères Mistral dont la vente à la Russie avait finalement était annulée sous François Hollande.

A propos d’Airbus, dont le siège social se trouve à Leyden aux Pays-Bas, il est intéressant de noter que les Etats allemand, français et italien n’en détiennent ensemble que 26,28% et que le groupe, sous l’emprise de son PDG actuel et en fin de mandat Tom Enders, semble avoir échappé au contrôle des Etats qui ont contribué à le bâtir. 

On n'avait jamais vendu autant d'actions d'entreprises publiques

Enfin, dans les secteurs de la finance et des services, l’Etat est encore propriétaire de 100% de France Télévisions et de Radio France, et directement de 73,68% de La Poste, le reste étant détenu par une institution publique, la Caisse des dépôts et consignations.

Il y a aussi le cas spécifique d’Orange, dont la structure actionnariale est éclatée entre divers institutionnels comme BPI France au côté de l’Etat qui en détient directement 13,9%, mais le contrôle en réalité.

Dans un article paru en octobre dernier et intitulé «Céder Orange, un casse-tête pour l'Etat actionnaire», Les Echos se lamentaient de la difficulté technique de vendre ce qui fut jadis France Télécom. Ils donnaient aussi quelques indications sur les projets d'Emmanuel Macron pour cette entreprise en citant ses propos : «La participation de l'Etat dans une entreprise comme Orange peut évoluer. [...] Orange n'est ni une entreprise du secteur nucléaire ou de la défense ni une entreprise assurant un service public en monopole.» Ils laissaient également entendre que l’Elysée avait déjà sondé trois repreneurs possibles : Altice (SFR), Bouygues et Vivendi.

En 2017, l’Etat a vendu 7 milliards d’euros de participations, ce qui monte à 10 milliards d’euros depuis trois ans, c'est-à-dire depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à Bercy, les cessions d’actifs publics. On n’avait jamais vendu autant d’actions d'entreprises publiques sur une période aussi courte. 

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