Jacquemain Shabani confie à RT ses commentaires exclusifs sur les défis sécuritaires de la République démocratique du Congo

Le vice-Premier ministre, ministre de l'Intérieur, de la Sécurité, de la Décentralisation et des Affaires coutumières de la République démocratique du Congo était l’invité d'une interview, avec Jacques Amboka. Il a livré ses réflexions sur plusieurs sujets d'actualité congolaise et sur l'ancien président du pays Joseph Kabila.
Face aux responsabilités, aux ambitions et aux attentes de la population, Jacquemain Shabani « tient bon »
« Après douze mois de fonctions au sein du ministère de l'Intérieur, c'est de la décentralisation, en un mot, je pourrais dire que je tiens bon, comme on sait très bien le dire chez nous.
Je tiens bon, c'est un méga-ministère avec d'énormes responsabilités. Beaucoup d'ambitions, mais aussi beaucoup d'attentes de notre population. Au-delà de tout, il faut aussi intégrer le fait que la République démocratique du Congo traverse une crise sécuritaire majeure, qui se vit dans la partie est de la République, mais qui influence et implique toute la nation dans son ensemble, jusqu'à Moanda (localité de la RDC, NDLR) et ça captive tout le monde. Et l'une des grandes responsabilités de cette situation-là pèse sur le ministère de l'Intérieur. Mais comme je l'ai dit, on tient bon ».
Réforme de la police nationale congolaise : former et équiper une nouvelle génération de policiers
« L’Assemblée nationale a voté cette loi [sur la réforme de la police nationale et l’augmentation de son budget, NDLR], on la remercie, on a beaucoup travaillé avec les élus du peuple. Elle est passée en deuxième lecture au Sénat et ça a été aussi le même cas [qu'à l’Assemblée]. Et c'est pour nous le projet phare, le projet majeur qui concerne la sécurisation du territoire, de la population et de leurs biens.
Parce que ce projet va nous permettre de finaliser cette ambition de la République démocratique du Congo, depuis les derniers épisodes des conflits et des guerres, des rébellions qui se sont conclues par un accord politique majeur, l'accord signé à Sun City, dans lequel il avait été inscrit comme résolution, entre autres, la réforme du système sécuritaire, système de défense et de sécurité nationale, dont l'un de ses services majeurs, la police nationale congolaise.
Et depuis le dialogue intercongolais à nos jours, malheureusement, les différents exécutifs n'avaient pas encore réussi à finaliser ce projet de loi de programmation, de le faire voter au niveau de l'Assemblée, chose qui a été faite.
Je crois que c'est une avancée majeure parce qu'il est programmé dans cette loi-là un certain nombre d'actions et d'actes qui vont permettre que nous puissions doter la République démocratique du Congo de cette police-là tant attendue. Effectivement, nous avions proposé un budget de 2,3 milliards de dollars. Il a été majoré à près de 3 milliards et avec beaucoup d'ambition.
Il faut retenir qu'aujourd'hui, que malheureusement, nous avons une police nationale vieillissante. La majeure partie de son personnel est à la porte de la retraite. Une bonne partie aussi n'a pas bénéficié d'une formation adéquate. Et partout où vous pouvez vous promener, il est facile à constater que la police n'est pas dotée de matériel, d'équipement et d'infrastructures qui lui permettent de jouer son rôle d'élément majeur de stabilisation de la sécurité et de facteur de l'autorité de l'État.
Dans l'ambition de ce projet de loi, nous avons un recrutement de près de 90 000 éléments. Des jeunes gens qui seront recrutés dans les normes et dans les conditions modernes. Selon la réglementation des jeunes gens, des jeunes filles d'une certaine formation, capacité et diplômés d'État, seront recrutés pour être formés dans la police, suivre le cursus normal de formation de policier avec toutes les spécificités, et parmi eux, les plus aptes seront appelés à suivre les formations spéciales de la police.
Par exemple, aujourd'hui, nous avons dans des grandes villes comme Kinshasa, des difficultés dans la régulation de la circulation routière. Cela est dû, entre autres, au fait que la police spéciale de circulation routière est en déficit. En termes d'éléments, nous avons cette ambition de 90 000, sur les cinq prochaines années. Nous avons une ambition de doter la police des équipements dont elle a besoin en termes de mobilité, des armes non létales, qui sont les principaux équipements d'une police moderne que nous voulons. Sans compter aussi, pour certaines circonstances, des armes létales dont la police a besoin, des armes de capacité de gestion des foules et des masses.
Nous avons la problématique, par exemple, de la police des mines, qui dans nos zones minières, nous nous retrouvons souvent face à un grand nombre d'artisanaux qui réclament leurs droits, leurs possibilités d'entrer en activité sur les zones minières. Ça demande une sécurité spécialisée ».
12ᵉ conférence des gouverneurs : mise en œuvre de résolutions sur la thématique santé
« Nous avons eu un certain nombre de résolutions qui vont permettre que les équipes se retrouvent dans les jours qui viennent ici. La mise en œuvre de ces résolutions sur la thématique santé, vise à mobiliser les moyens et à interpeller les différentes administrations. Au niveau central, c'est notre responsabilité à nous, avec principalement le ministre de la Santé. Au niveau des provinces, c'est la responsabilité des gouverneurs. Et nous, au niveau du ministère de l'Intérieur, nous faisons le suivi avec les gouverneurs des provinces.
Aussi, il faut retenir que dans cette thématique-là de la santé, nous avons évolué pendant un certain nombre d'années avec beaucoup plus de considérations, dues au fait que les partenaires techniques et financiers nous accompagnaient pleinement dans le domaine de la santé. Mais à Kolwezi, nous nous sommes interpellés aussi sur les réalités qui sont les nôtres, les réalités actuelles, que l'un des grands acteurs qui finançait le partenariat de coopération internationale, à travers l'USAID, a décidé qu'il n'allait plus contribuer comme dans le passé, ce qui fait que le gouvernement de la République doit intégrer cette donne-là et arriver à mobiliser beaucoup plus de ressources en interne, et se retourner vers d'autres partenaires techniques pour atteindre les différents objectifs.
Donc, ce sont des grandes rencontres qui nous permettent de faire ces évaluations-là de la mise en œuvre des politiques publiques. Encore que la thématique sur le caractère ou le volet pédiatrique de la pandémie du sida est aussi une donne particulière et la République démocratique du Congo à travers le chef d'État, le président de la République, a pris des engagements par rapport à nos enfants et à la mise en œuvre d'une politique qui protège nos enfants, ces innocents-là, par rapport à cette pandémie, et je crois que c'est un engagement noble et important ».
Conflits dans les provinces : envisager le conflit comme un débat démocratique « est une utopie »
« Je crois qu'aussi longtemps qu'on estimera que la nation congolaise se veut démocratique, arriver à considérer que dans nos institutions démocratiques, surtout les palais de la démocratie que sont nos assemblées, arriver à imaginer ou à estimer à un seul instant, qu’il n'y aura plus ce qu'on appelle conflit qui peut être un débat démocratique en fait, mais perçu ou aperçu comme un conflit, c'est une utopie.
Nous, ici au niveau du ministère de l'Intérieur, nous avons effectivement reçu des instructions assez claires et fermes du chef de l'État pour garantir une stabilité des institutions provinciales. Parce que le président de la République estime que le développement de la République démocratique du Congo doit être influé par les administrations provinciales, les entités territoriales de centralité, c'est-à-dire à la base. Et pour que ces institutions de base puissent imaginer, puissent mettre en œuvre des projets de développement à ce niveau-là, il leur faut une certaine stabilité pour leur permettre d'œuvrer et d'atteindre les objectifs.
Maintenant, il faut arriver à concilier cela avec les activités de nos assemblées et permettre à ce que nos assemblées fonctionnent normalement. Mais une assemblée, c'est un hémicycle de débats, et des fois, il arrive que ces débats-là donnent l'impression au public, à l'opinion, au public des provinces que le débat devient une instabilité. Nous, nous faisons ce jeu-là conformément aux lois de la République et à la Constitution, selon nos compétences, qui sont aussi des compétences écrites et qui ont aussi une certaine limite par rapport aux compétences des Assemblées, qui sont des organes de contrôle. Donc, on fait cet exercice-là pour, à chaque fois, les rappeler à une certaine responsabilité qui ne trouble pas le bon fonctionnement des activités des provinces. Je crois que jusqu'à présent, on a quand même réussi à garantir à nos différentes provinces une certaine stabilité, tout en garantissant aussi cet exercice démocratique reconnu à nos assemblées. »
Joseph Kabila à Goma : « Il y a des actes qu'un citoyen congolais ne peut pas poser et commettre, encore plus un citoyen congolais d'exception »
« La présence de M. Kabila dans les territoires occupés, par l'armée rwandaise et ses supplétifs, le M23/AFC, pour nous, c'était quelque chose de déjà connu. Je crois que le président de la République a eu l'occasion de l'identifier à plusieurs reprises et on attendait qu'ils sortent au grand jour.
Lorsque nous avions pris des mesures de restriction d'activité par rapport à son parti politique, avant de les prendre, nous les avions d'abord interpellés. C'était par un souci d'arriver non seulement à les cadrer, des citoyens congolais qui malheureusement se sont écartés du pacte républicain, et arriver à garantir à la grande opinion congolaise et à la masse de lui éviter aussi de suivre ou d'être pris par un mouvement de trahison. Parce que nous avons un pacte républicain, qui a été scellé par la nation congolaise, principalement d'ailleurs à travers les accords de Sun City, et renouvelé à travers la Constitution.
Il y a des actes qu'un citoyen congolais ne peut pas poser et commettre, encore plus un citoyen congolais d'exception. Celui qui a eu le bénéfice de prêter serment en tant que président de la République, qui a eu l'avantage de bénéficier, de par la loi, du leadership d'un parti politique. Un parti politique ou les partis politiques sont organisés par une loi qui garantit, qui réglemente leur organisation et leur gestion. Celui qui a prêté serment en tant que président de la République, aujourd'hui, il bénéficie d'une loi en tant qu'ancien président de la République qui lui donne des droits, mais aussi des obligations, et beaucoup d'obligations. Et un ancien président de la République est astreint à beaucoup de réserves. Il a l'obligation de fidélité à la nation. Il a l'obligation de protéger la nation. Aujourd'hui, ce qui arrive, malheureusement, et quand je dis malheureusement, ce n'est pas seulement pour la personne de M. Kabila.
Le grand malheur de la situation qui nous fait vivre, c'est pour la nation congolaise, le fait que nous ayons eu malheureusement pendant dix-huit ans un individu à la tête de la République démocratique du Congo qui bénéficie de tous les avantages de la République démocratique du Congo, qui se permet au grand jour de poser des actes de trahison de devenir le supplétif d'un pays ennemi, d'une armée ennemie, d'une armée étrangère qui occupe le territoire congolais, qui tue et massacre les citoyens congolais. Je ne crois pas que ça ait déjà été vécu dans l'histoire des nations. J’en suis quelque peu convaincu. C'est vrai que la France a connu Pétain, mais je crois que ce que nous sommes en train de vivre là [rappelle cela]. Et ça, c'est très grave. Il fallait qu'on puisse prendre des dispositions pour limiter cette situation-là. On l'a fait pour lui, on l'a fait pour son parti politique, on l’a fait pour d'autres partis politiques. »
L’Opération Ndobo : un programme contre la criminalité qui a fait ses preuves à Kinshasa et s’étend à d’autres provinces
« La lutte contre la criminalité est une de nos grandes préoccupations au niveau du gouvernement et du ministère. Et effectivement, dès le début, nous avons fait plusieurs réunions sur cette problématique. Et il est arrivé à la mise en place d'un programme, dénommé Opération Ndobo, qui a fait ses preuves dans un premier temps dans la ville province de Kinshasa et qui est en train de s'étendre au niveau des différentes provinces et grandes lignes de la République, qui sont aussi affectées par cette problématique-là.
Aujourd'hui, nous avons réussi à l'étendre dans la province du Congo central, dans la province du Katanga, dans la province du Kwango, dans la province de Lualaba. Et la semaine qui se termine ici, nous allons l'étendre aussi à la province de Tshopo et la ville de Kisangani. Quand je dis l’étendre, c'est-à-dire qu'après la première expérience faite dans la ville de Kinshasa, nous avons réussi à mettre en place, dans le cadre de cette opération-là, un dispositif qui nous permet de le transplanter dans les commissariats provinciaux qui le sollicitent, tel que celui que je viens de citer, à travers un appui technique et financier pour permettre à ces commissariats provinciaux de les déployer aussi dans leur province et de suivre.
Aujourd'hui, je crois que ça évolue bien, même si nos populations ressentent encore à certains endroits les méfaits de cette criminalité. Mais nous avons quand même réussi à mettre la main sur plus de 6 200 présumés criminels, ce qui nous a permis de déférer plus de 3 800 devant la justice et ils ont été condamnés. Et nous avons près de 3 000 qui sont en attente de passer devant les juges.
Nous avons fait face dernièrement à une nouvelle criminalité, qui est celle des braquages, surtout dans la ville de Kinshasa. Ce qui nous a appelé à redéployer les efforts et à faire un certain nombre de réunions d'état-major, non seulement de la police nationale congolaise, mais aussi d'autres services, qui pouvaient venir en appui par rapport à cette criminalité, qui, je peux dire, nous a surpris d'une certaine manière. Ce qui a permis que la semaine passée, qu’on mette la main sur un premier groupe, parce que c'est une bande organisée. Et de là, nous avons mis la main sur le chef de la bande organisée qui a eu à être interrogé.
Aujourd'hui, je peux dire que la police nationale congolaise, avec les autres services de défense, ont en main qui leur manquait en termes d'information pour comprendre cette problématique-là. Et je crois que dans un avenir assez proche, nous pourrons dire qu'on aura neutralisé le noyau ou le gros de cette bande organisée, qui a opéré dans la ville de Kinshasa et qui avaient éclaté, après une opération, certains dans la province du Congo central, la province du Kwango, pour distraire un peu les services. D'autres même ont pris le large dans la province du Grand Katanga et on va arriver à les neutraliser. Je crois que ça sera bénéfique.
Le plus important, c'est que nos concitoyens doivent intégrer le fait que la police nationale congolaise est pleinement concentrée sur cette problématique, et qu'on va la réduire le plus possible. Nous avons un objectif de tolérance zéro, mais je crois qu’il est reconnu que la criminalité est une problématique internationale, même dans les pays plus développés ou développés, je ne sais pas quel terme il faut utiliser, c'est des problématiques que le service de police et de sécurité gère au quotidien. »