Dans un article de M, le magazine du Monde du 15 juillet, Chloé Aeberhardt revient sur la grande opération de piratage dont a été victime la chaîne TV5 Monde, le 8 avril 2015. Un véritable séisme qui semble avoir ébranlé l’intégralité de l’industrie médiatique hexagonale, voire mis en péril la France elle-même, et qui explique le ton choisi par la journaliste Chloé Aeberhardt. Mais rien d’étonnant à cela, non, et la véritable surprise viendra de TV5 Monde elle-même.
Comme dans un film à suspense, l'auteur déroule les heures cauchemardesques qu’a vécues le directeur du groupe, Yves Bigot, et passe en revue les menaces, les énormes moyens déployés pour rétablir les signaux des douze canaux que TV5 Monde occupent à travers le monde, la réunion d’urgence qui a lieu au ministère de la Culture avec les dirigeants d’autres médias français, et, bien sûr, les résultats de l’enquête. Ou plutôt l’absence totale de résultats, puisque après avoir abandonné la piste Daesh, c'est l’incontournable groupe de «hackers russes» qui est mentionné. Sans, naturellement, disposer de preuve de cette énième forfaiture russe.
Jusque-là, rien d’étonnant. La cybersécurité est un terrain propice à la stylistique hollywoodienne. Le regain de tensions entre l’Occident et la Russie consécutif aux crises ukrainienne et syrienne ne pouvait que mener à voir l’œil de Moscou et la main du Kremlin partout et dans chaque recoin.
Et soudain, la parole est donnée à la victime, Yves Bigot :
L’attaque, extrêmement coûteuse et sophistiquée, avait semble-t-il pour but de détruire complètement TV5 Monde. "On ne connaîtra jamais l’identité du donneur d’ordre", regrette son directeur. Différentes hypothèses sont avancées. Il privilégie celle de l’attaque concurrentielle : "La chaîne d’information Russia Today avait tout intérêt à récupérer nos canaux de diffusion."
Finis les groupes de hackers financés par une caisse noire du FSB. Il suffisait d’y penser : c'est à présent Russia Today qui, entre deux diffusions de fake news, attaque directement non pas ses concurrents, mais ceux dont elle pressent confusément qu'ils pourraient éventuellement l'être un jour !
Signalons tout de même à Yves Bigot, qui fait sans doute ses premiers pas dans la télévision, que les «canaux de diffusion» ne se dérobent pas comme les pommes sur un étal d'épicier, mais sont attribués par les autorités compétentes, qui varient selon les pays. Quand bien même Russia Today aurait-elle ourdi la chute de TV5 Monde, quelle assurance pouvait-elle avoir que ce hack l'aurait illico acculée à la faillite ? Et que les canaux ainsi libérés lui auraient été concédés ?
De tout cela, Yves Bigot ne dira rien. Mais peu importe, au fond. Car l'essentiel est de faire entrer en scène le fameux média russe, ce qui change tout. Car depuis la tirade d'Emmanuel Macron à Versailles, nul ne doute plus dans l'Hexagone que RT est un «agent de propagande».
Evidemment, nous pourrions revenir longuement sur le fait que TV5 Monde laisse traîner ses mots de passe un peu partout. Mais cela serait un peu mesquin, pour Chloé Aeberhardt et son article, bien écrit, et pour Yves Bigot qui n’aurait peut-être pas été dérangé durant son dîner près de l’Arc de Triomphe le 8 avril 2015 si les logins de son groupe étaient mieux gardés. Nous pourrions aussi développer l’absurdité de l’hypothèse : RT émettant de par le monde en anglais depuis 2005, en arabe depuis 2007, et en espagnol depuis 2009, n’a que faire de récupérer en 2015 les clients de TV5 Monde.
Mais nous préférons nous interroger sur les qualités de médium qu’il prête à Margarita Simonian, rédactrice en chef de RT. En effet : la décision du lancement de la chaîne de télévision de RT France n’a été prise que fin 2016, à une époque où le vilain piratage était déjà de l’histoire ancienne, où les affaires de TV5 suivaient leur petit bonhomme de chemin le plus tranquillement du monde. Et la chaîne ne sera lancée que fin 2017, et ce malgré les accusations infondées dont les journalistes de RT France font l’objet de la part de leurs confrères, conformément à l’opinion de la majorité présidentielle. Les Russes sont de très bons joueurs d’échecs, on le répète assez souvent, mais pour Yves Bigot ils sont capables de prévoir des coups plus de deux ans et demi à l'avance !
Il n'a pas tout à fait tort : la boule de cristal qui équipe la rédaction de RT France vient de nous en prévenir : Yves Bigot briguerait actuellement un futur poste au sein de La République en Marche ou de l’administration présidentielle. Ces «hackers russes» sont décidément des magiciens !
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