Depuis plusieurs semaines, le contexte géopolitique est de plus en plus tendu aux frontières géographiques de l’Europe. L’Ukraine, enserrée entre les pinces non désintéressées d’un certain nombre d’acteurs mondiaux, fait monter la pression et le président Volodymyr Zelensky sait en jouer. Ni en Europe, ni en Asie, encore moins en Amérique, le pays est l’objet de vives tensions, tiraillé entre les tenants de l’OTAN qui reluquent toujours un peu plus loin que leur zone d’influence, et la Russie, qui cherche à maintenir la sienne. Comme un regain de guerre froide, on voit les camps se raidir et la peur d’une nouvelle guerre des étoiles surgir. Reprocher à Vladimir Poutine de se battre pour son aire d’influence est quelque peu hypocrite, tant chacun des pays ou des organisations sur terre fait de même. Survaloriser l’importance de l’OTAN qui ne gagne plus beaucoup de guerres depuis bien longtemps aussi – et qui se prétend toujours défensive alors que la situation en Libye a prouvé le contraire. Mais quand c’est la Russie qui hausse le ton, c’est niet !
Car l’Ukraine est bien en dehors des frontières géographiques de l’Union européenne, tout comme en dehors des frontières de l’espace russe. Mais face au vide géopolitique bien installé depuis l’arrivée de Joe Biden dans des zones traditionnellement sous tension, Moscou cherche à faire respecter «son» droit, surtout celui moral qu’on lui a promis il y a bien longtemps : que l’Ukraine n’entrerait pas dans l’OTAN. Mais les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent c’est bien connu. Alors Poutine va-t-il envahir ou pas le pays ? En a-t-il seulement les moyens ? Les Etats-Unis pourraient-ils se réengager dans une guerre violente aux nombreuses inconnues alors que le traumatisme de l’Afghanistan et le retrait catastrophique l’été dernier sont encore dans tous les esprits ? Economiquement, politiquement, militairement, personne n’a les moyens d’entrer dans une telle guerre. La crise économique est violente aussi bien du côté américain, que russe, et européen et encore accentuée depuis la pandémie. Autant désamorcer au plus vite la grenade, d’autant qu’on s’emballe peut-être un peu vite du côté des Occidentaux qui prêtent toujours de manière pavlovienne, les pires intentions au président russe, en dehors parfois de toute rationalité. Sans oublier, la dépendance totale du vieux continent au gaz russe. Que se passerait-il en cas de nouvelles sanctions contre Moscou ? Comment Bruxelles se fournirait-elle en urgence pour éviter les pénuries ? Quels autres partenaires mobiliser au plus vite ? Cela prendrait de toute façon beaucoup de temps.
On ne la lui fait pas, à Vladimir Poutine. Et il connaît son pouvoir. Etre craint c’est être respecté. C’est actuellement moins évident du côté de Biden que sous Trump, c’est un fait. Pour éviter de se reprocher quoi que ce soit, on reproche alors l’arrogance du président russe à masser des dizaines de milliers de ses soldats à la frontière, alors qu’on avait déjà promis, nous Occidentaux, que la Pologne et les Etats Baltes n’entreraient pas dans l’OTAN. L’équation est pourtant assez simple et on sait ce qu’il en est advenu. Mais cette fois, Poutine ne lâche rien et son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov, l’a encore rappelé au secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, vendredi 21 janvier, à Genève : il ne se passera rien de grave si l’Ukraine reste en dehors de l’organisation transatlantique.
C’est pourtant une histoire ancienne. James Baker, secrétaire d’Etat sous Georges W. Bush père, au moment de la chute du bloc soviétique, s’y était engagé : l’OTAN en Ukraine, no pasaran ! Et depuis, on n'a de cesse d’amasser côté européen et américain des troupes et des armes de l’autre côté de l’ancien rideau de fer. Du coup, Moscou s’agite en retour de flamme aux frontières, dans les mers, en Méditerranée et dans le Pacifique, afin de contrer la présence des Occidentaux. Ca aurait pu déjà virer au cocktail molotov si la diplomatie n’avait pas repris ses lettres de noblesse récemment. C’est un peu la loi de la pression maximale, vers laquelle nous a emmené Poutine, qui pousse les parties à essayer de trouver une solution à l’amiable : d’autant que l’Europe a déjà envoyé 400 millions d’assistance militaire récemment à Kiev, et que 176 millions d’euros supplémentaire d’outils de défense ont été promis encore récemment.
L’Europe est gênée aux entournures dans ce dossier, car l’Allemagne, totalement dépendante du gaz russe, ne veut pas se fâcher avec son partenaire. Joe Biden, lui, a multiplié les couacs, au milieu d’un manque de leadership, déchiré dans son propre camp, en déclarant récemment que Poutine allait forcément «faire quelque chose», donc intervenir. C’est un pousse-au-crime largement critiqué dans les rangs de l’opposition républicaine, et y compris au sein même des démocrates : Biden est en train de jouer avec le feu et de se résigner à une attaque russe de l’Ukraine. Que ce serait même un feu vert à géométrie variable de la part de la Maison Blanche et que selon les zones concernées, les Américains ne riposteraient pas forcément. Personne n’a été capable l’été dernier de prévoir la reprise de l’Afghanistan par les Talibans en quelques semaines, mais Joe Biden croit savoir déjà à la place du président russe que l’Ukraine sera envahie.
Tout cela est typique de la panique morale que la Russie provoque dans les esprits occidentaux depuis son retour sur la scène mondiale. Ce qui est, reconnaissons-le à Poutine, un coup de génie/coup de bluff très efficace pour déstabiliser les Occidentaux qui ne savent comment réagir, à part se projeter dans de la science-fiction. C’est aussi comme cela que Moscou a repris sa place dans le concert des nations, et au cœur de la realpolitik mondiale. Qu’on le veuille ou non, aussi critiquable que cela soit pour les Américains et les Européens. Nulle question ici de glorifier Poutine, mais bien de montrer comment le mandat Trump a affaibli toutes les institutions internationales issues du multilatéralisme, et comment le président Joe Biden, ne parvient pas plus à s’imposer à l’international que dans son propre pays. En attendant la Russie distille, manœuvre sur plusieurs continents et place ses pions pendant que l’Amérique se concentre ailleurs ou patauge en mer de Chine. Certes Moscou a récupéré par la manière forte la Crimée (qui était russe depuis 1783 puis avait été rattachée à l’Ukraine en 1954, puis était devenue région autonome en 1991, mais toujours historique pour la Russie). L’Ukraine a toujours joué un rôle important dans la psyché russe : berceau de son pouvoir politique et religieux, Kiev attire toujours Moscou comme un aimant. Mais Kiev est indépendante, cela veut dire, indépendante des uns et donc des autres. La Russie tirera sûrement avantage de son bras de fer avec les Occidentaux, une fois la crise passée pour son avenir. Car comme le dit un proverbe soviétique : «La Russie a un certain avenir, seul son passé est imprévisible».